LA WALLONIE compte seulement 65 hectares de vignes. Mais ce minuscule vignoble est en plein essor. PHOTOS : M. HULOT
Le domaine du Chenoy produit en moyenne 50 000 bouteilles par an de vins de cépages hybrides. PHILIPPE GRAFÉ, fondateur en 2003, a vendu la moitié de ses parts en avril 2014 à Fabrice Wuyts, mais tous deux partagent la gérance.
JEANETTE VAN DER STEEN est néerlandaise. Elle s'est installée en Wallonie où elle possède une dizaine d'hectares de Vitis vinifera qu'elle vinifie dans un chai ultramoderne.
AU CHÂTEAU DE BIOUL, Vanessa Vaxelaire et son mari ont planté une dizaine d'hectares de vignes hybrides. Ils souhaitent lancer des animations autour du vin.
Sur les 130 hectares de vignobles belges, la Wallonie en compte 65. Une surface minuscule, mais en plein essor. Dans le sud de la région, à Haulchin, tout près de la frontière française, cinq investisseurs, dont le Champenois Thierry Gobillard, ont créé le Ruffus, un vin mousseux. Ils ont démarré en 2002. Aujourd'hui, avec 18 hectares en production et quatre récemment plantés, leur vignoble est le plus grand de Belgique. À terme, il pourrait compter 30 ha tellement les ventes se portent bien.
À 90 kilomètres de là, commence la jeune appellation Côtes de Sambre et Meuse. Ici, amateurs et professionnels se partagent quelques dizaines d'hectares de vignes dispersées dans l'immensité des champs de céréales.
Guy Durieux appartient à la première catégorie. Professeur à la retraite, il cultive une quinzaine de cépages dans son jardin et exploite, avec des amis, un hectare d'un côté du village d'Andenne et quelques ares de l'autre. Des hybrides résistants au mildiou et à l'oïdium, et adaptés au froid, ainsi que du pinot noir. « C'est moi qui fais le vin. Je suis le seul à savoir le faire. Mais je ne serai jamais professionnel », prévient-il. Auteur d'un livre sur la viticulture en Belgique, il aime à rappeler que les premières traces de vignes dans la région remontent à plus de mille ans.
Le « pape wallon » de ces hybrides, c'est Philippe Grafé. Il en parle avec une verve issue de son expérience de commercial au sein du négoce familial Grafé-Lecoq pour lequel il a travaillé toute sa vie avant de se lancer, en 2003, dans la production de vin belge. Il avait 65 ans. Son domaine du Chenoy, à Emines, compte dix « variétés interspécifiques », cinq blanches et cinq noires, sur dix hectares.
Le vigneron vante l'aspect écologique de ces variétés puisqu'elles ne nécessitent « que quelques pulvérisations par an ». Ses vins sont bien faits. Ceci dit, ils tiennent plus de la curiosité que d'une réelle alternative aux Vitis vinifera dont ils n'ont pas l'ampleur ni la longueur en bouche. « Si on fait en Belgique ce que tous les autres font, à quoi bon ? », argumente-t-il. Malgré des ventes poussives, il est fier d'avoir initié cette forme de viticulture et vous invite à vous rendre chez les Vaxelaire, ses disciples.
La famille Vaxelaire est propriétaire depuis 1906 du château de Bioul, à une trentaine de kilomètres d'Emines. Vanessa, la quarantaine, a pris les rênes de ce magnifique édifice du XVe siècle, avec son mari Andy Wickmans. Elle bénéficie de l'aide de son père fortuné. Son idée : faire du vin une attraction, avec des ateliers découvertes, participation aux vendanges, etc.
Pour mener à bien ce projet, le couple a planté entre 2009 et 2011 une dizaine d'hectares d'hybrides. Il s'est entouré d'ingénieurs à la vigne comme au chai, où les vins sont vinifiés par la Française Mélanie Chéreau. Il ne lésine pas sur les moyens. Résultat : les blancs ont du caractère. Le Terre Charlot, issu de solaris, est pur et tendu par une belle acidité et la Batte de la Reine, assemblage à parts égales de cabernet blanc et de johanniter, offre un côté abricoté et arrondi.
Les contre-étiquettes sont en français et en flamand, « le minimum si on se dit vin belge », précise Vanessa. Et l'anglais ? « Non, cela voudrait dire que j'exporte, or j'espère que je n'aurai pas à exporter ! » Elle vend ses vins essentiellement aux particuliers « qui attendent tous les ans le nouveau millésime » proposé à 12,50 € TTC et 16,50 € pour le brut.
À quelques kilomètres de Bioul, Jeannette van der Steen a fait un tout autre choix : elle ne plante que des Vitis vinifera. Cette Néerlandaise de 60 ans et son mari Piotr rêvaient de s'installer en France pour y faire du vin. Ils ont opté pour la Wallonie, plus proche de leur entreprise basée à Eindhoven, aux Pays-Bas. « Au début, c'était un hobby », explique-t-elle. Mais un restaurateur séduit par leur vin les incite à devenir professionnels.
Jeanette van der Steen est aujourd'hui à la tête du château Bon Baron, un vignoble d'une quinzaine d'hectares au bord de la Meuse. Le fleuve coule nonchalamment entre de grosses roches calcaires. Les vignes, magnifiquement tenues, sont protégées du gel par le microclimat local.
Sa première cave fut un garage à charbon, à Lustin. Elle s'est agrandie en 2013 avec une cuverie pour les rouges située à Dinant. C'est une véritable caverne d'Ali Baba pour maître de chai avec les outils dernier cri : pressoir vertical de Bucher, ionisateur pour nettoyer les fûts, tables de tri vibrantes, fûts neufs français... Avec ses moyens confortables et son amour sincère du vin, elle montre la voie des Vitis vinifera en Wallonie.
Avant de se lancer, Jeanette Van der Steen s'est nourrie des conseils d'amis vignerons suisses, allemands et français. Elle est convaincue que la Belgique peut faire de grands vins de pinot blanc, de chardonnay, de pinot noir et de croisements comme l'acolon et le cabernet dorsa. Les hybrides ? « Leurs noms sont inconnus et leurs vins atypiques », répond-elle. Elle apprécie toutefois le solaris, qui donne de « jolis résultats ».
Jean-François Baele, 31 ans, est étranger à ces controverses. « Peu importe si c'est un hybride ou non, le but est d'exprimer au mieux le cépage », explique ce fils de fermier, voisin de Philippe Greffe, à Emines. Il a commencé par planter des hybrides avant de poursuivre avec du chardonnay : « Les hybrides sont incompatibles avec l'AOC et ne parlent pas au consommateur. Je joue les deux cartes. J'aime la flexibilité. »
Jean-François Baele exploite 7,5 ha mais voit grand : « Je pourrais planter 45 hectares. » Il construit un chai pour élaborer des effervescents et lancer son activité de prestataire de services : « Beaucoup de gens plantent des vignes mais ne veulent pas vinifier. » Une opportunité qu'il a su saisir.
Beau programme pour un festival
Le Festival des vins wallons a lieu au printemps à Boussu-lez-Walcourt. La troisième édition, en avril dernier, a réuni vingt vignerons petits et grands. Au programme : une conférence sur le thème « Le vin belge, début d'une reconnaissance », animée par le sommelier Fabrizio Bucella ; un atelier-dégustation dirigé par Marc Vanel, journaliste spécialisé en vin belge et une représentation du wine man show d'Éric Boschman, meilleur sommelier de Belgique, « Ni Dieu ! Ni Maître ! Que du rouge ! ».
Un festival organisé par Henri Larsille, président de l'Association des vins wallons qui compte quarante membres. Cet ex-greffier en chef du tribunal de Charleroi ne doute pas que « la Belgique est une terre de vin ».