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« L'important, c'est de tisser des liens »

CÉDRIC MICHELIN - La vigne - n°274 - avril 2015 - page 61

DÉBUT FÉVRIER, CHRISTOPHE CORDIER a passé une journée à présenter ses vins aux acheteurs suédois dans le Grand Hôtel de Stockholm, à l'affût des occasions à saisir.
CHRISTOPHE CORDIER, VITICULTEUR À FUISSÉ (Saône-et-Loire), fait déguster ses vins à Anders Levander (à droite), un journaliste influent, connaisseur des vins du Mâconnais. PHOTOS : C. MICHELIN

CHRISTOPHE CORDIER, VITICULTEUR À FUISSÉ (Saône-et-Loire), fait déguster ses vins à Anders Levander (à droite), un journaliste influent, connaisseur des vins du Mâconnais. PHOTOS : C. MICHELIN

LES BOURGUIGNONS PRÉSENTENT LEURS VINS à  la crème des restaurateurs, sommeliers et journalistes suédois du vin.

LES BOURGUIGNONS PRÉSENTENT LEURS VINS à la crème des restaurateurs, sommeliers et journalistes suédois du vin.

DANS LE DÉCOR HISTORIQUE DU GRAND HÔTEL DE STOCKHOLM, Christophe Cordier présente peu de vins de sa production. Son importateur Stefan Schlyter l'a aidé à choisir ceux qu'il a le plus de chances de vendre en Suède.

DANS LE DÉCOR HISTORIQUE DU GRAND HÔTEL DE STOCKHOLM, Christophe Cordier présente peu de vins de sa production. Son importateur Stefan Schlyter l'a aidé à choisir ceux qu'il a le plus de chances de vendre en Suède.

A peine arrivé au Grand Hôtel de Stockholm, le lundi 9 février, Christophe Cordier, viticulteur à Fuissé (Saône-et-Loire), va rejoindre ses trente confrères. Tous présenteront leurs vins le lendemain à des journalistes, des cavistes et des restaurateurs suédois. C'est la première étape du Wine Tour organisé par la chambre régionale de commerce et d'industrie (CRCI) de Bourgogne, l'interprofession (BIVB) et Business France. La deuxième étape emmènera certains d'entre eux en Norvège.

Les participants font connaissance et parlent affaires. Chacun jauge ses confrères et se prépare pour le lendemain...

Christophe Cordier a apporté six vins représentatifs de sa gamme où les blancs dominent : deux pouilly-fuissés, un saint-véran et des mâcons, vendus entre 7 et 30 € (45 SEK à 300 SEK) dans les magasins du monopole suédois. « J'ai choisi des vins déjà distribués dans le pays, explique le vigneron, à la tête du Domaine Cordier, (35 ha). J'espère que de nouveaux restaurateurs les référenceront. Je vise surtout les établissements avec peu de références et proposant des vins au verre, car leurs réapprovisionnements sont rapides. Je cible ensuite les restaurants, hôtels et lieux haut de gamme, pour assurer une visibilité de prestige même s'ils ne permettent pas de gros débits. »

Outre son domaine, Christophe possède une activité de négoce. Au total, il commercialise 300 000 cols par an dont 6 000 en Suède où il travaille avec l'importateur Stefan Schlyter qui vend ses vins au monopole System Bolaget (voir encadré) et aux restaurateurs.

Le réflexe réseaux sociaux. Mardi matin, 10 h 45. En anglais, Christophe accueille chaleureusement son importateur venu l'épauler pour la journée. Ils dégustent les vins ensemble. Avec son smartphone, Stefan Schlyter prend plusieurs photos qu'il publie aussitôt sur les réseaux sociaux. Dans cette grande salle, les autres exposants finissent eux aussi de préparer leur table. Tous doivent être prêts à recevoir dès 11 heures, les « 40 top sommeliers et journalistes suédois, et des restaurateurs ».

Le premier journaliste est justement « one of the top », signale Stefan, qui engage la conversation en suédois. Christophe prend le relais en anglais. Il présente son domaine de 35 ha, ses méthodes de vinification et d'élevage. Il explique qu'il vient d'acquérir un foudre avec un système intégré de bâtonnage pour une cuvée de pouilly-fuissé. Le journaliste semble intéressé, puis continue sa visite. Stefan glisse à Christophe qu'il espère obtenir un article.

Les dégustations s'enchaînent. Le code couleur sur les badges des visiteurs permet de les repérer : rouge pour les importateurs, bleu pour les sommeliers et les restaurateurs, jaune pour les journalistes et verts pour les autres : personnalités, membres de clubs du vin. Un code pratique pour les importateurs qui cochent les noms de leurs visiteurs sur la liste remise par la chambre de commerce, afin de les recontacter par la suite. Pas évident pour les Français qui s'échinent à repérer des noms souvent compliqués.

Christophe parle de ses terroirs, de l'élevage et de la vinification. Sa présentation semble immuable, mais il sait s'adapter. « Si je sens qu'un dégustateur est pressé, je passe directement à mon vin le plus haut dans la hiérarchie. » Ce n'est pas le cas aujourd'hui. De son côté, Stefan remet méthodiquement un tarif en échange des cartes de visite.

À 12 h 30, une cinquantaine de visiteurs sont déjà passés. Ce sont en majorité de jeunes urbains - entre 25 et 40 ans - au look branché, souvent tatoués et sympathiques. Il faut dire que depuis 2011 et la baisse de la TVA sur la restauration en Suède, 1 000 nouvelles adresses ont ouvert rien qu'à Stockholm ! La gastronomie française a le vent en poupe (avec l'italienne) comme le prouvent les noms de nombreux restaurants : « Brasserie Le Rouge », « Le Bistrot », « Gaston ».

Lorsqu'un badge rouge se présente, Christophe se met en retrait, par correction vis-à-vis de son importateur.

Entre deux visiteurs, le vigneron convient d'un échange de bons procédés avec Pascal Clément. Ce viticulteur de Meursault (Côte-d'Or) va parler de lui à son importatrice en Norvège. En échange, Christophe demande à Stefan d'aller déguster ses vins. « Je n'ai pas d'importateur en Norvège et Pascal n'en a pas en Suède. C'est important de tisser des liens, y compris entre nous », explique-t-il.

Arrive alors un autre journaliste influent, Anders Levander. Il pose des questions pointues : sur la nature des sols, sur les quantités produites, sur les dates de récolte... À chaque fois, Christophe lui répond précisément puis il reprend la main. Il le questionne à son tour : « Êtes-vous déjà venu dans le Mâconnais ? » « Oui », répond le journaliste. Alors Christophe promet de le relancer en rentrant afin qu'il vienne à son domaine. 15 heures, les conversations se prolongent et quelques rires résonnent par instants. Les allées s'éclaircissent. Puis à 16 h 30 déjà, le soleil couchant pénètre dans la salle et fait miroiter les lustres sur les murs dorés. Les restaurateurs sont partis préparer le dîner. Les Suédois se mettent à table vers 18 heures.

Soudain, la tension remonte d'un cran. Gad Petterson, l'acheteur du monopole se présente. Il parle français. Comme il connaît déjà les vins du Domaine Cordier pour en avoir référencé deux, Christophe change sa présentation. Il lui explique qu'il a modifié ses étiquettes en y introduisant du doré pour plus de sobriété et de classe. La dégustation est rapide. À peine le temps de lui indiquer qu'il vient de reprendre 3 ha de viré-clessé. Gad Petterson commente peu. Il juge le pouilly-fuissé 2013 non typique du cru. « Il ressemble davantage à un chassagne », lâche-t-il sans que le vigneron comprenne s'il s'agit d'un compliment ou d'un reproche.

Christophe dégaine alors sa cuvée spéciale Jean-Gustave, un pouilly-fuissé 2010. Il explique qu'il l'a élevée sur lies en fût pendant 48 mois, que c'est un vin « intéressant pour la complexité et la garde ». Il n'en a que 900 bouteilles. « Il faut savoir créer la pénurie. Et ne surtout pas demander à l'acheteur combien il serait prêt à vous en prendre », nous glisse Christophe.

Les deux hommes se connaissent un peu car, avant d'être préposé aux achats de vins français pour le monopole suédois, Gad était venu au domaine, à Fuissé. « C'est un grand amateur de vins, sensible aux bonnes choses », apprécie Christophe. Comme l'acheteur s'apprête à partir sans avoir fait part de ses intentions, Christophe essaie d'en savoir plus. Bonne nouvelle : Gad Petterson pourrait retenir son mâcon charnay et son mâcon milly-lamartine.

La nuit tombe sur Stockholm. La dégustation se termine vers 18 heures. Au dernier moment, deux importateurs se présentent. Christophe rouvre des bouteilles. Il ne veut pas rater la moindre occasion. Mais il faut abréger et libérer la salle. Et après avoir passé six heures debout, chacun ne pense qu'à se détendre. Tous vont déguster les fins de bouteilles de leurs confrères. C'est l'occasion de dresser le bilan de la journée. La grande majorité d'entre eux est ravie. Chacun en convient : « C'est important de venir à la rencontre des sommeliers, des journalistes et des importateurs ».

Après le départ de Stefan, Christophe donne une de ses bouteilles à l'importatrice qui tenait le stand voisin du sien. « Les affaires peuvent aussi se faire après une dégustation », souligne-t-il. Car, si Stefan a voulu l'exclusivité de ses vins, le vigneron n'en reste pas moins en veille au cas où les ventes seraient inférieures aux objectifs fixés.

Le soir, les viticulteurs se retrouvent et échangent longuement au restaurant puis au bar de l'hôtel. Le lendemain matin, Christophe leur dit au revoir : il rentre à Fuissé tandis qu'eux poursuivent en direction d'Oslo. Il est toujours ravi des « belles opportunités, à confirmer » qu'il a entraperçues la veille. « Un jour, on est à l'étranger et le lendemain, on est de retour dans sa vigne pour préparer une plantation. C'est passionnant », apprécie-t-il.

CIBLER LE MARCHÉ AVEC DES VINS QUI CORRESPONDENT AUX ATTENTES

- Bien sélectionner ses vins : Christophe Cordier produit une trentaine de vins. Cependant, il n'a sélectionné que six vins pour ce Wine Tour en Suède. L'idée est de ne pas présenter trop de cuvées pour permettre aux dégustateurs de se concentrer sur les vins qui conviennent le mieux au marché visé.

- Compter sur les réseaux : Christophe s'est entièrement reposé sur les organisateurs de cette dégustation, ce qui lui a permis de voyager léger. Sur place, il a échangé des tuyaux et des services avec ses confrères pour trouver de nouveaux débouchés.

- Choisir le bon importateur : Christophe a choisi Stefan Schlyter parce qu'il a de bonnes relations avec le monopole suédois et qu'il travaille avec un portefeuille de restaurants haut de gamme. Ces derniers assurent une visibilité de prestige aux vins du Domaine Cordier. « Je travaille plus ma réputation que ma communication », explique le viticulteur.

Voyageur léger

Christophe a payé 1 000 € pour participer à cette présentation au Grand Hôtel de Stockholm, les deux nuits d'hôtel comprises. « C'est bien pour une dégustation clé en main », apprécie-t-il. Les viticulteurs qui se sont ensuite rendus à Oslo pour la deuxième dégustation ont payé 2 500 €. Avant l'événement, il a envoyé ses cartons à la chambre régionale de commerce et d'industrie à Chalon-sur-Saône qui a centralisé les documents douaniers et expédié les vins de tous les participants vers le lieu de dégustation. Il n'a emporté que trois stop-gouttes et des cartes de visite. Il s'est envolé avec Easyjet depuis Genève (120 € AR), sans brochure ni signalétique pour son stand. C'est son importateur qui a apporté les tarifs.

Un monopole astucieux

42 900 € de PIB (produit intérieur brut) par Suédois contre 30 600 € en moyenne par Français. Pas de doute, la Suède et ses 9,7 millions d'habitants sont globalement « riches ». C'est le neuvième marché en valeur pour les vins de Bourgogne, selon le BIVB. 80 % des ventes se font dans trois villes : Stockholm, Göteborg et Malmö.

« Et Stockholm représente 80 % de ce total », souligne Johan Lidby, un des 900 importateurs du pays. La société publique System Bolaget détient le monopole de la vente aux particuliers. Elle réalise 90 % des ventes de vins grâce à son réseau de boutiques. Elle est approvisionnée par des importateurs qui sont également autorisés à vendre directement aux restaurants, qui représentent 8 % du marché. Les 2 % restants correspondent aux commandes directes des particuliers sur des sites étrangers, un phénomène que l'État combat. Ceux qui veulent passer une commande en ligne peuvent le faire sur le site de System Bolaget. Ils y trouvent des vins sélectionnés par les importateurs et non par le monopole. Et si ces bouteilles se vendent mieux que les références du monopole, elles prendront leurs places. Une manière pour System Bolaget de renouveler son offre selon les goûts de ses clients.

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