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AU COEUR DU MÉTIER

« Notre force, c'est notre réactivité »

FLORENCE BAL - La vigne - n°276 - juin 2015 - page 26

À SAINT-NICOLAS-DE-BOURGUEIL, en Indre-et-Loire, François et Antoine Jamet ciblent résolument le circuit traditionnel. Selon eux, c'est une stratégie moins risquée que la grande distribution et moins onéreuse que la vente à l'export.
LE TABLEAU DE BORD DE LEURS EXPLOITATIONS

LE TABLEAU DE BORD DE LEURS EXPLOITATIONS

CIRCUIT TRADITIONNEL OBLIGE, François (à droite) livre tous les quinze jours, à Montsoreau, un village très touristique, le café-restaurant Le P'tit Bar, tenu par Sonia et Jean-Marie Poujade qui apprécient tout particulièrement les 50 cl, les magnums et les bulles de Loire rosé. F. BAL

CIRCUIT TRADITIONNEL OBLIGE, François (à droite) livre tous les quinze jours, à Montsoreau, un village très touristique, le café-restaurant Le P'tit Bar, tenu par Sonia et Jean-Marie Poujade qui apprécient tout particulièrement les 50 cl, les magnums et les bulles de Loire rosé. F. BAL

DÉBUT MAI, une fois le risque de gel passé, c'est l'heure de l'ébourgeonnage au domaine, en compagnie des deux propriétaires, Antoine (à gauche) et François Jamet. F. BAL

DÉBUT MAI, une fois le risque de gel passé, c'est l'heure de l'ébourgeonnage au domaine, en compagnie des deux propriétaires, Antoine (à gauche) et François Jamet. F. BAL

PETITE DÉMONSTRATION DE BÂTONNAGE. Les deux frères Jamet montrent ici les deux manières employées pour bâtonner les vins classiques avec une tige en fer ou en faisant tourner les barriques sur leur support Oxiline. PHOTOS : F. BAL F. BAL

PETITE DÉMONSTRATION DE BÂTONNAGE. Les deux frères Jamet montrent ici les deux manières employées pour bâtonner les vins classiques avec une tige en fer ou en faisant tourner les barriques sur leur support Oxiline. PHOTOS : F. BAL F. BAL

AVANT LE DÉBUT DES TRAITEMENTS, les frères Jamet contrôlent le pulvérisateur S21 à panneaux récupérateurs qu'ils ont acquis. F. BAL

AVANT LE DÉBUT DES TRAITEMENTS, les frères Jamet contrôlent le pulvérisateur S21 à panneaux récupérateurs qu'ils ont acquis. F. BAL

DANS LEUR CHAI (photo ci-dessus), Antoine et François préparent le soutirage. Un duo qui fonctionne et leur permet de prendre des vacances ! F. BAL

DANS LEUR CHAI (photo ci-dessus), Antoine et François préparent le soutirage. Un duo qui fonctionne et leur permet de prendre des vacances ! F. BAL

LA RÉACTIVITÉ est une des clés du succès. Ainsi, trois livraisons par semaine sont effectuées vers la restauration parisienne. F. BAL

LA RÉACTIVITÉ est une des clés du succès. Ainsi, trois livraisons par semaine sont effectuées vers la restauration parisienne. F. BAL

Les frères François et Antoine Jamet débordent d'enthousiasme sur leur métier de vigneron indépendant. À 40 et 34 ans, ils sont à la tête de deux exploitations viticoles à Saint-Nicolas-de-Bourgueil, en Indre-et-Loire : le domaine des Valettes et le Clos du Vigneau. Leurs parents, Francis et Annick, ont créé la première. Elle compte 27 ha et commercialise l'ensemble de sa production en direct, soit 180 000 cols. La seconde, d'une surface de 25,5 ha, a été reprise par les fils en 2012. Ils vendent 70 % de sa production en vrac.

À contre-courant de la tendance, ils ciblent résolument le circuit traditionnel. Une stratégie moins risquée que de miser sur la grande distribution et plus adaptée à leur offre que l'exportation. « L'export coûte très cher, expliquent-ils. Et les acheteurs étrangers privilégient les blancs de Loire. Pour les rouges, ils se tournent plutôt vers les régions du Sud. Or, tous nos vins sont rouges, hormis 2 000 bouteilles de blanc. »

Après leurs études, François et Antoine ont multiplié les expériences en France. Ils ont travaillé dans des coopératives et des négoces, pour des vignerons indépendants, dans des laboratoires d'oenologie, à l'IFV, à Inter Rhône et à l'étranger (Angleterre, États-Unis, Australie, Espagne). « Une force avant de revenir sur le domaine », estiment-ils.

François rejoint ses parents en 2001 ; Antoine, en 2008. À l'arrivée de François, ses parents vendaient déjà tout en bouteilles. Trois ans plus tard, afin d'honorer une commande d'une enseigne de grande distribution (GD), ils créent une SARL qui achète 20 000 cols par an en tiré-bouché en sus de leur production. Mais travailler avec la GD est à double tranchant. « D'un côté, elle prend des volumes, à des prix corrects, raconte François. Et il y a une réelle efficacité d'enlèvement et de facturation. » « Mais quand on saute, on saute ! complète Antoine. Lorsqu'on avait pris l'habitude de vendre de gros volumes, c'est dur. » Leur contrat a été arrêté en 2007.

Aujourd'hui, les deux frères commercialisent très peu en grande distribution, même s'ils restent ouverts à des demandes ponctuelles. Ils vendent les trois quarts de leur production conditionnée au circuit traditionnel. 80 % des clients de ce circuit sont issus du Salon des vins de Loire, auquel ils participent tous les ans. « C'est l'indispensable grand-messe annuelle, jugent-ils. En trois jours, on voit tout le monde : les agents commerciaux, les clients et des prospects. Le bouche-à-oreille fait le reste. »

« Notre marché est à la fois très ciblé, puisque nous visons le circuit traditionnel, et très atomisé puisque nous multiplions les clients et les revendeurs locaux et régionaux. C'est un maillage de grossistes, d'une quinzaine d'agents commerciaux responsables d'un ou deux départements et de restaurateurs avec lesquels nous travaillons en direct, explique François Jamet. C'est très complexe à gérer, lourd à dynamiser et il faut savoir résoudre les couacs sur le terrain. Nous devons tenir compte des exclusivités des agents et des zones de chalandise des grossistes pour qu'ils ne se fassent pas concurrence entre eux. Nous devons veiller au respect des tarifs. On ne peut pas permettre à un de nos grossistes de torpiller notre stratégie commerciale en bradant nos vins pour faire un coup. » Une mésaventure qui leur est arrivée en 2007.

À la demande des agents commerciaux, les deux frères les accompagnent une vingtaine de journées par an sur le terrain. « C'est primordial pour déclencher une affaire, constatent-ils. Les restaurateurs sont toujours plus contents de voir le vigneron que le commercial. » Primordial, mais chronophage, comme l'est la gestion commerciale de toute cette clientèle.

« Les restaurateurs veulent un prix, mais aussi une logistique qui suit avec une facturation unique et des livraisons rapides », confient-ils. Antoine et François sont donc extrêmement réactifs. « C'est la clef de notre réussite, explique Antoine. Si on reçoit un mail à 8 heures, la réponse est partie à 8 h 30. »

Dans le même esprit, ils font appel à un service de messagerie qui enlève et livre les commandes trois fois par semaine pour Paris, et deux fois pour les autres régions. Il diffuse leurs vins sur toute la façade atlantique de Calais à Biarritz, en région parisienne, dans le centre, à Toulouse et à Lyon.

Dans leur bureau, les ordinateurs sont en réseau. Si, sur le papier, Antoine supervise la technique et François le commerce, en réalité, ils sont interchangeables à tous les postes. « Tout est écrit, si bien que nous pouvons répondre à toute demande dans les plus brefs délais. »

Comme ils sont situés à quelques kilomètres de Saumur et Montsoreau, zones très touristiques du Val de Loire, ils chouchoutent particulièrement les restaurateurs de ce secteur. « Dès qu'un client du Saumurois appelle pour une livraison, on contacte tous les autres pour savoir si eux aussi souhaitent être livrés, relatent-ils. En deux secondes, c'est réglé : ils nous disent non ou oui avec la quantité souhaitée. » Résultat : à chaque tournée, ils livrent trois cents bouteilles en deux heures.

« Vendre en restauration donne une bonne image au domaine », ajoutent-ils. Les touristes ayant découvert leurs vins au restaurant viennent ensuite les déguster au domaine. Le succès est au rendez-vous : depuis 2006, le chiffre d'affaires du domaine des Valettes augmente en moyenne de 4,4 % par an.

François et Antoine ont étoffé leur gamme, mais ils la gardent volontairement restreinte. Le domaine des Valettes propose ainsi cinq vins : un rosé créé en 2001, un saint-nicolas-de-bourgueil haut de gamme mis au point en 2005, un anjou méthode traditionnelle rosé, dénommé Bullez, sorti en 2008 et les deux cuvées historiques saint-nicolas-de-bourgueil et bourgueil vieilles vignes.

En 2008, à l'arrivée d'Antoine, les deux frères réfléchissent à l'évolution du domaine car « une entreprise qui ne se développe pas recule », estiment-ils. Ils examinent ainsi plusieurs axes : ouvrir un magasin de vente au détail ou monter des gîtes ruraux. Finalement, ils ont l'occasion de reprendre le Clos du Vigneau, propriété tenue par un cousin de leurs parents. Un financier acquiert les 25,5 ha de vignes qu'ils prennent en location. Ils rachètent l'exploitation, sans les stocks.

La reprise est difficile. François et Antoine avancent un an de trésorerie avant de mettre leur premier millésime 2012 en vente. Coup du sort ? D'entrée de jeu, ils perdent un marché d'environ 50 000 cols par an que le Clos du Vigneau avait avec l'enseigne Nicolas car celle-ci restreint son offre. Un sacré coup dur. « Heureusement, les cours du vrac étaient assez élevés, ce qui nous a sauvés », racontent-ils.

Actuellement, ils vendent 70 % de la production du Clos du Vigenau en vrac. Ils comptent valoriser l'ensemble en bouteilles d'ici à dix ans, toujours en ciblant le circuit traditionnel mais, cette fois-ci, via les distributeurs et les grossistes nationaux. Ils travaillent avec le réseau C10 et les agents commerciaux en franchise Winetailors. « Nous ne voulons pas dupliquer le système mis en place avec le domaine des Valettes. Ainsi, nos deux exploitations seront complémentaires », expliquent-ils. Ils veulent aussi simplifier les choses : pour le Clos du Vigneau, leur ambition est que l'unité de vente soit la palette.

« Nous aurions pu vendre l'intégralité de la production du Clos du Vigneau auprès de la grande distribution. Nous avons préféré nous engager dans cette voie plus longue, plus laborieuse mais moins risquée, continuent-ils. Les distributeurs nationaux ont été intéressés car nous sommes très réactifs et nous leur assurons des étiquettes exclusives. Par ailleurs, nous jouons la carte de la transparence totale entre les réseaux qui distribuent nos deux domaines. »

Les frères entendent bien conserver deux entités distinctes. « S'il y avait un jour une mésentente entre nous, la séparation serait plus facile », expliquent-ils. Cela leur permet aussi d'anticiper une future transmission bien qu'elle ne soit pas à l'ordre du jour. Mais François et Antoine Jamet voient loin.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

« On s'entend bien et le fait d'être deux, nous permet de prendre des vacances. ».

Après avoir hésité, ils ont fait des études supérieures en technique, commerce et gestion d'entreprise, puis cumulé les expériences en France et à l'étranger. C'est une force. « Cela aurait été une erreur d'arrêter nos études en terminale. »

Ils ont mis en place une gestion du personnel incitative et souple, avec des primes à l'implication dans le travail et un système de contrôle clair. Tous les salariés sont autonomes. Ils ne les voient qu'une fois par semaine.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

À la reprise du Clos du Vigneau en 2012, ils auraient dû fermer son caveau de vente et centraliser les ventes aux particuliers sur leur domaine des Valettes. Ils ont attendu un an pour le faire car ils craignaient de perdre des clients historiques. C'était une erreur.

En 2010, ils ont produit de l'anjou blanc à partir de moûts achetés, histoire de tester le marché. Résultat ? « Les ventes restent faibles. Les clients viennent chez nous pour les rouges. » Ils ne renouvelleront pas l'expérience et ne planteront pas de chenin comme ils l'avaient envisagé un temps. « Ce serait compliqué de gérer une petite parcelle de chenin car les traitements sont décalés par rapport au cabernet franc. »

LA BONNE SURPRISE « On peut vendre nos vins plus cher qu'on l'imaginait »

- Avant de racheter le Clos du Vigneau, François et Antoine Jamet n'imaginaient pas vendre un saint-nicolas-de-bourgeuil à 14,50 TTC le col. C'était le prix de la cuvée haut de gamme du Clos, un vin baptisé D'Or Ange. Malgré leurs doutes, ils ont maintenu son prix. Bonne pioche. Car, à leur grand étonnement, il se vend bien. « On s'est rendu compte que les clients n'ont pas forcément d'a priori sur les prix des vins », expliquent-ils. Ce sont eux qui avaient des a priori sur les clients !

- Du coup, ils ont augmenté leur haut de gamme du domaine des Valettes de 10 à 11 €, sans problème. « Si, à notre arrivée, nous avions dit à nos parents qu'un jour nous vendrions un bourgueil à ce prix-là, ils nous auraient répondu "Vous êtes fous !!! ". Mais aujourd'hui, c'est bien ce qui se passe... au prix d'un travail considérable. »

- Le rendement de la cuvée D'Or Ange est très faible : de 20 à 25 hl/ha. Les vignes sont effeuillées manuellement sur les deux faces des rangs. Les vins sont élevés pendant deux ans en barriques, neuves à 80 %. La production s'élève à 1 500 bouteilles. « C'est très bon. On se fait plaisir en élaborant un vin au top. On a d'excellents retours dans la presse. Mais c'est moins rentable que de faire du rosé à 5 €/col, vendu en mars après la récolte », commente Antoine.

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L'exploitation

- Surface : 27 ha (domaine des Valettes) et 25,5 ha (le Clos du Vigneau).

- Main-d'oeuvre : eux, 4,5 salariés permanents, plus des occasionnels.

- Appellations : Saint-Nicolas-de-Bourgueil (45 ha), Bourgueil (4,5 ha), Anjou, Anjou méthode traditionnelle, Anjou blanc (achat de raisin)

- Cépage : cabernet franc.

- Densité : 5 000 pieds/ha.

- Taille : guyot simple.

- Production totale : 2 700 hl.

L'essentiel de l'offre

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