Durant l'été dernier, toute la filière a suivi de près l'évolution des prévisions de récolte. Et pour cause : les stocks étaient au plus bas après un millésime 2014 déficitaire et une campagne de commercialisation très active. « En Languedoc-Roussillon, tous vins confondus, nous n'avions plus que 5,5 mois de stock. Heureusement, tous les raisins sont rentrés dans de bonnes conditions. Quand les vendanges se sont terminées, nous avons poussé un soupir de soulagement ! », raconte Jérôme Villaret, directeur du Conseil interprofessionnel des vins du Languedoc (CIVL).
Avec de meilleurs rendements en 2015, une excellente qualité et des cours qui restent bien orientés, les vignerons espèrent améliorer encore leur chiffre d'affaires en 2016. Celui-ci augmente depuis plusieurs années dans la plupart des exploitations. À tel point que certaines d'entre elles sont confrontées à une forte hausse de leurs cotisations MSA et de leurs impôts.
Arnaud Lupia, vigneron installé sur 35 ha à Sérignan, dans l'Hérault, n'est pas encore dans cette situation. « La hausse de mon chiffre d'affaires s'est accentuée en 2014 et 2015. En deux ans, mes rentrées ont progressé de 15 %, note le coopérateur. J'ai remis à flot l'exploitation en soldant les prêts à court terme. Ma trésorerie n'est pas encore reconstituée. Mais, aujourd'hui, j'arrive à régler les impôts fonciers sans avoir à demander un étalement. »
Sa priorité est maintenant de reprendre les investissements. « Cette année, je vais renouveler un tracteur. L'ancien me coûte de plus en plus cher en réparations », relève-t-il. Pour l'instant, il n'a augmenté que légèrement sa rémunération. Mais il espère que cela va changer. En 2015, il a produit 80 hl/ha contre seulement 65 hl/ha en 2014. De quoi améliorer encore son résultat si les cours des IGP Pays d'Oc se maintiennent. Lors de la campagne 2014-2015, ils ont atteint en moyenne entre 85 et 90 €/hl pour les cépages rouges et rosés, et 118 €/hl pour le chardonnay. « À ce niveau, nous arrivons à un produit brut de 5 000 €/ha. C'est un minimum pour pouvoir investir et nous payer correctement », affirme Arnaud Lupia.
Même constat dans le Gard, chez Gérard Bancillon. Vigneron coopérateur sur 23 ha, à Bourdic, il produit lui aussi des IGP Pays d'Oc. « Durant la crise, notre produit brut ne dépassait pas 3 000 €/ha. J'ai réduit mes prélèvements pour continuer à renouveler le vignoble. De 2011 à 2013, il a grimpé à 4 400 €/ha, puis en 2014 et 2015, il a atteint 5 200 €/ha. J'ai pu finir de solder mes dettes auprès des fournisseurs. Et, aujourd'hui, je me rémunère un peu mieux », détaille Gérard Bancillon. Cependant, il doit encore consolider sa trésorerie et reste prudent vis-à-vis des prélèvements privés comme des investissements.
Dans les appellations, la hausse des cours du vrac n'est pas encore suffisante pour compenser les petits rendements. « En 2015, nous avons réussi à vendre nos corbières à un prix moyen de 110 €/hl. Pour 2016, nous visons 120 €/hl », affirme Ludovic Roux, président de la coopérative Les Terroirs du Vertige, à Talairan, dans l'Aude. Cette cave vend l'essentiel de ses volumes en vrac auprès d'une quinzaine de négociants.
« Nous définissons les profils avant les vendanges, et nous négocions les prix ensuite. La qualité du millésime 2015 est excellente. Nous avons donc bon espoir d'atteindre nos objectifs ! »
Depuis 2014, la rémunération des coopérateurs progresse et leur moral remonte. « Nous avons plus de moyens pour entretenir notre vignoble, ce qui a un effet positif sur les rendements. Mais sans irrigation, ils restent limités à 40 ou 45 hl/ha en appellation et à 65 ou 70 hl/ha en IGP », souligne Ludovic Roux.
De meilleurs rendements amélioreraient encore les rémunérations et aideraient la coopérative à maîtriser ses frais. Actuellement, elle vinifie 40 000 à 45 000 hl. « Ces dernières années, nous avons récupéré des raisins auprès de caves particulières qui voulaient se concentrer sur les volumes qu'elles vendent en bouteilles. Cela nous a bien aidés », souligne le président de la coopérative.
Aux Vignobles de Constance et du Terrassous, à Terrats, dans les Pyrénées-Orientales, la hausse des cours des vins secs s'est accélérée. « Le côtes-du-roussillon rouge a atteint 100 €/hl en 2014 et 110 €/hl en 2015. Avec le décalage des ventes, les adhérents en profiteront pleinement en 2016 », note Hervé Lasserre, le directeur. Mais là aussi, les petits rendements limitent la rémunération des producteurs. « La moyenne tourne autour de 40 hl/ha. Pour redonner vraiment de l'espoir aux vignerons, il faudrait valoriser le côtes-du-roussillon entre 120 et 125 €/hl et stabiliser en même temps les rendements autour de 45-50 hl/ha », estime-t-il. Un projet d'irrigation est à l'étude. Par ailleurs, l'appellation Côtes du Roussillon Les Aspres, dont la coopérative produit 1 200 hl, devrait passer en 2016 en Côtes du Roussillon villages Les Aspres. « Tout cela devrait finir par motiver des jeunes pour s'installer. »
C'est déjà le cas de Mathieu Mauran, installé à Terrats. En 2011, à 21 ans, il a lâché son BTS viti-oeno pour racheter 22 ha de vignes à Jacques Mossé, un viticulteur voisin. « C'était une belle occasion, je l'ai saisie. J'ai repris en même temps la marque Château Mossé que Jacques Mossé avait développée en cave particulière. Je l'ai cédée par contrat à la coopérative, en échange d'un bonus de rémunération de 20 %. Cela a rassuré la banque », souligne-t-il. Son père et son oncle, déjà vignerons coopérateurs, l'ont soutenu dans son installation. « Je suis entré dans leur Cuma pour bénéficier du matériel. Nous nous entraidons. Et mon père m'a aidé à financer ma première récolte. »
Avec le Château Mossé, la coopérative de Terrats dispose d'un domaine supplémentaire pour étoffer sa gamme.
« En 2015, nous en avons vendu 20 000 cols en rouge et 15 000 cols en rosé, et nous allons en élaborer 60 % de plus en 2016 », détaille Hervé Lasserre. Le rouge est vendu au caveau à 6,50 €/col et le rosé à 5,90 €/col. « C'est un bon rapport qualité-prix. La demande est forte », affirme-t-il.
Mathieu Mauran, de son côté, a vu son chiffre d'affaires progresser. Mais, pour l'instant, il parvient tout juste à couvrir ses frais. « Mes cotisations MSA ont vite grimpé car les annuités du foncier ne sont pas comptées comme des charges. Je vais devoir passer en société pour résoudre ce problème. Pour l'instant, je vis grâce à un petit emploi salarié dans l'entreprise de travaux agricoles de mon père. Mais je suis heureux de faire le métier que j'aime ! »
Dans les caves qui vendent principalement en bouteille, le chiffre d'affaires s'améliore en même temps que la montée en gamme. Mais la trésorerie demeure le nerf de la guerre. « Les banques regardent les créances à l'export avec méfiance, les couvertures d'assurance-crédit se rétrécissent et les aides européennes à la promotion sur les pays tiers sont très difficiles à obtenir », constate Gilles Jaubert, un des associés de Château Planères, à Saint-Jean-Lasseille, dans les Pyrénées-Orientales.
Sur 107 ha, le domaine produit 500 000 cols, vendus à 50 % à l'export. « Nous progressons en Asie, et pas seulement en Chine. En 2015, nous avons obtenu de bons retours au Vietnam, en Corée et en Malaisie. Aux États-Unis, nous redémarrons après avoir restructuré notre réseau de distribution. Dans ces pays, nous arrivons plus facilement à valoriser la qualité de nos vins que dans l'Union européenne », affirme-t-il. En contrepartie, la prise de risque et l'investissement commercial sont plus importants. « Je passe quatre mois par an à l'étranger, mais c'est passionnant de découvrir de nouveaux pays ! Et cela en vaut la peine. En 2015, notre chiffre d'affaires devrait progresser de 22 % », se réjouit Gilles Jaubert.
Malgré tous ces bons signaux, le renouvellement sur les exploitations reste un problème. Tout le monde souligne qu'il demeure insuffisant. Pour attirer plus de jeunes, il faudrait que les revenus progressent davantage.
Cette année, à la coopérative Les Terroirs du Vertige, un jeune va reprendre une exploitation familiale de 30 ha. « C'est une bonne nouvelle, note Ludovic Roux. Mais pour que d'autres jeunes vignerons s'installent, la situation doit s'améliorer durablement. Nous avons perdu de l'argent pendant dix ans ! » À Bourdic, Gérard Bancillon estime quant à lui que le négoce doit prendre sa part de responsabilité dans l'affaire. « Pour avoir une vraie visibilité susceptible d'intéresser les jeunes, il faudrait des contrats pluriannuels avec des prix en face des volumes », explique-t-il.
+ 23 %
C'est la hausse du chiffre d'affaires de la filière viticole à la production, tous vins confondus, entre 2012 et 2014. En 2014, ce chiffre d'affaires a atteint 1,6 milliard d'euros. Source : comptes régionaux de l'Agriculture.
ÇA MARCHE AUSSI... EN ROUSSILLON
- La qualité des vins ne cesse de progresser, et cela commence à se savoir. En 2015, The Wine Advocate, la revue créée par Robert Parker, a attribué un bouquet de belles notes à des vins du Roussillon. De plus, elle a consacré ce vignoble « roi du millésime 2013 » en France.
- L'interprofession a décidé de passer le turbo pour améliorer la visibilité du Roussillon. Pour se donner les moyens de ses ambitions, elle a voté une augmentation de 23 % des cotisations. Elle bénéficiera ainsi d'un budget en hausse de 15 % pour promouvoir ses vins. « Nous en avons profité pour ouvrir un débat de fond sur l'utilisation de cet argent. Pour cela, nous avons formé un groupe de réflexion. Une vingtaine de nos adhérents a répondu présent. Je n'en avais jamais vu autant dans de telles réunions ! C'est un élan collectif nouveau, très encourageant. Nos entreprises progressent, faisons-le savoir ensemble ! », se réjouit Guy Jaubert, président du syndicat des Vignerons indépendants des Pyrénées-Orientales.
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX... EN ROUSSILLON
- Bloqués à 140 €/hl, dans un marché en régression, les cours du rivesaltes ne permettent plus de dégager un revenu. Seules les ventes de vieux millésimes se développent. « Là, nous avons un trésor à valoriser, qui nous aide à nous forger une notoriété. Nous en vendons 25 000 à 30 000 cols par an, entre 10 et 60 € suivant les millésimes », note Hervé Lasserre, directeur des Vignobles de Constance et du Terrassous.
- Au cours des neuf premiers mois de 2015, les ventes de muscat de rivesaltes ont encore reculé de 2,1 %. Néanmoins, à 230 €/hl, il s'en sort mieux que le rivesaltes. Entre le volume commercialisé en vin doux naturel et celui en vin sec, le produit brut atteint 6 000 à 7 000 €/ha. C'est une rentrée importante pour beaucoup d'exploitations. Mais les ventes s'érodent petit à petit car, au sein du rayon apéritifs, la concurrence reste forte.
- Trop de surfaces sont dévolues aux muscats doux. Une réflexion est menée pour orienter une partie du vignoble vers les muscats secs. « Nous en produisons déjà 2 500 hl. Les raisins sont récoltés tôt pour préserver les arômes, l'acidité et la fraîcheur. L'élevage se fait sur lies. Nous avons modernisé le profil et cela fonctionne. Les négociants viennent nous chercher ! », constate Hervé Lasserre.
+ 3,3 %
C'est la hausse en valeur des exportations des IGP Pays d'Oc de janvier à septembre 2015. Pendant cette période, elles atteignent 343 M€, malgré un recul en volume de 3,2 % lié à la petite récolte 2014. Source : Inter Oc
ÇA MARCHE AUSSI... EN LANGUEDOC
- La montée en gamme se poursuit. « Les parts de marché que nos appellations ont gagnées avec la bonne récolte 2013 se sont maintenues en 2015, dans un contexte national bien mieux approvisionné. Et cela ne s'est pas fait au détriment des prix, qui ont encore progressé dans les GMS ! », note Jérôme Villaret, directeur du CIVL. Les enseignes qui mettent en avant les vins du Languedoc constatent que les consommateurs les apprécient. En cinq ans, la hausse du chiffre d'affaires dans les GMS atteint 47 %. La part des vins vendus en dessous de 3 €/col n'est plus que de 38 % contre 66 % il y a cinq ans. Et c'est au-dessus de 5 €/col que la croissance est la plus forte.
- La réorientation des débouchés est en marche. « Nous avons lâché les enseignes qui cherchent avant tout un prix bas. Mais il faut ensuite trouver de nouveaux marchés pour ces vins. En France, le Languedoc n'a pas encore la notoriété qu'il mérite, il faut lutter contre les préjugés », constate Christian Reynaud, directeur de la coopérative de Saint-Saturnin-de-Lucian, dans l'Hérault.
- L'offre premium se développe. C'est donc un contexte favorable pour monter en gamme. « Aujourd'hui, nous arrivons à faire accepter des vins à 10 €/col dans les GMS. À 15 €/col, par contre, les consommateurs hésitent. Il y a un plafond de verre à percer, c'est notre ambition pour les cinq ans à venir », affirme Jérôme Villaret.
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX... EN LANGUEDOC
- L'installation ne redémarre que timidement. Durant les années de crise, le nombre d'installations a fortement chuté. Si la tendance ne s'inverse pas, les surfaces en vigne pourraient diminuer, faute de vignerons. « Un tiers de ceux qui partent à la retraite ne sont pas remplacés. Jusqu'à présent, leurs vignes étaient reprises par d'autres. Mais aujourd'hui, l'agrandissement des exploitations arrive à sa limite. Pour ne pas casser la croissance de l'IGP Pays d'Oc, nous devons relancer l'installation », affirme Jacques Gravegeal, président de l'ODG Pays d'Oc.
- Trouver du foncier et des financements pour les plantations nouvelles reste difficile. L'ODG Pays d'Oc comme les coopératives planchent pour en faciliter l'accès. « Avec la Safer, nous cherchons du foncier pour les jeunes, et nous envisageons de les aider financièrement », détaille Christian Reynaud, directeur de la coopérative de Saint-Saturnin-de-Lucian, dans l'Hérault.
- Les coûts de production sont encore trop élevés. À Bourdic, la coopérative ne manque pas de projets. « Nous réfléchissons à la mise en commun de matériel ou encore à un groupement d'achats pour les intrants afin de réduire les coûts. En trois ans, nous avons déjà vu une quinzaine de jeunes revenir sur l'exploitation familiale après avoir exercé d'autres métiers, c'est le moment de soutenir le mouvement », estime Gérard Bancillon, le président.