ENSEMBLE, POUR LEUR VIGNOBLE. Guilhem Goisot, Pierre-Louis Bersan, Thomas Sorin et Romaric Petitjean (de gauche à droite) organisent tous les ans une présentation des vins aux prescripteurs parisiens. Cette année, c'était au restaurant Les Climats. É.-A. JODIER
Un lundi matin parisien. Pour beaucoup de restaurants de la capitale, c'est le jour de fermeture. Mais aujourd'hui, 26 octobre, aux Climats, l'établissement de Carole Colin et Denis Jamet, les portes sont ouvertes pour accueillir seize vignerons venus d'un coin peu connu de la Bourgogne : le Grand Auxerrois.
Niché juste derrière le musée d'Orsay, le restaurant compte 1 600 références de vins... bourguignons. Dans un décor Art Nouveau, les bouteilles s'exhibent du sol au plafond dans leur cage de verre. « Quand nous avons entendu parler d'un restaurant parisien exclusivement dédié aux bourgognes, ça a fait tilt !, s'amuse Romaric Petitjean, vigneron sur 18 ha, à Saint-Bris-le-Vineux (Yonne) et chef d'orchestre, avec trois complices, de cette journée de promotion. Nous avons fait du charme aux propriétaires pour qu'ils nous permettent d'y présenter nos vins. »
À neuf heures, les quatre organisateurs investissent les lieux. Partis tôt de Saint-Bris-le-Vineux, Romaric Petitjean, Thomas Sorin, Pierre-Louis Bersan et Guilhem Goisot ont fait la route ensemble. Ils apportent avec eux les accessoires indispensables à une bonne dégustation : verres, crachoirs, documentation...
L'organisation est rodée, ils n'en sont pas à leur coup d'essai. Cette journée de promotion parisienne existe depuis longtemps. « Pour se faire connaître, il faut jouer collectif !, théorise Romaric Petitjean pendant qu'il installe son stand. Quand on voit chez Lidl des vins espagnols à 90 centimes, on ne peut pas lutter sur le plan des prix. Notre force, c'est la typicité de nos vins. Il faut se battre là-dessus, mais ça demande de travailler tous ensemble. » Comme pour illustrer son propos, il s'installe à la même table que Pierre-Louis Bersan, lui aussi basé à Saint-Bris-le-Vineux.
À dix heures, les premiers visiteurs se présentent. Sommeliers, journalistes, cavistes et restaurateurs vont se succéder tout au long de la journée. Un couple s'approche et se penche sur les vins de Pierre-Louis Bersan. Celui-ci leur propose pour commencer de goûter son bourgogne aligoté. « La vinification se fait uniquement en cuve en Inox, précise-t-il. C'est le millésime 2014, il présente une belle concentration et se révèle riche en bouche. »
Attentif, le couple va minutieusement tester tous ses vins. Pierre-Louis raconte son terroir, parle de ses sous-sols argilocalcaires et du sol kimméridgien de ses coteaux. Sur ses bouteilles, une ammonite fait référence à la richesse de la terre. Pour illustrer son discours, le vigneron a apporté un bel échantillon de 20 cm de diamètre de ce mollusque fossile. « Ça vient vraiment de votre parcelle ? », s'étonne une dégustatrice. Pierre-Louis lui assure que les ammonites abondent dans les sous-sols de la région et qu'elles en font tout le caractère.
Profitant de la diversion, Romaric Petitjean propose au couple de goûter ses cuvées. « C'est pratique d'avoir affaire à deux vignerons à une même table : on peut comparer leurs vins », lance le visiteur en vidant son verre. Le saint-bris du domaine Petitjean a l'air de lui plaire, ainsi qu'à sa femme. Le couple se renseigne sur les tarifs. Même si rien n'est décidé sur le moment, ils repartent avec le sourire.
« Certains pensent que c'est une journée perdue parce qu'on ne vend pas à proprement parler, regrette Romaric Petitjean. Mais c'est important de rencontrer les gens. »
À 11 heures, le rythme s'accélère. L'approche du déjeuner et la promesse d'un buffet de qualité assurent une belle affluence. Thomas Sorin sert son irancy tout en montrant un livre de photos. Les images racontent le domaine des Remparts, où il travaille en famille sur 45 ha. « Auparavant, les gens voulaient une appellation. Désormais, ils veulent une histoire, voire un terroir. » Son livre intrigue, les visiteurs le feuillettent en dégustant, certains prennent même les photos... en photo. « Comme ça, je suis sûre d'avoir un souvenir du domaine ! », lance une admiratrice.
Un peu plus loin, à la table de Guilhem Goisot, on parle biodynamie. Un thème qui ne manque pas d'intéresser la clientèle parisienne. Inlassablement, le viticulteur explique les choix familiaux qui les ont guidés vers ce mode de conduite. « On ne peut plus travailler comme avant, assure-t-il à un jeune conseiller en vin qui boit ses paroles. Les produits phytosanitaires ne sont pas une solution. Nous accordons une importance primordiale au travail dans les vignes : le vin se fait avant tout dans les parcelles. » Guilhem Goisot n'aura pas de répit : les visiteurs se succéderont à sa table pour goûter ses bourgognes côtes d'Auxerre, rouge ou blanc, avec la même curiosité.
Mais une question revient inlassablement : « Où sont les chablis ? » Les visiteurs, pourtant professionnels, ont du mal à se faire à l'idée que les deux vignobles, imbriqués géographiquement, sont bien distincts. « Il reste du chemin à parcourir pour faire connaître le Grand Auxerrois », admet Guilhem Goisot. « C'est un peu compliqué, la Bourgogne ! », lui rappelle une journaliste britannique, carnet en main. « Mais cela en vaut la peine ! », corrige-t-elle aussitôt.
La journaliste poursuit son chemin et s'arrête à la table de Céline Angst. Pour cette jeune vigneronne, c'est une grande première. Ancienne pharmacienne, elle s'est installée avec son mari à Pontigny (Yonne) en 2014. Son histoire, elle la raconte avec le sourire en présentant son bourgogne chitry blanc : « Il se boit très bien à l'apéritif, bien frais », assure-t-elle. « Ça change du chablis ! », s'exclame la journaliste, avant de demander à goûter le crémant de Bourgogne.
À côté, Édouard Lepesme participe également pour la première fois à cet événement. Installé depuis l'année dernière à Vaux-Auxerre, il présente son tout premier millésime. Souriant, il avise un visiteur bien décidé à goûter ses vins. « Les vignes sont conduites en bio depuis quinze ans », commence-t-il, en versant son bourgogne-côte-d'Auxerre blanc. Il a beau tenter quelques explications, son interlocuteur déguste trois vins en moins de deux minutes, quasiment en silence. « Les gens ne se présentent pas, s'étonne le jeune vigneron. Ça peut être déconcertant. Je pense que ce monsieur était un sommelier, vu la façon dont il a goûté les vins. Ce serait mieux de savoir à qui l'on s'adresse. Le discours change en fonction des interlocuteurs... »
Vers 15 heures, l'ambiance se calme. Carole Colin et Denis Jamet, les propriétaires des murs, en profitent pour faire un petit tour. Membres du jury du concours du Grand Auxerrois en 2013, ils s'arrêtent à la table des vins médaillés en 2014. C'est là qu'officie Marie-Do, comme la surnomment affectueusement les vignerons présents. Marie-Dominique Bradford, dégustatrice et formatrice à l'École du vin, n'a pas eu le temps de souffler. Toute la journée, les dégustateurs se sont succédé. « Les médailles, ça reste très important pour les gens, assure celle que les Bourguignons du Grand Auxerrois ont choisi comme ambassadrice. Comme je ne suis affiliée à aucun domaine, nos visiteurs s'expriment plus ouvertement. C'est une très bonne idée que ces vins soient présentés par quelqu'un de l'extérieur, qui les connaît bien sans être vigneron. »
Dans les bacs, la glace est fondue depuis longtemps, la fin de la journée se profile. Nos quatre vignerons dressent un premier bilan, satisfaits d'avoir vu plus de monde que l'année précédente. « L'année dernière, notre dégustation parisienne tombait en même temps que neuf autres événements viticoles », se souvient amèrement Romaric Petitjean. Une chose est sûre : Paris mérite le déplacement. Il reste au quatuor à convaincre les vignerons du Grand Auxerrois de venir à ce rendez-vous. Ils sont convaincus qu'en unissant leurs efforts, ils assoiront la notoriété de leur vignoble.
La volonté d'aller au-devant du client
Au départ, les vignerons n'étaient pas partie prenante de cette journée parisienne. « Le syndicat venait simplement présenter les vins médaillés du concours Grand Auxerrois, raconte Pierre-Louis Bersan. C'était une excellente porte d'entrée pour se faire connaître, mais nous nous sommes aperçus que les gens préféraient voir les vignerons. » Se faire connaître, c'est là tout l'enjeu. Le vignoble du Grand Auxerrois a beau se situer aux portes de Paris, il reste dans l'ombre de son voisin, le Chablis. « Notre concours n'avait pas assez de répercussions, se souvient Guilhem Goisot. Tant qu'on ne va pas au-devant de nos clients, on ne crée pas le lien. » Romaric Petitjean, président du concours des vins, orchestre donc avec le BIVB et ses trois confrères ces rencontres avec les vignerons, à Paris. Seule condition pour y participer : avoir présenté des vins au concours.
LES DÉTAILS QUI FONT LA DIFFÉRENCE
- Un bac à glaçons aux couleurs du vignoble. « Chacun présente ses vins comme il le souhaite. Mais nous mettons tous nos vins à rafraîchir dans le même bac. Nous avons cet élément en commun », argumente Romaric Petitjean. En plexiglas transparent et de forme contemporaine le bac indique d'un côté « Grand Auxerrois » et, de l'autre, le nom des quatorze appellations du vignoble. L'année prochaine, « il faudrait une belle carte pour que les gens nous situent », imagine Pierre-Louis Bersan.
- Des portraits de vignerons. Les visiteurs se sont vu remettre un carnet de dégustation avec la photo de chaque vigneron présent. « Un photographe a réalisé ces portraits, indique Pierre-Louis Bersan. Là encore, cela donne une unité. » Les visiteurs ont apprécié. « J'aime bien mettre un visage sur un vin », reconnaît une dégustatrice.
- Un bout de terroir. Pierre-Louis Bersan a apporté une ammonite, fossile qui abonde dans ses sols. Une petite touche qui a fait son effet et provoqué la discussion.