Pour un viticulteur, il ne sert à rien de produire une denrée de qualité si elle n'est pas connue du marché. C'est le grand principe qui inspire la publicité. Le tout est de sortir de l'anonymat. Encore faut-il que cette publicité ne soit pas détournée au profit d'un produit concurrent.
La loi a créé l'inscription obligatoire d'une marque sur un registre pour protéger celle-ci. Il appartient aux juges de faire respecter le système, en veillant à l'application des articles L 711-1 et 711-2 du code de la propriété intellectuelle.
La Cour de cassation a eu à juger, par un arrêt du 3 juin 2014, d'un conflit né de la juxtaposition de deux marques. Le 29 janvier 1988, Monsieur Hector Iginal a enregistré à l'INPI (Institut national de la propriété industrielle) et acquis les droits de la marque verbale « Liberfree Troussepinette » pour représenter des boissons alcoolisées telles que cidres, digestifs, vins et spiritueux. Plus tard, il a aussi déposé la marque « Troussepinette apéritif aux fruits ». Contrairement à la première, il s'agissait d'une marque semi-figurative, c'est-à-dire associant un mot ou une expression et un visuel, en l'occurrence un homme debout en habit traditionnel vendéen devant un moulin.
En Vendée, la troussepinette est un apéritif très répandu. Il s'agit d'un vin aromatisé avec des jeunes pousses de prunelier. Dans cette région, on sert de la troussepinette comme en Provence du pastis.
Hélas pour Hector Iginal, une entreprise concurrente appartenant à Monsieur Maurice Acopié met sur le marché un autre apéritif sous l'appellation « TroussEpinete », écrit avec un seul « t ». Maurice Acopié dépose sa marque à l'INPI le 4 avril 2007. Hector Iginal ne peut l'admettre. En décembre 2008, après avoir vainement mis son concurrent en demeure de cesser l'exploitation de la marque TroussEpinete, il l'attaque en justice pour contrefaçon. Ce procès a donné lieu à un arrêt de la cour d'appel annulant la marque TroussEpinete et donnant raison à Hector Iginal. Mais la Cour de cassation a cassé cette décision et l'a renvoyée devant une autre cour d'appel.
Cette cour de renvoi ne s'étant pas inclinée devant l'arrêt de la Cour suprême, celle-ci a rejugé l'affaire le 3 juin 2014. Le contentieux est donc clos et Hector Iginal a, cette fois, définitivement perdu son procès. Comment est-ce possible alors qu'un concurrent fabricant le même produit que le sien utilise comme dénomination le même mot pour qualifier la boisson incriminée ?
C'est autour de l'article L 711-2 du code de la propriété intellectuelle que va s'organiser le débat. Ce texte indique que « le caractère distinctif d'un signe de nature à constituer une marque s'apprécie à l'égard des produits ou services désignés. Sont dépourvus de caractères distinctifs : les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit... »
Or, dans le pays vendéen, le mot « troussepinette » est un terme générique au sens de cet article. Un arrêt de la cour d'appel de Paris du 10 avril 1990 a précisé l'article L 711-2 en indiquant que le signe choisi ne doit pas être un mot utilisé par tout un chacun. De toute manière, dans la mesure où un mot devient générique, il ne peut plus être considéré comme une marque déposée. Et c'est sur ce moyen que la société de Maurice Acopié gagnera son procès.
Élargissons le débat : tenant compte de la multiplication des sociétés, notamment commerciales, il semble indispensable de vérifier à l'INPI, lors de la rédaction des statuts de la société, si le nom envisagé n'est pas déjà déposé.
* Référence de l'arrêt : Cour de cassation, chambre commerciale, 3 juin 2014, n° 13-19057.