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VIN

Vins orange Des blancs vinifiés à la manière des rouges

MARION BAZIREAU - La vigne - n°280 - novembre 2015 - page 72

Imitant leurs confrères géorgiens ou italiens, des vignerons français se laissent tenter par la vinification de vin orange, un vin blanc de macération. La Vigne a interrogé trois de ces aventuriers.

Le vin orange est de retour depuis quelques années. Ce vin de « quatrième couleur » est un vin blanc vinifié comme un rouge. La longue macération donne aux vins leur teinte ambrée. Ces vins déroutants sont décrits comme tanniques et frais.

Jean-Pierre Rietsch est alsacien. Benoît Braujou et Marcel Gisclard sont vignerons dans l'Hérault. En 2012, ils se sont tous les trois laissés tenter par l'expérience. Depuis, ils vinifient de petits lots de vin orange, entre 800 et 8 000 bouteilles chaque année.

Ces viticulteurs ont plusieurs points communs : ils ont choisi des étiquettes et des noms de cuvées décalés (« Quand le chat n'est pas là », « Mémé Jeanne » « Voyage en terre géorgienne »), travaillent en agriculture biologique, voire en biodynamie, ne levurent pas et utilisent peu ou pas de SO2. Cependant, à y regarder de plus près, les cépages qu'ils vinifient et leurs modes opératoires sont très différents.

JEAN-PIERRE RIETSCH, DOMAINE RIETSCH, 11,5 HECTARES À MITTELBERGHEIM (BAS-RHIN) « Avec leurs tanins, il résistent mieux à l'oxydation »

 © F.ZVARDON

© F.ZVARDON

Je ne fais que des vins sans sulfites ajoutés. En vinifiant des blancs comme des rouges, mon idée première était de voir si l'apport de matière tannique pouvait stabiliser les vins. Je constate en effet que mes vins orange résistent mieux à l'oxydation. Chaque année, j'en vinifie l'équivalent de 60 à 70 hl. J'ai testé plusieurs cépages : pinot gris, gewurztraminer, savagnin, riesling et muscat. Dès que la maturité physiologique est atteinte, pour ne pas avoir trop d'alcool, je vendange avec deux seaux, l'un pour les raisins à l'état sanitaire parfait, et l'autre pour les raisins moyens. Les premiers sont vinifiés en grappes entières. Les seconds sont pressés et débourbés puis réassemblés au reste. Le raisin fermente spontanément et macère pendant deux à trois semaines dans un milieu saturé en CO2. Les températures ne sont pas contrôlées mais les cuves sont placées à l'extérieur. Les cuves sont très peu remontées. Après la FA, je me contente de quelques pigeages si le vin manque de tanins. Souvent, la FML a lieu sous marc.

Après le pressurage, j'assemble les vins de goutte et de presse dans des foudres ou des demi-muids, où ils restent sur lies jusqu'au printemps. Cette année, je vais essayer d'atteindre un an d'élevage. Le vin est soutiré la veille de l'embouteillage. Il est filtré sur des plaques de 1 à 3 microns, et embouteillé avec des bouchons Diam.

Tous les cépages testés donnent des résultats intéressants mais le riesling nécessite d'être affiné deux ou trois ans. Je vends mes cuvées de vin orange aux restaurants et cavistes français, mais aussi au Japon, en Espagne et en Italie. Entre 9 et 12 € TTC, ce sont des milieux de gamme. Mes 8 000 bouteilles annuelles, en AOP Alsace, se vendent très vite.

MARCEL GISCLARD, DOMAINE ÉMILE ET ROSE, 9,5 HECTARES À CORNEILHAN (HÉRAULT) « Ils mettent trois ans pour révêler tout leur potentiel »

C'est au retour d'un voyage en Géorgie que je me suis laissé tenter par l'expérience. J'ai récolté 1 000 kg de carignan blanc à la main, je l'ai éraflé mais pas foulé, et logé dans une cuve en Inox de 10 hl. La FA a rapidement démarré. J'ai pigé les raisins tous les jours pendant cinq semaines. Après macération, j'ai soutiré le jus de goutte dans des jarres. La FML n'a démarré qu'aux vendanges suivantes. Cette latence est sûrement due aux fortes teneurs en tanins du vin. De plus, la jarre est un bon isolant thermique, elle garde les vins frais. En tout, le vin a passé quinze mois en jarre, le temps de bien affiner les tanins. C'est un contenant qui « boit » beaucoup, j'ai ouillé sans arrêt, et j'ai perdu un quart du volume de la cuvée. Après la FML, j'ai sulfité le vin et l'ai filtré à dix microns. J'espérais que la robe s'éclaircirait un peu mais ça n'a pas été le cas.

Au final, mon vin contient entre 50 et 60 mg/l de SO2 total. Faute de volume, je n'ai pas produit de blanc de macération en 2013 et 2014. J'ai recommencé cette année. Il était temps car mes 800 bouteilles de 2012 sont écoulées. Je vends aux particuliers et à quelques cavistes. J'ai également envoyé du vin en Belgique et au Québec. Lors du dernier salon Millésime bio, en février, un restaurateur belge m'a affirmé que mon vin était le meilleur du salon. J'ai été ravi, d'autant plus que j'ai eu du mal à trouver des clients. Les gens du Sud le trouvent trop différent. Quoi qu'il en soit, c'est un vin intrigant qu'on a envie de goûter. Il a une belle structure tannique mais il garde de la fraîcheur. Il doit vieillir trois ans pour révéler tout son potentiel. Je le vends en IGP Coteaux des Béziers, à 18 € TTC. Le reste de ma gamme oscille entre 6 et 12,50 €.

BENOÎT BRAUJOU, DOMAINE FONS-SANATIS, 7 HA À SAINT-JEAN-DE-FOS (HÉRAULT) « On doit pouvoir se tromper de couleur lorsqu'on déguste les yeux fermés »

Je me suis intéressé aux blancs de macération après ma rencontre avec Giulio Armani, producteur réputé de la province d'Emilie-Romagne, en Italie. Peu après, un confrère m'a cédé une parcelle de petit manseng, un cépage compliqué à presser, surtout avec une machine pneumatique. C'était l'occasion. Je récolte le petit manseng à la main en recherchant la maturité d'un rouge. On doit pouvoir se tromper de couleur lorsque l'on déguste les yeux fermés. À la sortie de l'érafloir, le raisin est envoyé dans une cuve en Inox à chapeau flottant de 20 hl. Avant que la FA ne démarre, j'enfonce régulièrement le chapeau à la main pour éviter qu'il se dessèche. Puis, quand la densité atteint 1075, je ferme la cuve et je n'y touche plus. La vinification se déroule en milieu réducteur saturé en CO2. Cela suffit pour que le marc reste protégé. Les températures de fermentation dépassent rarement 22 °C car je ne pratique ni remontage ni pigeage, et n'apporte donc pas d'oxygène aux levures. La cuvaison dure en moyenne six semaines. Avant un pressurage doux, je retire les cinq à dix premiers centimètres du chapeau car ils ont bruni. Le vin de presse est ensuite réincorporé à la cuve d'écoulage.

Parfois, la FML a lieu sous marc, parfois elle traîne jusqu'au printemps. Si elle ne démarre pas, je peux utiliser les lies de mon autre cuvée de blanc. Le vin est soutiré deux fois : en janvier ou février, quand le froid a fait sédimenter les lies, puis juste avant la mise en bouteilles. Il est ensuite filtré à 2 microns. J'embouteille avec un matériel commun à plusieurs vignerons, souvent sans sulfitage.

Je ne produis que 2 500 bouteilles de vin orange par an. C'est mon entrée de gamme. Je le vends en vin de France à 10 € TTC aux particuliers et à des professionnels : cavistes, restaurateurs et importateurs en Suisse, Allemagne et Belgique.

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