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AU COEUR DU MÉTIER

« Se démarquer pour se faire connaître »

FLORENCE BAL - La vigne - n°273 - mars 2015 - page 32

EN 2003, STÉPHANIE LOUP s'installe aux portes de Lyon en IGP Isère. Pour développer sa clientèle, elle mise sur des vins originaux et les marchés locaux. Elle a surmonté ses difficultés en créant de nouvelles cuvées.
LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

STÉPHANIE PRATIQUE LE REMUAGE manuellement sur pupitre deux fois par jour pendant trois semaines avant le dégorgeage. Avant cela, ses vins vieillissent neuf mois sur lattes. F. BAL

STÉPHANIE PRATIQUE LE REMUAGE manuellement sur pupitre deux fois par jour pendant trois semaines avant le dégorgeage. Avant cela, ses vins vieillissent neuf mois sur lattes. F. BAL

AVEC MARIO, SON COMPAGNON, Stéphanie taille de jeunes parcelles de pinot noir plantées à 4 545 pieds/ha sur un coteau dont les pentes vont de 30 à 50 %.  F. BAL

AVEC MARIO, SON COMPAGNON, Stéphanie taille de jeunes parcelles de pinot noir plantées à 4 545 pieds/ha sur un coteau dont les pentes vont de 30 à 50 %. F. BAL

STÉPHANIE DÉGUSTE LA CUVÉE 2014 DE CHARDONNAY, assemblé avec de la malvoisie, qui sera mise en bouteilles au mois de janvier. Ce vin blanc sec, classique, constitue le coeur de gamme du domaine qui en vend 7 000 à 10 000 bouteilles par an au tarif de 4,20 euros TTC. F. BAL

STÉPHANIE DÉGUSTE LA CUVÉE 2014 DE CHARDONNAY, assemblé avec de la malvoisie, qui sera mise en bouteilles au mois de janvier. Ce vin blanc sec, classique, constitue le coeur de gamme du domaine qui en vend 7 000 à 10 000 bouteilles par an au tarif de 4,20 euros TTC. F. BAL

DANS LEUR CAVEAU, Stéphanie et Mario présentent leurs vins, dont la cuvée Bulles d'euphORie en blanc et rosé, et leurs jus de raisin. F. BAL

DANS LEUR CAVEAU, Stéphanie et Mario présentent leurs vins, dont la cuvée Bulles d'euphORie en blanc et rosé, et leurs jus de raisin. F. BAL

Des jus de raisin tranquille et pétillant, un blanc doux à 8° d'alcool, deux mousseux avec des paillettes d'or, Stéphanie Loup ne manque pas d'idées pour se démarquer. Dans une minuscule dénomination - l'IGP Isère-Balmes dauphinoises, c'est un moyen pour se faire connaître et vendre l'intégralité de sa production en bouteilles, soit de 20 000 à 30 000 cols par an.

Stéphanie n'est pas d'origine viticole. Ses parents sont agriculteurs. Elle découvre la chimie du vin en Terminale S, option chimie : elle adore. Après un BTS viticulture-oenologie et un stage chez Marc Chetaille, vigneron en Beaujolais, elle prend conscience qu'elle n'a pas envie de s'enfermer dans un laboratoire. En 2002, l'opportunité de reprendre un domaine dans sa région natale se présente. Son compagnon Mario Amaro Rabiço, auparavant employé dans une pépinière savoyarde, connaît le travail de la vigne, alors... Banco !

« On s'est dit qu'il y avait beaucoup de potentiel, raconte-t-elle. Située entre Lyon et Chambéry, l'IGP est méconnue et totalement excentrée par rapport aux côtes-du-rhône ou la Savoie. Mais il y a une très forte densité de population citadine. Vendre localement nous intéressait. »

Après une année de transition avec l'ancien exploitant, elle s'installe en 2003 à la tête du domaine du Loup des Vignes, à Saint-Savin, en Isère, à 50 km au sud-est de Lyon. Elle acquiert les bâtiments, le stock et une partie des vignes. En attendant de la rejoindre, Mario fait bouillir la marmite et travaille à l'extérieur. Le domaine compte alors 6 ha situés sur les coteaux argilo-calcaires très pentus qui surplombent le village. Il est équipé de cuves en acier émaillé et en fibre, d'un pressoir Vaslin, d'un groupe de froid... Il élabore cinq vins (un blanc, deux rouges, un rosé et un mousseux) et conditionne déjà 100 % de sa production en bouteilles.

La première récolte est catastrophique, avec seulement 80 hl, soit 80 % de moins qu'une année normale. En cause ? La canicule. Heureusement, l'ancien exploitant avait laissé dix-huit mois de stocks de vins en cuves ou en bouteilles, notamment en blanc. « On a fortement développé la production de mousseux en méthode traditionnelle, avec trois cuvées au lieu d'une, raconte Stéphanie. Comme on voulait se démarquer, on les a élaborés nous-mêmes, excepté le dégorgement pris en charge par un prestataire. »

Les deux blancs mousseux, l'un brut, l'autre doux, sont issus d'un assemblage de chardonnay et de jacquère. Le rosé mousseux provient, lui, de merlot et de pinot noir, parfois complété de syrah et de mondeuse. Les vins de base sont vinifiés de manière classique. La prise de mousse se fait en janvier. Après neuf mois au minimum de vieillissement en bouteilles, Stéphanie les remue manuellement sur pupitre, deux fois par jour pendant trois semaines. Lors du dégorgement, elle ajoute 0,8 cl de MCR/col pour le blanc et le rosé brut et 4 cl/col pour le doux. Elle vend ces vins 7 euros TTC à la propriété.

Ces trois mousseux rencontrent un succès immédiat. En année normale, le domaine en commercialise entre 5 000 et 7 000 cols, et parfois jusqu'à 10 000. « D'une année sur l'autre, les demandes fluctuent, explique Stéphanie. C'est difficile d'anticiper. »

En 2009, Stéphanie découvre grâce à sa soeur des champagnes agrémentés de paillettes d'or. Ni une ni deux, elle voit là une occasion supplémentaire de promouvoir son domaine « avec un côté plus festif ». Elle pratique un test sur cinquante bouteilles. « On a beaucoup tâtonné pour introduire les paillettes d'or, témoigne-t-elle. C'est moins simple qu'on peut l'imaginer, car l'opération se fait manuellement, juste après l'ajout de la liqueur d'expédition. On la maîtrise bien, mais cela prend du temps. » La cuvée Bulles d'euphORie est née, déclinée depuis en rosé. Elle en vend 250 bouteilles par an au tarif de 20 euros TTC, sauf exception comme en 2013 où elle a honoré une commande de 1 000 bouteilles. « On a reçu des demandes de Russes et de Chinois pour l'exporter, mais cela ne nous intéresse pas, continue Stéphanie. Nos volumes sont insuffisants et on veut rester sur le marché local. »

En 2008, des difficultés techniques les poussent à créer « en désespoir de cause », le « Loup des Vignes » : un blanc doux, en vin de France. Cette année-là, le domaine subit trois épisodes de grêle. La très faible récolte manque de maturité. Stéphanie arrête les fermentations à 8° d'alcool et à 60 g/l de sucres résiduels, par un passage au froid et l'ajout de sorbate de potassium. Très légère en alcool, fruitée, cette cuvée « plaît beaucoup. Elle accroche les gens qui n'aimaient pas le vin. Vu son succès, elle pourrait même supplanter le sec dans le futur », anticipe Stéphanie.

Un chardonnay sec, classique, est leur coeur de gamme. Le domaine en vend 7 000 à 10 000 bouteilles par an au tarif de 4,20 euros TTC (contre 3 euros en 2003). En rouge, il propose un IGP de pinot noir et un assemblage syrah-mondeuse, « confluence des vins du Rhône et de la Savoie », comme le décrit Stéphanie. Cette cuvée est stockée trois ans en bouteilles avant d'être vendue 5 euros.

Lorsque Stéphanie prend en mains le domaine, il vend à 80 % aux particuliers et le solde au CHR local. Les habitués continuent de venir, mais Stéphanie se soucie du renouvellement de sa clientèle. Pendant deux à trois ans, elle participe à des foires aux vins locales une à deux fois par mois. Mais « nous avions du mal à rentabiliser, raconte-t-elle. Les emplacements coûtaient assez cher, de 100 à 150 euros. » Elle se tourne alors vers des petits marchés locaux de produits de terroir. Ce changement n'a que des avantages. « La clientèle n'est pas du tout la même que celles des salons de vins. Elle est plus attentive. Il y a moins de concurrence avec d'autres producteurs », commente Stéphanie. Par ailleurs, les frais de stand diminuent, le temps passé aussi - une journée maximum au lieu d'un week-end - et les ventes sont meilleures.

En outre, depuis 2007, ils participent début mai à « Prenez la clé des champs », un week-end de portes ouvertes chez tous les agriculteurs d'Isère et de Savoie. Une manifestation qui rencontre un vif succès. « Elle déplace les foules » de citadins. Ils sont par ailleurs adhérents du réseau « Bienvenue à la ferme » et proposent des accueils de groupes.

Le résultat dépasse leurs possibilités. Stéphanie ne parvient plus à répondre à la demande de ses clients. « On manque régulièrement de mousseux, de blanc doux et de rosé », regrette-t-elle. Dommage que la production ne suive pas ! De fait, les rendements sont très bas. Les aléas climatiques (canicule, grêle, froid...) jouent, certes, les empêcheurs de tourner en rond, mais, « dès le début, on a taillé serré en visant un rendement maximum de 40 hl/ha, explique Stéphanie. D'une part, on voulait des vins plus qualitatifs. D'autre part, cela nous suffit pour vivre. Par ailleurs, les parcelles ont des tournières importantes et il y a beaucoup de manquants à cause de l'esca. »

Aujourd'hui, le domaine compte 7 ha dont les trois quarts sont plantés de blancs. Les vignes sont enherbées naturellement et désherbées chimiquement sous le rang une à deux fois par an. Toujours pour se démarquer, Stéphanie a introduit du viognier. En 2016, elle va arracher et replanter 1 ha en viognier, mondeuse et velteliner, un cépage alpin surtout cultivé en Autriche. En rouge, elle a remplacé le gamay par du pinot noir et du velteliner rouge. Très vite, elle a arrêté de pulvériser des insecticides et anti-pourritures « car ils sont coûteux et inutiles », justifie-t-elle. Mais elle doit pratiquer un tri sévère à la vendange.

En octobre 2015, les gros emprunts arriveront à échéance. Les mensualités actuelles de 2 000 euros serviront alors à verser un salaire à Stéphanie. « Malgré les difficultés que nous avons rencontrées, on voit le bout du tunnel. On est très contents car c'est un plaisir d'élaborer son vin et de voir les clients l'apprécier et revenir en acheter », souligne Stéphanie. D'ici à deux ans, son compagnon Mario devrait quitter son travail pour s'installer enfin à ses côtés.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Stéphanie et Mario sont fiers d'avoir repris le domaine et de commercialiser tout en bouteilles, même si « c'est du travail et du temps de présence pour les ventes au caveau ».

Ils sont satisfaits des cuvées qu'ils ont sorties presqu'en désespoir de cause, comme les mousseux ou le vin blanc doux à 8 %, qui, fortes de leur succès, sont en rupture de stock.

Ils travaillent au plus près de chez eux. Hormis une parcelle qu'ils vont arracher, le vignoble est situé sur le coteau juste derrière les bâtiments. Pratique ! Surtout avec leur chenillard.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

Le couple a mal choisi son statut juridique. « On nous a conseillé de créer une SCEA. Mais c'est coûteux et inadapté, soulignent-ils. Il aurait été préférable de rester en nom propre ou de créer une EURL. »

De même, ils ont mal choisi leur comptable. Ses erreurs leur ont valu un redressement de 30 000 € par la MSA, heureusement à remboursement rééchelonné.

Ils ont tenté le désherbage mécanique sous le rang avec deux modèles de tondeuses interceps. Un échec à chaque fois, le vignoble étant trop pentu.

SA STRATÉGIE COMMERCIALE Un VRP dévoué pour les ventes aux cafés, hôtels et restaurants

- Depuis la reprise du domaine, Stéphanie a doublé les ventes aux professionnels. Celles-ci représentent aujourd'hui environ 40 % de son chiffre d'affaires. Son oncle, VRP dans le département, démarche et livre le réseau CHR, réalisant autour de 20 % des ventes. Mais, au départ, cela avait plutôt mal commencé. Les ventes ont d'abord beaucoup chuté. « De nombreux petits cafés et restaurants ont fermé, témoigne Stéphanie. Et à cause du durcissement du contrôle de l'alcoolémie au volant, beaucoup vendaient moins de vin. » Depuis cinq ou six ans, la tendance s'est inversée. Ce marché progresse à nouveau, notamment dans la région grenobloise, car les cavistes, cafés et restaurants sont très demandeurs de vins locaux. De même, surfant sur la vogue « du local », les magasins spécialisés comme Gamm Vert et la GMS locale distribuent les vins du domaine.

- « C'est également le fruit de la belle dynamique qui s'est mise en place avec une dizaine de jeunes vignerons de l'Isère, avance Stéphanie, par ailleurs présidente du syndicat des vins de l'Isère. Le concours des vins du département, remis en place il y a quatre ans, a permis de faire connaître nos domaines. »

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L'exploitation

- Surface : 7 hectares

- Appellations : IGP Isère Balmes dauphinoises, vin sans IG, vin mousseux de qualité

- Cépages : chardonnay, jacquère, viognier, veltliner, syrah, mondeuse, pinot noir et merlot

- Densité de plantation : 4 545 pieds/ha

- Tailles : guyot, cordon de Royat

- Production : 140 à 250 hl/an

- Main-d'oeuvre : elle et des occasionnels

L'essentiel de l'offre

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