Combien y a-t-il de cuivre dans les sols viticoles ?
Près de cinq fois plus que dans les sols naturels français, selon les mesures réalisées à l'Inra de Bordeaux par Lætitia Anatole-Monnier(1). Cette chercheuse a analysé la teneur en cuivre de 47 parcelles viticoles à Pessac-Léognan (Gironde). Elle en a trouvé 105,2 mg par kg de terre (mg/kg) en moyenne dans les vingt premiers centimètres du sol et 93,7 mg/kg dans l'horizon situé juste en dessous, entre 20 et 40 cm de profondeur. « Ces niveaux sont similaires à ceux que l'on trouve dans les autres sols viticoles en France et dans le monde », note la chercheuse.
Effectivement, en 2011, Izabella Babcsányi(2) s'est penchée sur le bassin-versant de Rouffach (Haut-Rhin). Selon ses mesures, dans cette zone de vignoble, l'horizon de surface contient en moyenne 94 mg/kg de cuivre. « C'est beaucoup plus que les autres sols locaux dont les teneurs moyennes se situent autour de 11,5 mg/kg. Au niveau mondial, lorsqu'il n'y a aucun ajout de cuivre, la moyenne tourne autour de 30 mg/kg. Ici, 94 mg/kg est un taux élevé qui s'explique uniquement par les traitements au cuivre », rapporte Gwenaël Imfeld, chercheur au CNRS, qui a supervisé les travaux d'Izabella Babcsányi.
Au-delà des valeurs moyennes, Lætitia Anatole-Monnier souligne qu'« il existe de grandes disparités entre les parcelles, même au sein d'une même exploitation viticole ». Dans son échantillon, la parcelle la moins contaminée ne renferme que 1,4 mg/kg de cuivre alors que la plus contaminée en contient 383 mg/kg. C'est le résultat de l'histoire. En effet, plus la culture de la vigne est ancienne sur une parcelle, plus elle est chargée en cuivre.
Où s'accumule-t-il ?
Principalement en surface, dans les 40 premiers centimètres du sol. « Il ne descend pas dans le sol », note Gwenaël Imfeld.
Est-il lessivé par la pluie ?
Oui. Le mécanisme est simple. La majorité du cuivre présent dans les sols est fixé à la matière organique et aux argiles. Or, ces particules sont facilement emportées en cas de pluie. Ce phénomène de transport est d'autant plus important que les pluies sont fortes. Les travaux du CNRS ont ainsi montré que 1 % du cuivre appliqué au cours d'une saison est emporté hors des parcelles par le ruissellement. « 1 %, c'est peu et beaucoup à la fois. En moyenne, dans le bassin de Rouffach, les viticulteurs en appliquent 1,5 à 2 kg/ha au cours d'une saison. Si 15 à 20 g/ha partent dans les eaux, ce n'est pas négligeable. On se retrouve alors avec des concentrations en cuivre dans les cours d'eau jusqu'à trois fois supérieures au seuil écologique recommandé pour le bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques », assure Gwenaël Imfeld.
Comment limiter son transfert vers les rivières ?
Par l'enherbement. « Plus le sol est nu, plus il est exposé à la force des pluies et plus il y aura de pesticides transportés par le ruissellement. Quand les vignes sont enherbées, cela réduit l'érosion et donc le transport du cuivre en dehors des parcelles », souligne Gwenaël Imfeld. Les chercheurs du CNRS ont également montré qu'un bassin d'orage en contrebas des parcelles permettait de retenir 68 % du cuivre dissous et plus de 92 % du cuivre liés aux particules. « Toutefois, le bassin d'orage n'est que la solution ultime. Il faut d'abord lutter contre l'érosion », insiste Gwenaël Imfeld.
Affecte-t-il la croissance de la vigne ?
C'est ce qu'a voulu savoir Lætitia Anatole-Monnier. Pour cela, elle a cultivé des boutures de cabernet-sauvignon, de merlot et de 101-14 (un porte-greffe) dans des pots qu'elle a arrosés avec une solution contenant différentes concentrations en cuivre : 0,2 ; 1 ; 2,5 et 10 micromole. La première dose correspond au minimum nécessaire pour la vigne, le cuivre étant un oligo-élément. Les trois autres doses « correspondent aux niveaux de contamination que l'on trouve dans les sols viticoles », précise la chercheuse. Les résultats ? En dessous de 2,5 µmol, le cuivre s'accumule plutôt dans les racines. Quand les niveaux sont plus élevés, il s'accumule aussi dans les jeunes feuilles. Les conséquences sont variables selon les cépages. « Sur le cabernet-sauvignon, quand la contamination du sol est assez forte, la croissance des feuilles est ralentie. Mais ce n'est pas le cas pour le merlot. »
A-t-il un effet sur le parasitisme ?
Oui. Il favorise un champignon impliqué dans l'esca-BDA, d'après les travaux de Lætitia Anatole-Monnier. La jeune chercheuse a rempoté des greffés-soudés de cabernet-sauvignon âgés de deux ans dans trois sols présentant des teneurs croissantes en cuivre. Elle les a inoculés avec N. parvum, pathogène impliqué dans l'esca-BDA, et six mois après, elle a mesuré la taille des nécroses dans le bois.
Les résultats sont sans appel. « Les plants qui ont poussé sur les sols les plus contaminés sont les plus nécrosés », soutient Lætitia Anatole-Monnier. Cela nous laisse supposer qu'une vigne plantée sur un sol fortement contaminé en cuivre risque de développer plus rapidement des maladies du bois. Pourquoi ? L'excès de cuivre perturbe le métabolisme de la plante. Il empêche l'assimilation du fer d'où un risque de chlorose ferrique. La vigne stressée a alors plus de mal à se défendre. De plus, elle réagit comme si elle était soumise à un stress hydrique. Or, on sait que le stress hydrique favorise les maladies du bois.
Autre hypothèse : l'excès de cuivre perturberait l'équilibre de la flore microbienne présente dans le bois de la vigne. Certaines bactéries ou champignons protecteurs seraient défavorisés, laissant le champ libre à N. parvum.
À l'inverse, le mildiou et la cicadelle de la flavescence dorée attaquent moins les vignes poussant sur des sols riches en cuivre. Pour le mildiou, cela paraît logique, le cuivre étant un fongicide. Pour la cicadelle de la flavescence dorée, c'est une surprise. Rien ne laissait supposer que ses larves fréquentent moins les plants qui croissent sur des sols riches en cuivre. Lætitia Anatole-Monnier suppose qu'ils sont moins appétissants pour l'insecte. En effet, elle a observé que certains acides aminés se retrouvaient en plus grande quantité dans la sève, ce qui pourrait modifier ses qualités nutritives et gustatives.
S'agissant du mildiou, l'explication est différente. « Il est possible que le stress cuprique engendre les premières réactions de défense de la plante. Celles-ci seraient donc déjà en place au moment de l'inoculation du pathogène. Cela pourrait expliquer que son développement est entravé. Mais ça reste à démontrer. »
(1) Auteure de la thèse « Effets de la contamination cuprique des sols viticoles sur la sensibilité de la vigne à un cortège de bio-agresseurs », (Inra de Bordeaux).(2) Auteure de la thèse « Transport et fractionnement isotopique du cuivre en contexte viticole », dans le cadre du programme Pacov (EPLEFPA Rouffach, ARAA, Inra, Opaba, Civa et université de Haute-Alsace).
Vers une réduction des doses par application
En 2008, l'Anses a publié un avis dans lequel elle recommande de ne pas dépasser 4 kg/ha/an, afin de préserver les oiseaux. Malgré cela, le plafond est resté fixé à 6 kg/ha/an pour permettre aux viticulteurs en bio de lutter contre le mildiou. Mais le sujet n'est pas clos. Tous les produits cupriques sont en cours de ré-homologation. À cette occasion, l'Anses a rendu des avis plafonnant certains hydroxydes de cuivre à 230 g/ha de cuivre métal par application et à 1 150 g/ha/an. Selon une firme, c'est le risque d'exposition des applicateurs et des travailleurs en réentrée qui motiverait cet avis. Interrogée à ce sujet, l'Anses qui délivre les homologations désormais, s'est contentée de nous répondre qu'elle n'avait encore pris aucune décision.
Le Point de vue de
RICHARD DOUGHTY, PRÉSIDENT DE FRANCE VIN BIO ET DE LA COMMISSION TECHNIQUE VITICULTURE AU SEIN DE L'ITAB
« Les quantités appliquées ont été réduites de moitié en quinze ans »
« Il est vrai qu'on trouve encore des quantités importantes de cuivre dans les sols viticoles. Mais il faut bien faire la différence entre les pratiques du passé et les pratiques actuelles. Pendant des décennies, on a peint les vignes en bleu. Quand j'ai acheté mes premiers sacs de cuivre, les doses homologuées étaient terrifiantes. Les statistiques montrent qu'il y a quinze ans, on appliquait 12 à 15 kg de cuivre par hectare chaque année. Aujourd'hui, le maximum est de 6 kg/ha/an en moyenne sur cinq ans. Et la grande majorité des viticulteurs bio sont en dessous de ce seuil. Nous avons donc fait d'énormes progrès. Cependant, si on continue de réduire les quantités et que l'on passe à 4 kg/ha/an sans lissage, nous aurons des soucis pour contrôler le mildiou et le black-rot. Dès maintenant, 20 à 30 % des exploitants bio estiment déjà avoir des pertes de récolte les années où la pression est élevée. Si on élimine le cuivre ou si on réduit encore son utilisation, cette proportion sera bien plus élevée. Cette matière active est indispensable pour la survie de la viticulture biologique. Je ne nie pas cependant que le cuivre peut avoir des effets délétères sur l'environnement. Ainsi, dans certaines parcelles, les pratiques antérieures ont pu affaiblir la vitalité des sols, mais ces situations restent très minoritaires. Il serait intéressant que les chercheurs mesurent l'impact sur plusieurs années des apports de cuivre actuels sur les sols cultivés en bio afin de voir si les indicateurs de vie dans ces sols sont stables, s'ils se détériorent ou s'ils s'améliorent, comme j'ose l'espérer. »