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VIGNE - Interview

ALEXANDRE PONS, ISVV DE BORDEAUX : « Attention aux récoltes tardives »

PROPOS RECUEILLIS PAR BERTRAND COLLARD - La vigne - n°278 - septembre 2015 - page 30

Les raisins récoltés après leur maturité optimale donnent des vins moins stables sur le plan micro-biologique et marqués par des notes de fruits cuits.

Chercheur détaché par la tonnellerie Seguin Moreau à l'ISVV de Bordeaux, Alexandre Pons dirige une thèse sur les notes de fruits cuits dans les vins rouges. Dans le cadre de ce travail, il a remarqué que retarder de quelques jours seulement la date de récolte peut fortement modifier le profil aromatique et la stabilité microbiologique des vins. Il en tire les conséquences pour la pratique.

Pouvez-vous nous rappeler l'objet de votre expérience ?

Alexandre Pons : En 2012, avec Joana Coulon de la société Laffort, nous avons voulu évaluer les conséquences d'une récolte tardive en conditions réelles. Nous avons travaillé sur une propriété du Médoc. Nous y avons récolté une même parcelle de cabernet-sauvignon à trois dates. La première vendange était avancée de quatre jours par rapport à la date fixée par le directeur technique du château. La deuxième a eu lieu le jour prévu par le directeur et la troisième quatre jours plus tard. Nous avons vinifié ces raisins en cuves de 10 hl. Puis nous avons élevé les vins un an en fûts.

Qu'avez-vous constaté ?

A. P. : Alors que les dates de récolte étaient assez rapprochées, à notre plus grand étonnement, nous avons observé des différences notables du point de vue microbiologique et surtout sensoriel.

Et plus précisément... ?

A. P. : À maturité, le moût était peu odorant. Quatre jours plus tard, il présentait des notes de fruits cuits, particulièrement de figue et de pruneau, que nous avons retrouvées dans les vins en fin d'élevage.

Quels enseignements en tirez-vous ?

A. P. : L'analyse olfactive et gustative des moûts et des baies est indispensable pour déterminer la date de récolte. L'analyse des paramètres physico-chimiques traditionnels ne suffit pas. Au-delà du côté herbacé, qui est toujours présent, il faut se concentrer sur l'apparition du caractère de fruits cuits qui peut être très rapide. Si vous percevez ce caractère dans le moût, vous le retrouverez dans le vin.

Qu'avez-vous vu sur le plan microbiologique ?

A. P. : Il a suffi de quatre jours pour avoir une hausse importante de la flore microbienne présente dans les baies, essentiellement des levures non-Saccharomyces. Dans les lots que nous avons levurés, cela n'a pas eu d'effet sur la durée de la fermentation alcoolique (FA). Mais dans les lots que nous n'avons pas levurés, nous avons observé des FA languissantes. Il en est de même pour la fermentation malolactique qui s'est déroulée spontanément dans tous nos essais. Elle a duré 18 jours dans les raisins récoltés avant la maturité optimale et 27 jours dans le lot vendangé après. Et au bout d'un an d'élevage en fût, le vin issu des raisins récoltés tardivement renfermait 50 % d'éthyl-phénols de plus que le témoin. Enfin, nous avons observé un taux de combinaison plus élevé du SO2.

Que recommandez-vous aux viticulteurs qui récoltent tardivement leurs rouges ?

A. P. : Nous insistons sur la nécessité de bien maîtriser la fermentation alcoolique, puis l'évolution des vins en cours d'élevage. Ces vins sont plus instables sur les plans chimique et microbiologique. Si l'on ne prend pas garde à l'hygiène et au niveau de SO2 actif, on s'expose à des risques importants de déviations avec l'apparition notamment d'éthyl-phénols et, dans certains cas, à une évolution oxydative rapide de l'arôme des vins. Nous attirons d'autant plus l'attention des vinificateurs sur ces risques que certains crus retardent de 15 jours leur récolte alors qu'ici nous ne l'avons repoussée que de quatre jours avec, déjà, des conséquences importantes.

Faut-il renoncer aux maturités avancées ?

A. P. : Ce n'est pas à moi de le dire. Tout dépend du projet du vinificateur et de ses débouchés. Si ses marchés recherchent ces caractères de fruits cuits, il n'a pas de raison d'y renoncer. Toutefois, il doit se prémunir contre les risques de déviations organoleptiques en cours d'élevage, de fermentations alcooliques languissantes s'il ne levure pas et les risques liés à une fermentation malolactique plus longue. Au final, l'oenologue qui signe son vin doit avoir à l'esprit que la recherche d'une maturité excessive rend le vin beaucoupplus fragile, entamant notamment son aptitude à la garde.

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