« Si je pouvais souhaiter une chose pour la viticulture, ce serait un allégement de la loi Évin, avoue Arnaud Mornand, du domaine du Moulin à l'Or, à Chaintré (Saône-et-Loire). On travaille tous les jours avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Nos sites internet, par exemple, sont des outils de travail indispensables, mais nous ne pouvons pas les développer comme nous le voudrions. La dernière victoire sur la loi Évin est une petite bouffée d'air. J'ai peur cependant que ce soit de courte durée... »
Ce sujet fédère tous les viticulteurs à qui nous avons demandé ce qui constituerait, pour eux, une bonne nouvelle pour la filière. Malgré l'avancée obtenue en 2015, nombreux sont ceux pour qui l'image du vin reste déformée et stigmatisante. « Il faudrait qu'on arrête de confondre nos vins avec des boissons d'alcoolisation, s'insurge Bertrand Delannay, directeur de la Fruitière de Voiteur (Jura). Nous faisons un travail de passionnés, avec un résultat de qualité. Malgré cela, nos vins sont parfois assimilés à une drogue. Un peu d'ouverture d'esprit ne ferait pas de mal. »
« Il faudrait que le vin garde ses titres de noblesse, nous dit avec poésie Lina Venturi-Pieretti, vigneronne en Corse. Dans le vin, il y a quelque chose de l'ordre du sacré, c'est un lien entre la terre et les hommes. Il ne mérite pas que son image soit détournée. Le meilleur argument à opposer à ceux qui lui nuisent, c'est de rappeler que le vin est un métier. Il a nourri des générations de viticulteurs et fait vivre des territoires entiers. »
« Nous faisons partie d'une filière très rémunératrice pour la France, ajoute Arnaud Mornand. À l'export, le vin est un produit qui rapporte. Et en terme d'image, à l'international, la France est la patrie du vin. » D'où l'incompréhension à l'égard des attaques contre le vin en France.
La loi Évin reste un frein qui taraude la profession. Même si « les lignes bougent », comme veut bien l'admettre Jean-Pierre Tissot, président de l'interprofession du Jura. Pour Bertrand Delannay, les effets de cette « diabolisation » risquent de se faire sentir à long terme : « C'est l'avenir qui m'inquiète : pour l'instant, nos clients sont des gens d'un certain âge, ce discours ne les atteint pas trop. Mais les jeunes, à qui on a rabâché pendant des années que le vin était mauvais, ne seront certainement pas aussi fidèles... »
« Tout ce qu'on peut souhaiter à la viticulture, c'est que les clients soient au rendez-vous ! », répond comme un écho à cette inquiétude Nathalie Feydieu, du domaine Le Taillou. La viticultrice n'a pas oublié les déboires du millésime 2013, si « difficile à vendre », et voit enfin le bout du tunnel avec le coup de pouce de la nature en 2015. « Chercher de nouveaux clients et fidéliser les anciens, c'est beaucoup plus facile avec une récolte d'aussi bonne qualité que celle que nous venons d'avoir ! » Il faudrait d'autres millésimes comme celui de 2015. Avec un petit plus : « Que l'on fasse le plein, souhaite Franck Vichet, président de la Société de viticulture du Jura. Je parle pour ma région mais je pense que tous les viticulteurs de France aimeraient la même chose. Dans le Jura, sur trois ans, nous avons perdu l'équivalent d'une récolte. Certes, le millésime 2015 est magnifique mais j'espère des récoltes plus abondantes. »
Les vignerons sont en quête de reconnaissance pour ce qu'ils produisent, mais aussi pour la valeur de leur labeur. « Les gens ont parfois tendance à oublier que vigneron, c'est un travail ! Ce serait bien qu'on prenne cet aspect en considération, plaide Jean Foch, directeur de coopérative en Corse. Le vin demande du temps et de l'investissement. Il faut que les gens soient prêts à payer le juste prix. »
Pas évident de réussir à vendre à des prix rémunérateurs quand les consommateurs peuvent se tourner vers des produits beaucoup moins chers. « La viticulture a beaucoup souffert du passage à l'euro, estime Jean Foch. Nous sommes restés à des "prix psychologiques" qui ne bougent pas. On laisse croire aux gens qu'on peut vendre du vin à 1,80 euro en grande distribution. Mais les produits n'ont plus rien à voir avec ces prix : il y a eu un énorme travail sur la qualité. »
« Ce qu'il faut, surtout, c'est consolider le revenu des vignerons », complète Gérard Bancillon, président de la coopérative du Bourdic, dans le Languedoc-Roussillon. Et pas seulement pour rendre la profession attractive mais bien pour soutenir une activité qui nécessite des investissements très lourds. « Nous avons besoin de nous projeter dans l'avenir, rappelle-t-il. Si on peut souhaiter quelque chose, c'est bien la mise en place des contrats sur cinq ans, par exemple, aux prix d'aujourd'hui. Depuis quelques années, les gens arrivent à mieux se rémunérer, il faut les rassurer. »
« Il faudrait arrêter d'augmenter les charges pour que les vignerons puissent vivre correctement et investir davantage, ajoute Alexandre Vandelle, des Vignerons indépendants du Jura. Souvent, nous sommes obligés d'investir dans l'urgence. » Il souhaiterait qu'on lâche un peu de lest, histoire d'avoir plus de marge de manoeuvre pour « rajeunir le vignoble, mieux rémunérer notre personnel et investir dans des outils qui nous simplifieraient la vie ».
Comme les charges, les formalités administratives ne cessent de s'alourdir. « Ce serait bien de soulager les viticulteurs qui croulent sous la paperasse, observe Pierre Clément, du domaine de Châtenoy, à Menetou-Salon, et président de l'ODG. Nous passons beaucoup plus de temps qu'auparavant à traiter les problèmes administratifs. Cela commence à devenir très compliqué pour les petites structures. J'ai peur que cela change, à long terme, le visage de la viticulture. Les petits domaines, pourtant viables économiquement, risquent de disparaître sous la pression administrative... »
« Pour ma part, j'attends une vraie solution contre les maladies du bois », s'émeut Pierre Acquaviva. Ce vigneron de l'île de Beauté sent bien que « c'est une préoccupation générale, mais nous ne voyons rien de concret venir ». La filière se sent désarmée face à ces fléaux. À ce sujet, Arnaud Mornand souligne : « Nous faisons partie d'une filière qui rapporte de l'argent... Nous devrions donc être capables de mettre sur la table des financements pour trouver des traitements contre ces maladies qui font mal au coeur et commencent à sérieusement peser sur les trésoreries. »
Cette angoisse se double d'une préoccupation croissante pour les questions environnementales. En Champagne, Simon Nominé, viticulteur dans la Marne, se réjouit de constater que la filière prend cette thématique au sérieux : « La prise de conscience de la nécessité d'une viticulture plus propre est une véritable bonne nouvelle, pour l'environnement et pour les viticulteurs. »
En conventionnel raisonné, il plaide pour un engagement collectif en matière de réduction des phytos. « L'inscription de la Champagne à l'Unesco nous oblige à prendre soin de notre patrimoine, mais c'est une récompense qui rejaillit sur tout le vignoble français ! », estime-t-il.
Plus au sud, en Corse, les préoccupations environnementales sont également à l'ordre du jour : « Le réchauffement climatique se fait trop sentir. Il pleut moins, il fait moins frais, s'alarme Pierre Acquaviva. À notre échelle, nous ne pouvons pas faire grand-chose, mais ce serait une bonne nouvelle pour la viticulture que cela n'évolue pas dans le mauvais sens... »
Laissons le mot de la fin à Gilles Paris, président de l'Inter Beaujolais : « Ce que je peux souhaiter de mieux aux viticulteurs, c'est de prendre plaisir à faire déguster leurs vins, de continuer le plus longtemps possible à les faire découvrir et à être fiers de leur métier. » Un voeu en forme de bonne résolution !