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DOSSIER - L'encépagement en mouvement

Muscadet Sortir du monocépage

PATRICK TOUCHAIS - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 32

L'ODG du muscadet veut ouvrir la porte à d'autres cépages que le seul melon de Bourgogne afin de proposer des vins plus aromatiques aux acheteurs. Un dossier délicat.
INTÉGRER d'autres cépages au muscadet reste un sujet sensible pour les professionnels. © C. WATIER

INTÉGRER d'autres cépages au muscadet reste un sujet sensible pour les professionnels. © C. WATIER

« Il faut produire un vin blanc aromatique en introduisant 10 % d'autres cépages, comme le sauvignon, le chardonnay ou le colombard » Rodolphe Lefort, dirigeant de Castel Loire

« Il faut produire un vin blanc aromatique en introduisant 10 % d'autres cépages, comme le sauvignon, le chardonnay ou le colombard » Rodolphe Lefort, dirigeant de Castel Loire

A la base de la pyramide des muscadets, le muscadet AC est à la peine. 130 000 hl sont sortis des chais durant la dernière campagne. Commercialisée à 65 % par le négoce, cette appellation est très présente en grande distribution, à des prix plus proches des IGP que des AOC. « Face à cette situation, on bouge ou on attend ? », interrogeait Joël Forgeau, le président de l'ODG Muscadet, il y a un an.

L'ODG a donc lancé un dossier de révision du cahier des charges, encouragé par le négoce, avec, parmi les points sensibles, celui de l'encépagement. « Il faut produire un vin blanc aromatique en introduisant 10 % d'autres cépages, comme le sauvignon, le chardonnay ou le colombard », insiste, depuis plusieurs années, Rodolphe Lefort, le dirigeant de Castel Loire, l'un des principaux acheteurs de muscadet.

Pour aller vite - trop vite sans doute -, l'ODG a présenté un dossier dès le mois de janvier 2015 au comité régional de l'Inao, demandant l'introduction de colombard, chardonnay et sauvignon gris dans l'encépagement du muscadet AC, à hauteur de 10 %. L'idée a provoqué une levée de boucliers dans une partie du vignoble. « Le muscadet doit rester un monocépage. Sinon, il ne peut plus s'appeler muscadet », a protesté un groupe de vignerons, plutôt issus de la vente directe. Idem pour l'Inao, qui a retoqué le dossier, considérant rédhibitoire la proposition.

Depuis, l'ODG s'est remis à l'ouvrage. Et plus personne ne s'exprime tant que le sujet n'aura pas avancé. « On travaille », se contente de répondre Joël Forgeau. Le dossier, mené avec un cabinet de marketing et toutes les composantes du vignoble, devrait déboucher sur une nouvelle proposition.

« Il faut dissocier les divers muscadets, avec une segmentation claire passant par un encépagement différent pour donner de la lisibilité à l'ensemble. Il en va de la survie du vignoble », insiste un courtier.

Les partisans de cette évolution peuvent s'appuyer sur un exemple proche. Depuis cinq ans, le Gros-Plant (40 000 hl) - l'autre AOC du Pays nantais - peut être assemblé avec du colombard et du montils. Ces deux variétés ont rejoint la folle-blanche dans la liste des cépages autorisés, à hauteur de 10 % maximum. « Les producteurs veulent proposer un vin plus aromatique. Le colombard apporte des arômes d'agrumes ; le montils, de la rondeur », souligne le président de l'ODG, Jean-Michel Morille. Une évolution qui n'a pas révolutionné l'AOC. « Ces cépages se développent doucement. Quelques cuvées les intègrent. De mon côté, j'ai déjà du montils en production et j'ai planté du colombard. »

Vincent Dugué, cogérant du Château de la Ragotière, 72 hectares, à La Regrippière (Loire-Atlantique) « Du viognier avec la finesse ligérienne »

 © P. TOUCHAIS

© P. TOUCHAIS

« C'est en dégustant un viognier du sud de la France en 1995 que mon beau-père, Bernard Couillaud, a eu l'envie d'en planter », raconte Vincent Dugué, cogérant du Château de la Ragotière (72 ha en production), à La Regrippière. À l'époque, la plantation est réglementée par la région. « Il a fallu que mon beau-père propose une expérimentation pour que l'Inao et l'Onivins acceptent son projet », poursuit Vincent Dugué.

Une fois le feu vert obtenu, Bernard Couillaud a surgreffé de viognier 50 ares de melon de Bourgogne, sur une parcelle conduite en taille courte, pour un rendement optimal de l'ordre de 30 hl/ha. « On oscille entre 20 et 30 hl/ha selon les années, souligne le responsable du vignoble. Côté degrés, on vise 12,5 à 13 à la récolte. » Le raisin, vendangé à la main, est ensuite vinifié et élevé entre huit et dix mois, avec parfois une malo. Au final, il produit un vin très aromatique, marqué par une touche typique de violette en fin de bouche. Pas de doute, c'est du viognier, mais avec la finesse ligérienne. « On n'essaie pas d'imiter les vins de la région d'origine. On ne fait pas du condrieu. On garde une identité Val de Loire, avec l'équilibre correspondant entre le sucre et l'acidité », souligne Vincent Dugué.

Une politique que le domaine suit pour d'autres cépages blancs importés, comme le chardonnay, le petit manseng, vinifié en demi-sec, ou encore le muscat à petits grains. Le Château de la Ragotière a été parmi les premières exploitations à planter du chardonnay en Pays nantais, jusqu'à en cultiver désormais 40 ha qu'il décline sous différentes cuvées en IGP Val de Loire.

Quant au viognier, elle en produit chaque année 2 000 à 3 000 bouteilles, vendues en vin de France à 6 € TTC prix public.

Les clients sont surtout des cavistes et des restaurateurs en quête d'originalité. « Au-delà de ce côté innovant, on aime aussi proposer des dégustations comparatives de nos blancs pour prouver que le melon est bien un révélateur de notre terroir », conclut Vincent Dugué, n'oubliant pas qu'il est avant tout sur les terres du muscadet.

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