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DOSSIER - Plantations nouvelles : ce que veulent les régions

LES RÉGIONS QUI TEMPÈRENT

BORDEAUX Tout faire pour ne pas revivre les errements du passé

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°271 - janvier 2015 - page 44

Dans le Bordelais, c'est l'union sacrée. Personne n'a oublié les erreurs commises durant les années 1990 quand le vignoble plantait à tout-va. L'heure est à la prudence.
« Notre avenir est dans la valorisation des produits. » (Yann Le Goaster, directeur de la FGVB.)  ©P. ROY

« Notre avenir est dans la valorisation des produits. » (Yann Le Goaster, directeur de la FGVB.) ©P. ROY

Vue aérienne sur l'estuaire de la Gironde, la corniche de Bourg et le vignoble des côtes-de-bourg. © P. ROY

Vue aérienne sur l'estuaire de la Gironde, la corniche de Bourg et le vignoble des côtes-de-bourg. © P. ROY

L'appétence pour des plantations nouvelles reste très mesurée à Bordeaux. Il faut dire que les années 1997 à 2003 restent gravées dans les mémoires. Durant cette période, les Bordelais, emportés par l'euphorie des marchés, ont planté 10 000 ha pour arriver à 123 000 ha en appellation. La demande est en effet telle qu'à la fin des années 1990, les sorties de chais culminent à 6,5 millions d'hectolitres (campagne 1997-1998) soit 1,5 million de plus qu'auparavant. Puis les sorties baissent autour de 5,5 millions d'hl. Un grave déséquilibre entre l'offre et la demande s'installe. Les cours s'effondrent et il ne reste plus qu'à arracher. 9 000 ha seront ainsi concernés. La surface en AOC retombe à 114 000 ha pour la récolte 2013.

« Bordeaux n'a pas su gérer, ni anticiper et encore moins prendre conscience de l'émergence de concurrents internationaux. Bordeaux vivait sur sa notoriété. Il n'y a pas eu d'interrogation collective. En réalité, on a expérimenté la libéralisation des droits de plantation avant l'heure. Alors, aujourd'hui, pas question de commettre à nouveau les erreurs du passé. Notre avenir est dans la valorisation des produits », analyse Yann Le Goaster, directeur de la FGVB, la Fédération des grands vins de Bordeaux.

Les derniers chiffres de commercialisation ne le feront sûrement pas changer d'avis. Selon les dernières estimations de l'interprofession, Bordeaux n'aurait vendu que 4,9 millions d'hl en 2014 (toutes AOC confondues) contre 5,57 millions d'hl en 2013. Les ventes en grande distribution française ont chuté de 4 % (1,4 million d'hl) et les exportations ont reculé de 8 % (2,17 millions d'hl). Ces replis sont un effet du manque de disponibilités après la récolte historiquement basse de 2013. Mais ils résultent également de difficultés réelles sur les marchés français et chinois. Ainsi, pour 2015, la région table sur des ventes autour de 5,1 millions d'hl.

De ce fait, la prudence est le maître mot dans toutes les ODG. Dans l'AOC Blaye-Côtes-de-Bordeaux, la tendance depuis cinq ans est davantage à l'arrachage qu'à la plantation. « Nous ne souhaitons pas encourager la plantation de vignes nouvelles. Ce que l'on met à la disposition du marché doit correspondre à la demande. Il faut être mesuré et réfléchir d'un point de vue économique », estime Mickaël Rouyer, directeur de l'ODG Blaye-Côtes-de-Bordeaux.

Stéphane Dupuch, à la tête de l'ODG de l'Entre-Deux-Mers, ne dit pas autre chose : « Même si des exploitations ont besoin de s'agrandir, la priorité n'est pas à la plantation de vignes nouvelles. Nous devons travailler sur une meilleure valorisation de nos vins et sur la rentabilité de nos entreprises. Notre fer de lance, c'est l'augmentation du prix de la bouteille. » Hervé Grandeau, président de l'ODG des Bordeaux et Bordeaux supérieur, résume : « Nous ne produisons que des vins que nous sommes capables de vendre. »

« Plutôt que de jouer sur de nouvelles surfaces de production, notre stratégie est d'améliorer les rendements à l'hectare », renchérit Philippe Hébrard, directeur de la cave coopérative de Rauzan (Gironde). Pascal Nerbesson, président de la cave coopérative Univitis, n'hésite pas à évoquer son cas personnel. Installé à Gensac (Gironde), il exploite 42 ha en bordeaux et bordeaux supérieur : « Je ne planterai pas un hectare de plus car cela générerait des coûts de production supplémentaires. Je préférerais que les rendements augmentent d'un ou deux hectolitres. Pour l'AOC Bordeaux, le rendement autorisé cette année en vins rouges est fixé à 57 hl/ha. On y arrive. Mais on pourrait aller jusqu'à 60 hl/ha. C'est un rendement convenable qui permettrait de générer des revenus acceptables. »

En attendant, la Fédération des grands vins de Bordeaux calcule que 1 % de plantations nouvelles par an, cela représente 1 300 ha. Un chiffre bien trop élevé aux yeux de toute la filière. En avril dernier, sous la houlette du Conseil de bassin viticole Aquitaine, les professionnels se sont mis d'accord sur un taux de croissance annuel compris entre 0,3 % et 0,5 % pour les AOC et IGP. Cette fourchette reste toujours d'actualité.

En revanche, pour les plantations de vins sans indication géographique (VSIG), c'est une autre affaire. La FGVB n'est pas franchement partante, au grand dam du négoce régional qui verrait bien un développement de ce segment. Histoire de faire son marché. Mais la production pointe du doigt le risque de déstabilisation des marchés dans le cas où des vignes plantées avec des autorisations de VSIG revendiqueraient, par la suite, des vins en AOC ou IGP. Comme dans bien d'autres régions, la production demande l'obligation pour une parcelle plantée en VSIG de rester dans cette catégorie pendant quinze, voire vingt ans.

Autre danger : la plantation de VSIG à proximité des aires d'appellation. « Nous devons nous assurer qu'il n'y aura pas d'utilisation frauduleuse de la notoriété des AOC », souligne Yann Le Goaster. Pour Bernard Solans, président des coopératives vinicoles d'Aquitaine, les risques sont tels « qu'il ne faut pas laisser de place aux VSIG, même si un dispositif de déclaration parcellaire était instauré pour ces vins. Cela amènerait la confusion chez le consommateur ». À l'inverse, Florian Malpuech, responsable Asie au sein du négoce Ballande et Meneret, plaide pour cette catégorie. Il reconnaît que « le VSIG, c'est compliqué : il y a les pour et les contre. Et l'échéance est encore lointaine puisque c'est 2016 ». Mais il ajoute : « Nous avons besoin de VSIG car ils nous ouvrent des occasions de décrocher des marchés émergents où les consommateurs sont moins éduqués, comme en Inde ou en Amérique du Sud. »

Pour contrôler les choses, en mars dernier, la production a créé le syndicat des producteurs girondins de vins sans indication géographique. « Je suis un fervent défenseur de l'AOC, mais je crois à l'accroissement modéré des VSIG car je suis partisan de la multiplicité des produits, affirme Jeremy Ducourt, son président. Il faut maîtriser de concert le potentiel des AOC et des VSIG. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Christophe Guicheney, Château Piconat, 50 ha, à Soussac (Gironde)

« Il faut se méfier de cette libéralisation à venir. Elle doit être surveillée de près car il y a le risque de se retrouver avec trop de vins sur le marché. Je n'aimerais pas que l'on arrive à une situation où l'on serait obligé de baisser les rendements à 40 hectolitres à l'hectare à cause d'une trop grande production. Trouver un bon équilibre entre le prix de revient et le prix de vente est préférable plutôt que de planter. Néanmoins, pour ceux qui ont besoin de s'agrandir, planter peut être une solution. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Mathieu Mercadier, Château Augan, 28 ha à Blasimon (Gironde)

« On trouve suffisamment de terres à reprendre car des viticulteurs n'ont pas de successeurs. Je vais m'agrandir en achetant 7 ha à un viticulteur qui part à la retraite. Actuellement, je suis tout seul et je fais appel à un prestataire pour les travaux en vert et la taille. Avec plus d'hectares, je pourrais embaucher un salarié et le former. Je suis coopérateur. La politique d'investissements que mène ma cave m'encourage. Ça ne me fait pas peur de m'agrandir. Notre cave manque de vin. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Nicolas Carreau, Vignobles Carreau, 60 ha à Cars (Gironde)

« Je ne vois pas l'utilité de se lancer dans la plantation de nouvelles vignes. On sort juste des surstocks. La situation redevient raisonnable. Ce n'est pas le moment de se remettre en danger. Cependant, je ne suis pas contre le fait d'avoir une marge de manoeuvre avec un petit pourcentage d'autorisation pour de nouvelles plantations. Mais il faudra planter avec parcimonie. Je pense également qu'il faut avoir une vision globale des potentiels par segments de marché. C'est primordial. »

Le Point de vue de

ET VOUS, PENSEZ-VOUS QU'IL FAUT PLANTER ?

Jean-Luc Soubie, Château Lisennes, 52 ha, à Tresses (Gironde)

« Bordeaux n'a pas su gérer la croissance de la demande il y a vingt ans. En augmentant le potentiel de production, on s'est retrouvé avec des valorisations insuffisantes. La Champagne a su rester en sous-production tout en augmentant ses prix, mais Bordeaux n'en a pas été capable. Mon grand-père et mon père ont beaucoup planté. Nous, nous n'avons pas planté un seul hectare depuis 1984. Notre objectif est de valoriser la bouteille. À Bordeaux, a-t-on compris les erreurs du passé ? »

L'essentiel de l'offre

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