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ne fois n'est pas coutume, les juges suprêmes se sont penchés sur le sort d'un ouvrier agricole, de nationalité étrangère de surcroît. En 1994, Djamel a été embauché pour des travaux saisonniers par l'exploitation Bonfrères, dans les Bouches-du-Rhône, pour la récolte et la taille. Il signe un contrat de huit mois. Djamel est marocain. À ce titre, il ne peut être employé plus de huit mois sur douze, selon la réglementation de l'Office des migrations internationales (aujourd'hui Anaem). Ses patrons se contentent donc de ses services pendant la durée maximale autorisée. Satisfaits de son travail, ils font de nouveau appel à lui l'année suivante, pour la même durée. Et c'est ainsi que, pendant près de quinze ans, le même modèle de contrat de travail sera renouvelé tous les ans, sans contestation.
Les choses se gâtent lorsque Djamel, conseillé par un syndicat local, engage une procédure aux Prud'hommes en 2009. Il entend faire valoir ses droits pour bénéficier de la prime d'ancienneté et pour faire requalifier son contrat de travail saisonnier en contrat à durée indéterminée. Pour justifier son droit à la prime d'ancienneté, il avance deux arguments. D'abord, l'article 36 de la convention collective des exploitations agricoles des Bouches-du-Rhône, selon lequel cette prime peut être attribuée au salarié totalisant trois ans minimum de présence sur l'exploitation en contrat à durée indéterminée ou déterminée. Ensuite, l'article L 1244-2 du code du travail. Celui-ci indique de manière claire que « pour calculer l'ancienneté du salarié, les durées des contrats de travail à caractère saisonnier successifs dans une même entreprise sont cumulées ».
Cependant, la cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui a hérité de l'affaire, a estimé que Djamel ne pouvait pas exiger la prime d'ancienneté. Selon elle, les seuls contrats visés par le code du travail sont ceux « comportant une clause de reconduction pour la saison suivante ». Or, dans le cas présent, il n'existait aucune clause assurant à l'ouvrier un emploi l'année suivante. Pour la cour d'appel, l'affaire était donc pliée.
Mais la Cour de cassation n'a pas admis cette lecture du code du travail. Elle casse le jugement d'appel et rappelle que les durées de contrat peuvent être cumulées pour calculer l'ancienneté, sans autre condition. Djamel est donc bien en droit de réclamer sa prime d'ancienneté. Mais il n'aura pas gain de cause sur la question de la requalification de ses contrats saisonniers en un contrat à durée indéterminée, du moins pour le moment. La cour d'appel avait rejeté sa demande estimant « qu'il ne peut être contesté le caractère saisonnier des tâches confiées au salarié ». En effet, chaque année, Djamel était embauché pour la récolte puis la taille, sans être employé pendant « toute la période d'ouverture de l'entreprise », à savoir toute l'année. Ce simple constat permet à la cour d'appel d'affirmer que le travail était saisonnier. Mais il n'a pas suffi à la Cour de cassation. Selon elle, il fallait vérifier la nature exacte des travaux accomplis par Djamel. Étaient-ils strictement liés à la saison et au cycle de la culture ? Ou l'ouvrier était-il embauché pour réaliser des tâches liées à l'activité permanente de l'entreprise, comme il l'affirme ?
La Cour de cassation observe que la cour d'appel n'a pas répondu à ces questions, qu'elle n'a pas suffisamment précisé « la nature et la date des différents emplois ayant donné lieu à la conclusion des contrats saisonniers litigieux ». Et en jugeant ainsi, sans « vérifier si le salarié avait été affecté à l'accomplissement de tâches à caractère strictement saisonnier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale », tranche la Cour de cassation. Il reviendra donc à la cour d'appel de Nîmes, à qui le juge suprême renvoie l'affaire, de décider si oui ou non le contrat de travail de Djamel peut être requalifié en CDI.
Cour de cassation, 3 juin 2015, n° 13-27600