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AU COEUR DU MÉTIER

« Avec le rendu mise, j'ai trouvé une identité »

COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°278 - septembre 2015 - page 22

À LANDERROUAT, EN GIRONDE, Philippe Liberatore s'est lancé dans la bouteille pour sortir de l'anonymat du vrac. Plus que la vente directe, c'est la vente au négoce en rendu mise qui lui a permis de faire éclore son Château Jaron.
LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

CAROLINE ET PHILIPPE LIBERATORE ont développé leur propre  identité en commercialisant leurs vins en bouteilles dans les trois couleurs. P. ROY

CAROLINE ET PHILIPPE LIBERATORE ont développé leur propre identité en commercialisant leurs vins en bouteilles dans les trois couleurs. P. ROY

AFIN DE RÉCOLTER À MATURITÉ, Philippe passe régulièrement dans ses vignes pour prélever et déguster des baies.  P. ROY

AFIN DE RÉCOLTER À MATURITÉ, Philippe passe régulièrement dans ses vignes pour prélever et déguster des baies. P. ROY

 P. ROY

P. ROY

LE VIN, COMMERCIALISÉ SOUS LE NOM DE CHÂTEAU JARON, a gagné en qualité. Les trophées ne se sont pas fait attendre. Dernier en date : la médaille d'or au concours de Bordeaux 2014. P. ROY

LE VIN, COMMERCIALISÉ SOUS LE NOM DE CHÂTEAU JARON, a gagné en qualité. Les trophées ne se sont pas fait attendre. Dernier en date : la médaille d'or au concours de Bordeaux 2014. P. ROY

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P. ROY

LA CUVÉE GIARA, élevée en jarres, sera mise en vente en 2016.  P. ROY

LA CUVÉE GIARA, élevée en jarres, sera mise en vente en 2016. P. ROY

C'est sa fierté : vous emmener dans le chai où sont sagement alignées ses seize jarres ovoïdes. Philippe Liberatore, à la tête de Château Jaron, à Landerrouat, en Gironde, y élève la cuvée Giara (jarre en italien), un bordeaux supérieur, merlot à 95 %, qu'il commercialisera à partir de janvier 2016 auprès des particuliers et de son principal client négociant.

L'entrée en coopérative

Que de chemin parcouru depuis 1994 ! Cette année-là, Philippe Liberatore reprend la propriété de ses parents, italiens d'origine. Celle-ci compte 13,5 ha de vignes et 2,5 ha de céréales et vend ses vins en vrac au plus offrant.

En 1998, le vigneron épouse Caroline qui apporte, dans sa corbeille de mariée, 17 ha en AOC Bordeaux, situés sur les communes de Soussac et de Saint-Antoine-du-Queyret, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Landerrouat. Que faire de ces vignes ? Leur comptable leur souffle une idée : pourquoi ne pas apporter les raisins à la cave coopérative de Cazaugitat, à 2 km de Soussac ? Banco !

Philippe Liberatore saute le pas en 2003. La même année, il démarre un partenariat avec les Grands Chais de France par l'entremise du courtier Xavier Coumau. L'année suivante, la cave de Cazaugitat fusionne avec celle de Landerrouat. Les règles du jeu changent. Au lieu de payer la récolte en un an, la coop étale les versements sur quatre ans. « Nous avons eu peur de manquer de trésorerie malgré le système d'avance mis en place », se souvient Caroline.

Par la suite, la rémunération s'est avérée insuffisante. « Sur ces 17 ha en coop, je faisais les mêmes traitements que dans nos vignes dédiées au vin en vrac. On perdait de l'argent. En 2010, le coût de production était de 100 €/hl. La coopérative nous payait seulement 67 €/hl », renchérit Philippe. Cette situation ne pouvait pas durer.

Des investissements pour améliorer la qualité

D'un commun accord avec la coopérative, il en sort 7 ha, sans pénalités, et y laisse les 10 ha restants. Il décide de vinifier lui-même les raisins issus de ces 7 ha et de se lancer dans la bouteille. « Quand on fait du vrac, on n'existe pas, explique-t-il. On est anonyme. La recherche de l'identité passe par la bouteille. » Pour vinifier la récolte supplémentaire, il acquiert quatre cuves d'une capacité totale de 550 hl qui s'ajoutent à la vingtaine de cuves en Inox et en béton qu'il possède déjà. Et surtout, il monte en qualité avec l'arrivée d'un nouvel oenologue : Jean-Louis Vinolo. Ce dernier préconise de faire de la micro-oxygénation, histoire d'arrondir les tanins et de fixer la couleur. Philippe investit 5 800 € dans quatre postes diffuseurs. Il équipe aussi toutes les cuves de drapeaux et acquiert un nouveau groupe de froid pour mieux maîtriser les températures de fermentation et de conservation. À la place des remontages classiques, il réalise trois ou quatre délestages et suit plus rigoureusement la vinification en dégustant ses cuves deux fois par semaine avec son oenologue.

À la vigne aussi, ça change : Philippe effectue deux traitements antibotrytis par an contre un seul auparavant. Il pratique l'effeuillage sur toutes les parcelles. Pour améliorer la maturité, il réalise des traitements foliaires à base d'algues marines et s'organise pour récolter chaque parcelle à maturité. À cette fin, il passe régulièrement dans les vignes avec son oenologue pour y prélever et déguster des baies.

Les efforts récompensés

Ces efforts payent : son bordeaux rouge 2010 rafle une médaille d'or au concours des vins de Bordeaux et une médaille d'argent au concours général agricole de Paris. « C'est là que je me suis vraiment rendu compte de l'amélioration de la qualité de notre vin », souligne le vigneron. Au même moment, un négociant à l'exportation s'intéresse à ses vins.

Nouvelle commercialisation en rendu mise

Il lui achète un quart de son bordeaux rouge en rendu mise sous le nom de Château Jaron, pour le vendre en Belgique. Dans ce mode de commercialisation, le négociant vient sur la propriété et fait lui-même la mise en bouteille. « Cela nous permet de mieux valoriser nos vins », explique Philippe. Il décide donc de développer ce marché.

En 2013, les dix hectares dédiés à la coopérative de Landerrouat reviennent dans le chai de Château Jaron. Philippe injecte 27 500 € supplémentaires dans huit cuves : quatre de 150 hl et quatre de 100 hl. Il aménage une ancienne grange pour y accueillir cette cuverie. Il se dote de quatre nouveaux postes de micro-oxygénation pour 6 200 € et dépense 11 000 € pour renforcer le groupe de froid.

Résultat : en 2014, il vend 50 % de son bordeaux rouge en rendu mise au négociant spécialisé dans l'exportation. Le reste est vendu en vrac ou en rendu mise à d'autres négociants. En parallèle, les ventes directes en bouteilles progressent petit à petit. « Mais cela reste marginal car je manque de temps pour m'en occuper et Caroline également car elle travaille comme secrétaire de mairie. En fait, c'est avec le rendu mise que j'ai trouvé une identité », indique Philippe Liberatore.

Depuis 2012, la propriété adhère au SME, le système de management environnemental du CIVB, l'interprofession des vins de Bordeaux. Dans cette optique, Philippe a mis en place un dispositif de traitement des effluents phytosanitaires et a aménagé un local pour son ouvrier avec une douche, des toilettes, un réfrigérateur, un évier, un micro-ondes... Des améliorations qu'il souhaiterait mettre en avant. « Nous voulons qu'il y ait plus de communication autour du SME et que le CIVB nous autorise à apposer un logo sur nos bouteilles. » Pour l'heure, cela reste un voeu pieux. En attendant, pour répondre à la demande des négociants, Philippe a pris 7 ha de vignes en fermage sur la commune de Pellegrue depuis novembre dernier.

À 44 ans, il n'est pas mécontent du chemin parcouru, même s'il ne peut s'empêcher d'avoir des regrets : « J'ai produit trop longtemps du bordeaux en vrac. J'avais peur de me lancer dans la bouteille. Cela me paraissait compliqué. En fait, je suis un pessimiste mais je veux avancer et bien faire ! », lâche-t-il.

Le goût de l'innovation

Ainsi, en 2013, Philippe a envie de produire une cuvée de prestige en rouge. Tout le monde élève ses vins en barriques. Comment se singulariser ? Sur Internet, il découvre des potiers qui façonnent des jarres dans lesquelles on peut élever des vins. Il se rapproche de la poterie Terre d'Autan, près de Castelnaudary, dans l'Aude, qui tourne des amphores à la main. « Ils nous ont expliqué qu'il se produit la même micro-oxygénation qu'en barrique, sans le goût boisé. La porosité de la terre cuite permet cet apport d'oxygène », rapporte Philippe.

Conquis, il se dote de seize jarres d'une contenance de 140 à 150 litres chacune. De quoi produire 3 000 bouteilles. « Élever un vin en jarre, ce n'est pas un gadget. Nous nous sommes lancé ce défi car nous voulons produire la quintessence du vin. Pour élaborer cette cuvée, nous avons choisi les vignes les plus vieilles et les mieux exposées. Nous avons pratiqué un éclaircissage et vinifié les raisins à part », indique le vigneron. Mais dans les faits, l'expérience ne fut pas sans surprises puisque la consume s'est avérée très importante.

Philippe, qui aime innover, n'en reste pas là. En 2014, il arrête les céréales qu'il produisait sur 2,5 ha. À la place, il plante 3 000 pieds de tannat, un cépage oublié à Bordeaux, et 1 500 pieds de malbec sur 1,5 ha. Deux cépages « bourrés de polyphénols » avec lesquels il va élaborer un vin IGP. La première récolte est attendue pour 2017.

Avec Caroline, il aimerait bien développer la clientèle particulière. Pour attirer les consommateurs, ils ont aménagé, au printemps 2014, une aire pour les camping-cars qui jouxte les chais et la propriété. Le séjour est gratuit. Une vingtaine de véhicules a fréquenté le Château Jaron l'an passé, entre mai et octobre. Les touristes repartent avec, au moins, trois ou quatre cartons de bouteilles.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

En 2010, Philippe a fait le choix de monter en qualité. « La même année, nous avons été récompensés par deux médailles pour notre bordeaux rouge », explique-t-il. Et il a remporté d'autres médailles depuis.

Avec le rendu mise, Philippe et Caroline ont le sentiment de maîtriser leur image et « d'exister » enfin, après 16 ans de carrière.

Caroline a conservé son poste de secrétaire de mairie. Cela lui permet d'avoir un regard extérieur. Et son salaire est une sécurité.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'IL NE REFERA PLUS

« Au début de ma carrière, j'avais peur des investissements à faire si je me lançais dans la bouteille. Alors, j'ai préféré aller en coopérative. C'était une erreur. Ensuite, je suis resté trop longtemps dans le marché du vrac. Je le regrette. »

En 2013, Philippe a produit 15 hl d'un rosé plus fruité et légèrement sucré, contrairement au bordeaux. Il l'a revendiqué en IGP Atlantique et reçu une médaille d'or au concours des vins de Bordeaux. Le hic : cavistes et négoces n'achètent pas. « Ce n'est pas du bordeaux rosé. Cela n'intéresse pas le négoce », indique Philippe qui le vend aux particuliers.

SA STRATÉGIE COMMERCIALE Miser sur les concours pour négocier de meilleurs prix

- Les distinctions pleuvent sur les vins de Château Jaron. Deux médailles pour son bordeaux rouge 2010 : l'or au concours des vins de Bordeaux et l'argent au concours agricole de Paris. Deux médailles d'or pour son 2013 : l'une au concours international de Lyon et l'autre au concours de Bordeaux. Et une médaille d'or pour son rosé IGP 2013 à Bordeaux. Philippe Liberatore ne cache pas sa satisfaction. Il mise sur les récompenses pour valoriser son travail.

- Avec des vins médaillés, « on se sent plus costaud pour négocier avec les acheteurs, confie le viticulteur. On a les cartes en main. Je négocie mon bordeaux rouge médaillé à 1 600 € le tonneau (900 l) alors que le cours ne dépasse pas 1 100 € du tonneau. La plus-value est certaine ».

- Il choisit de participer aux concours selon leur renommée. Ceux de Paris, Bordeaux et Lyon ont sa préférence. « Ces concours ont une très bonne cote auprès du négoce. J'observe que celui de Lyon prend de l'ampleur », souligne-t-il.

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L'exploitation

- Main-d'oeuvre : Philippe, Caroline, qui donne des coups de main, et un ouvrier en CDI.

- Encépagement : merlot (53 %) ; cabernet-sauvignon (22 %) ; cabernet franc (10 %) ; malbec (5 %) ; sauvignon blanc (8 %) ; muscadelle (1 %) ; sémillon (1 %).

- Densité : 5 000 à 2 900 pieds/ha.

- Taille : guyot simple et double.

- Production 2014 : 1 313 hl de bordeaux rouge, 25 hl de bordeaux supérieur, 180 hl de rosé, 10 hl de blanc et 100 hl vendus en vendange fraîche.

L'essentiel de l'offre

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