VUE SUR LE DANUBE depuis la ville de Stein (Kremstal). Krems et Kamp, deux rivières qui se jettent dans le fleuve, donnent leurs noms aux deux vallées de la région et aux deux récentes appellations. M. HULOT
LENZ MOSER est la plus grosse entreprise viticole d'Autriche. Basée au coeur du Kremstal, elle produit de 17 à 20 millions de bouteilles par an. M. HULOT
SA CUVERIE de stockage ultra-moderne (ci-contre) peut ainsi conserver jusqu'à 75 000 hectolitres de vin à 8 °C. M. HULOT
WILLI BRÜNDLMAYER, producteur réputé basé à Langenlois (Kamptal), symbolise l'excellence autrichienne. M. HULOT
URBAN STAGARD, vigneron de Stein (Kremstal) dans la mouvance actuelle, s'est lancé dans les vins orange. M. HULOT
En 1985, l'Autriche viticole connaît la pire crise de son histoire. C'est là, au bord du Danube, que le scandale des vins à l'antigel éclate. Trente ans plus tard, plus rien n'y paraît. Bien au contraire : l'essor des deux appellations Kremstal et Kamptal a de quoi faire des envieux.
Il y a tout d'abord Lenz Moser, un gigantesque négoce, basé à Rohrendorf bei Krems, qui allie qualité et quantité. Située au centre du Kremstal, cette entreprise viticole - la plus grosse d'Autriche - est le symbole du dynamisme de cette région de Basse-Autriche. Mais les vins du Kremstal ne sont qu'une partie de son offre.
La récolte de 2 500 ha entre dans ses chais. Il en ressort entre 17 et 20 millions de bouteilles par an : 55 % de blanc, 40 % de rouge et 5 % de rosé. Deux coopératives fournissent la majorité du volume, l'une dans le Weinviertel, large vignoble de Basse-Autriche avec ses 13 356 ha, l'autre dans le Burgenland, réputé pour ses rouges.
Lenz Moser gère également deux domaines de 25 et 45 ha. À cela s'ajoutent 1 000 tonnes de raisins apportés par 200 viticulteurs répartis dans les 10 km à la ronde dont tous les vins sont vendus sous l'appellation Basse-Autriche.
Lenz Moser possède ainsi une capacité de vinification de 90 000 hl et est équipée pour conserver 75 000 hl à 8 °C. Un millier de fûts français accueillent ses vins haut de gamme. En 2013, l'entreprise a investi 3,5 millions d'euros dans une embouteilleuse Krones dernier cri capable de remplir 16 000 cols par heure.
Lenz Moser propose 90 références de vins de Basse-Autriche (dont Kremstal et Kamptal) et du Burgenland, à des prix consommateur allant de 4 à 15 €. Elle écoule l'essentiel de sa production dans les supermarchés autrichiens, le reste en restauration et à l'export, en Allemagne principalement. Fondée en 1849, elle appartient au groupe VOG, basé à Linz, qui réalise un chiffre d'affaires de 220 millions d'euros dans la vente de produits alimentaires.
Changement de décor à une dizaine de kilomètres de là, à Dross. Walter Buchegger est le parfait exemple de ceux qui se sont construits après la crise. Son père faisait du vin le week-end, produisant 4 000 bouteilles par an. Lorsqu'il était jeune, il lui a promis un Fantic (une moto italienne) s'il reprenait son activité. « J'ai craqué ! », s'amuse-t-il. Il fait ses études à l'école de viticulture (Weinbauschule) de Krems et se lance pile dans la tourmente.
Il se souvient : « Avant la crise de 1985, c'était la liberté totale. Après le scandale, le gouvernement a instauré des lois extrêmement strictes. » L'époque sourit à Walter : « Je suis né avec cette nouvelle ère. Les clients, méfiants, se fiaient plus facilement aux petits producteurs. » Et il sait s'y prendre pour inspirer confiance. « Mes vins sont influencés par les critiques les plus exigeants. Devenez l'un d'eux », propose-t-il sur son site internet.
Formé par Willi Bründlmayer, l'un des producteurs les plus connus d'Autriche, établi dans le Kamptal voisin, Walter Buchegger a été à bonne école. Avec son millésime 1996, il remporte le prix du meilleur grüner veltliner d'Autriche - le cépage blanc emblématique du pays - selon le guide des vins Falstaff, ce qui assoit sa réputation. Il produit aujourd'hui 150 000 bouteilles sur 19 hectares, dont il exporte la moitié. Il vient d'investir un million d'euros dans une cave pratique et esthétique.
Également dans le Kremstal, mais sur la rive sud du Danube, à Palt, les Malat mettent l'accent sur l'accueil des clients. Leur domaine s'est agrandi autour d'une cave ancienne construite sur un puits. Ils possèdent une salle de dégustation stylée, un hôtel raffiné en verre et en bois, au milieu des vignes. Un mariage de l'ancien et du moderne convaincant pour cette famille qui vinifie 50 hectares en rouge et en blanc.
Dans la salle de dégustation, des bouteilles attendent sur des pupitres. « Mon père a été le premier à faire du sekt (mousseux), en 1976. La loi a été changée grâce à lui », explique Michael Malat, aux commandes.
D'autres se lancent dans l'oenotourisme. À Senftenberg, les Nigl travaillent une trentaine d'hectares, produisent entre 100 000 et 150 000 bouteilles par an et gèrent un hôtel-restaurant logé dans une bâtisse vieille de huit siècles. Christine Nigl répond sans hésiter « le vin » quand on lui demande laquelle de ces deux activités est la plus rentable.
Les affaires marchent tout aussi fort pour les Stagard, à Stein, sur le Danube. Ils sont passés en six ans de 4,5 à 15 ha. Urban Stagard, jeune papa de deux jumelles, joue du selfie à tout bout de champ pour alimenter la page Facebook de son domaine. « Mon mari est connu et apprécié. Nos vins partent comme des petits pains », affirme sa femme qui travaillait avant chez Canon, à la communication... Leur cave, lovée dans une ruelle de leur pittoresque village, abrite des amphores pour le « vin orange » qui a ses adeptes.
À quelques kilomètres de là, l'appellation voisine Kamptal, concentrée autour de la rivière Kamp et de la vieille ville de Langenlois, est tout aussi prospère. C'est là que l'on trouve les plus célèbres crus et producteurs d'Autriche parmi lesquels Willi Bründlmayer.
À la tête d'un domaine de 75 ha, ce viticulteur représente l'excellence autrichienne à l'export. Certains estiment qu'il produit le meilleur grüner veltliner du pays. Il possède 11 ha du fameux premier cru Heiligenstein, un coteau où une trentaine de viticulteurs cultivent 37 ha de vignes exposées au sud-ouest. Les affaires marchent si fort pour le vigneron qu'il a construit un gigantesque chai ultra-moderne, avec une réception de la vendange pensée jusqu'aux moindres détails. Il produira désormais 500 000 bouteilles par an... Un symbole de la prospérité autrichienne.
Deux appellations soeurs
Kremstal et Kamptal sont deux appellations (DAC, Districtus Austriae Controllatus) voisines et soeurs. Elles ont le même plafond de rendement (67,5 hl/ha) et les mêmes règles d'encépagement, seuls le riesling et le grüner veltliner y étant autorisés. Les vignes longent deux affluents du Danube, les rivières Krems et Kamp. Le vignoble de Kamptal est un peu plus grand avec 3 802 hectares contre 2 243 pour Kremstal. Les deux appellations offrent chacune une multitude de microterroirs. Le grüner veltliner y exprime ses arômes poivrés et frais là où le riesling donne des vins complexes et minéraux. Elles continuent leur travail de délimitation de leurs premiers crus. L'idée : hisser la production vers le haut pour offrir aux consommateurs une riche palette des deux cépages phares qui se distinguent d'une terrasse à l'autre, d'un climat à l'autre.