« Jusqu'à quand ? » Dans les réunions viticoles, la question revient régulièrement. « Jusqu'à quand le cabernet d'Anjou et le crémant de Loire vont-ils continuer à bien se vendre ? Jusqu'à quel niveau de prix les consommateurs vont-ils les acheter ? »
Dans les deux AOC, les cours ont pris 15 % en un an. En novembre dernier, le cabernet d'Anjou s'échangeait à 186 €/hl et le crémant de Loire à 181 €/hl. Or, avec quelque 325 000 hl récoltés en 2014 - soit un tiers des volumes de l'appellation d'Anjou-Saumur - le cabernet d'Anjou est l'un des poumons économiques du vignoble. Le crémant de Loire est, lui, l'autre pilier. Sa production a ainsi doublé en dix ans pour atteindre les 155 000 hl en 2015.
Tony Rousseau a su prendre le train au bon moment, à l'instar de nombre de ses collègues. Dans son vignoble de 30 ha, la surface affectée au cabernet d'Anjou est passée en quelques années de 7 à 10 ha, et celle dédiée au crémant de Loire a fait un bond de 0,5 à 3,5 ha. « J'ai développé le crémant parce que j'ai obtenu des marchés au négoce. Cela m'a permis d'orienter des parcelles de chenin difficiles - auparavant destinées à des vins tranquilles - vers les bulles », indique le vigneron de Saint-Lambert-du-Lattay (Maine-et-Loire).
L'essor du cabernet d'Anjou et du crémant de Loire lui a permis d'accélérer son programme de développement. « En 2014-2015, nous avons investi 230 000 euros pour construire une cave dans un bâtiment neuf, dotée d'une cuverie et d'équipements de sécurité. Sans la très bonne tenue du cabernet et du crémant, on aurait initié ces travaux sur un plus long terme. Bien sûr, nous avons reçu les aides de FranceAgriMer. Mais ce n'est pas cela qui a déclenché les investissements. » Et pour 2016 ? « Nous continuons cette politique. Nous avons prévu une enveloppe de 130 000 euros pour un pressoir, un générateur d'azote, un retourneur de crémant (gyropalette) et un outil de micro-oxygénation. »
Catherine Motheron, spécialiste des rosés qui représentent les trois quarts des 50 ha qu'elle exploite à Martigné-Briand (Maine-et-Loire), investit, elle aussi, dans son exploitation. La vigneronne vend une partie de sa production en vrac au négoce et le reste en bouteille, essentiellement à l'export. « La bonne santé du rosé me permet de moderniser mon outil de travail. Je vais changer mon pressoir pour passer d'un 30 hl à un 50 hl. Autre dossier : acheter une machine à vendanger avec un égrappoir embarqué. Mais là, je cherche une machine d'occasion. » L'Anjou reste une terre de prudence et de mesure.
Ce que confirme Régis Alcocer, coopérateur sur 20 ha à Faye-d'Anjou (Maine-et-Loire). « La bonne tenue du rosé me permet d'investir. Mais même si ça va plutôt bien en ce moment, il faut gérer prudemment. Avec un collègue, j'ai acheté une écimeuse à deux rangs. Maintenant, je vais investir dans un tracteur plus performant. Ce n'est pas pour le plaisir d'avoir un plus gros tracteur, mais pour coupler du matériel, effectuer plusieurs opérations en un passage et gagner en efficacité. Il faut profiter de l'embellie pour maintenir la productivité. On s'en sortira d'autant mieux si l'activité faiblit dans quelques années. On sait qu'on vit des cycles économiques. »
En 2015, il aura investi au total 100 000 euros. Une somme conséquente, qui tient aussi compte du renouvellement du vignoble. « Avant, je replantais 0,5 ha par an, aujourd'hui c'est plutôt 1,5 ha. Tout cela pour avoir une entreprise performante. Enfin, je mets aussi à profit la bonne tenue des marchés pour anticiper certains remboursements d'emprunt et renforcer mes fonds propres. Tout ce que je programme est raisonné en pensant que des années moins faciles peuvent se présenter. »
Laurent Ménestreau pensait à l'avenir de son domaine quand il a décidé d'orienter une partie de ses surfaces de cabernet franc en rosé plutôt qu'en saumur rouge. Comme chez beaucoup de ses collègues du Saumurois, le cabernet d'Anjou est venu compléter la gamme des AOC traditionnelles de Saumur dans les années 2000. Et lorsqu'il s'est agi, en 2009, d'installer son fils Quentin, le vigneron de Pouançay (Vienne) s'est agrandi pour produire du crémant de Loire et du cabernet d'Anjou. « On a ajouté 10 ha pour atteindre 35 ha au total. Nous avons acheté une partie et loué le reste. Quand on a discuté avec le banquier, il a regardé de près ce qu'on voulait produire. Le fait qu'on s'oriente sur ces deux AOC l'a rassuré. »
Quand il prend sa casquette de président de la Fédération viticole de l'Anjou, Laurent Ménestreau savoure également le fait de vivre dans une région où la bonne santé de ces AOC - il y ajoute notamment le saumur-champigny et le rosé d'Anjou - permet une dynamique collective. « C'est intéressant pour un président d'ODG de gérer du développement plutôt que des crises », analyse-t-il, en considérant que rien n'est jamais gagné d'avance. « Il faut toujours bien piloter l'offre et la demande pour que l'ensemble de la filière continue à en vivre, et qu'on puisse installer des jeunes. »
309 000 hl
C'est le volume de cabernet d'Anjou sorti des chais pendant la dernière campagne. Le deuxième meilleur chiffre de l'histoire de l'appellation.
Source : InterLoire.
ÇA MARCHE AUSSI...
- Qualité et volume ont été au rendez-vous l'an dernier, alors que les stocks étaient faibles en fin de campagne. Après deux années de petites récoltes et une année moyenne, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, les vignerons angevins ont retrouvé le sourire en 2015.
- Le vignoble accueille toujours de nouveaux viticulteurs, à hauteur d'une vingtaine par an : des jeunes reprenant l'exploitation familiale ou des néo-vignerons qui choisissent l'Anjou car le foncier reste abordable.
- La surface du vignoble reste stable, autour de 20 000 ha, depuis une quinzaine d'années. Résultat de la volonté des professionnels qui ont toujours voulu maîtriser le potentiel de production.
ÇA POURRAIT ALLER MIEUX...
- Les blancs liquoreux - les coteaux-du-layon notamment - ont vu leur volume diminuer de 20 % en dix ans. La situation est pire pour l'anjou blanc sec dont les volumes ont été divisés par deux au cours de la même période.Pour remonter la pente, plusieurs initiatives ont vu le jour. Dernière idée évoquée : la création de crus de blancs secs.
- En rouges, la production des appellations Anjou et Saumur a baissé de 40 % en dix ans. Et pour cause : 95 % des ventes restent cantonnées au marché français. Anjou et saumur rouges ne parviennent pas à dépasser nos frontières.