JEAN ET ANNE LIGNÈRES lors de la soirée de dégustation à L'Envie du Sud, à Toulouse. © L. LECARPENTIER
JEAN LIGNÈRES entame la discussion avec un jeune Chinois voulant devenir sommelier. © L. LECARPENTIER
Il fait déjà quasiment nuit, ce mercredi 3 décembre, à Toulouse, lorsqu'Anne et Jean Lignères, propriétaires du Château La Baronne, à Fontcouverte (Aude), commencent à s'installer pour animer une dégustation. Ce soir-là, ils ont choisi de faire découvrir quatre de leurs crus biologiques, deux AOP Corbières rouges et deux IGP Aude-Hauterive rouges. C'est L'Envie du Sud, une cave à vins du vieux Toulouse, tenue par François Trauque, qui les accueille. Ce fin connaisseur reçoit également Rodolphe Gianesini et Lætitia Ourliac, du Château Fond-Cyprès, et Loïc Baccou, du Château Ollieux Romanis. Durant la soirée, les vignerons feront déguster leurs vins, mais c'est le caviste qui les vendra.
Située sur la place des Carmes, haut lieu de la gastronomie toulousaine, la boutique fait face au bâtiment qui abrite le marché du même nom. Tout autour, épiceries fines, boutiques de produits artisanaux et restaurants complètent l'offre alimentaire. Le quartier attire les gourmets.
À 17 heures, tout est prêt. Des bouteilles de vin et d'alcool tapissent entièrement les murs. Au coeur du magasin, des flacons de corbières sont disposés en pyramide sur des îlots de cartons et de caisses en bois empilés qui servent de présentoirs. Des verres à pied et des seaux à champagne attendent les dégustateurs sur trois tables hautes de type « mange-debout ». Les prix, eux, sont collés les tables.
François Trauque est originaire des Corbières. Cette soirée dégustation lui tient à coeur. Il a invité par mail tous ses clients et a annoncé l'opération sur sa page Facebook. Anne et Jean Lignères ont également envoyé l'information à leurs amis toulousains. Ils se déplacent rarement en couple pour une animation, mais Toulouse étant proche de chez eux et rappelant de bons souvenirs d'étudiant à Jean, ils ont eu envie de partager ce moment. En outre, ils connaissent bien cette cave où leurs vins sont présents depuis son ouverture, en 2009. Comme Jean Lignères est vigneron, mais également médecin, il a dû fermer son cabinet pour être présent.
Jean-Michel est l'un des premiers visiteurs arrivé sur place. Jean Lignères lui présente son exploitation « très familiale et "dans le vin" depuis plusieurs générations ». « Notre propriété est située au pied des Corbières, entre Narbonne et Carcassonne, sur des terrains de marnes bleues et de graves argilo-calcaires, lui décrit-il. Nous élaborons des vins très naturels, sans ajouter de sulfites, et nous réalisons des assemblages qui permettent l'expression des cépages. »
Le vigneron propose alors à son visiteur de déguster un corbières, « Les Chemins de Traverse » 2014, composé de carignan, syrah et mourvèdre. « Nous effectuons les vendanges à la main, dans des caissettes, pour chacune de nos parcelles, précise-t-il. Pour cette cuvée, nous vinifions en grappes entières non éraflées. Nous les foulons au pied dans des cuves en bois. Nous voulons ainsi obtenir des tanins qui vont protéger le vin. Le 2014 doit se boire jeune, ce n'est pas un vin de garde. Il est léger et accompagne facilement les repas de tous les jours. » Jean-Michel demande alors si le vin est élevé en cuve. Jean lui explique qu'il passe en effet rapidement dans une cuve en bois, puis dans une cuve en ciment. « Nous mettons en bouteille très tôt, début mars », lui précise-t-il.
Anne Lignères complète la présentation en montrant de belles photos de la propriété sur une tablette tactile. Deux autres invités ont rejoint Jean-Michel. « Ici, vous êtes dans la cave, explique-t-elle. Imaginez que vous vous placiez au-dessus des cuves, vous sentez le parfum du vin. » Le diaporama préparé pour les rencontres avec les clients permet de faire le tour de la propriété en un clin d'oeil. « Nous possédons 90 ha de vignes et nous travaillons en biodynamie, détaille Anne. Nous sommes certifiés Demeter. Nous avons des ruches et nous n'utilisons aucun insecticide, mais des tisanes de plantes pour traiter nos vignes. Un tiers d'entre elles sont par ailleurs travaillées à la bêche. »
Deux étudiants japonais s'approchent des Lignères. L'un d'eux veut devenir sommelier et s'intéresse à la cuvée « Pièce de Roche », un IGP Aude-Hauterive 100 % carignan. « Nous produisons ce vin à partir d'une parcelle de 3,5 ha plantée en 1892, détaille fièrement Jean Lignères. C'est une vraie richesse pour notre domaine. Mais maintenir les ceps d'une vigne aussi vieille demande un travail d'orfèvre. » « Vous devez avoir beaucoup de pieds manquants ? », s'inquiètent les visiteurs. « Pas plus de 10 à 12 % », rassure le vigneron. À la dégustation le vin se révèle très long en bouche. « Le carignan est un vin d'émotion, reprend-t-il. C'est vous qui allez le chercher. En tant que vignerons, notre coeur est dans le carignan. Il est subtil. Nous avons ici la démonstration qu'il fallait vraiment garder cette parcelle. »
Sur la tablette tactile, les invités découvrent des photos de jarres en terre cuite. Certains vins du domaine y passent onze à douze mois. « Nous avions un grand-père potier et nous nous intéressons à ces contenants, ajoute Anne Lignères. Mais encore faut-il choisir les bons. L'important est de ne pas perturber le vin. Trouver le bon liège pour le bouchon, puis le bon matériau - Inox, bois ou terre cuite - pour l'élevage est fondamental si l'on veut élaborer les crus tels que nous les imaginons. »
Autre détail pittoresque qui surprend les clients, l'utilisation de la « bouse de corne », résultat de la maturation de bouse de vache dans une corne de vache, enterrée durant la période hivernale à environ un mètre de profondeur, dans un endroit bien drainé. « Cela nourrit la terre en favorisant l'activité microbienne et la formation d'humus », indique le vigneron.
Alors que le flux des visiteurs se calme un peu et que François Trauque et ses deux vendeurs sont moins sollicités, Anne et Jean Lignères les interpellent : « On vous fait goûter ? » Ils commencent par leur corbières « Les Chemins », à base de carignan, grenache, syrah et mourvèdre. « Nous avons ici un vin jeune et frais », précise Anne. « Il est facile à boire », confirme l'un des vendeurs. Après avoir testé « Les Chemins » et « Pièce de Roche », ils passent à « Las Vals », le quatrième cru présenté. « Cet IGP Aude-Hauterive, 100 % mourvèdre, a un rendement très bas, à 18 hl/ha. Nous n'en produisons que 6 500 bouteilles par an », explique Jean. « Il est puissant et épicé, note le caviste. Il est important pour moi de trouver ce qui se fait de mieux dans chaque vignoble, de proposer mes goûts et d'avoir une identité. Ce vin y participe. »
Avec leurs décoctions et infusions de plantes, leur bouse de corne... mais surtout l'enthousiasme qui les anime lorsqu'ils parlent de leurs vins, Anne et Jean Lignères captivent et convainquent leurs interlocuteurs. Certains donnent leur adresse mail pour recevoir des informations. D'autres prennent les coordonnées du domaine et promettent de venir le visiter. La boutique L'Envie du Sud n'a pas désempli de la soirée, qui se termine après 20 h 30.
Anne Lignères tire un premier bilan quelques jours après son retour à Fontcouverte : « Nous avons été très contents de cette opération. C'était une bonne idée de l'organiser juste avant les fêtes de fin d'année. L'Envie du Sud a été par la suite "dévalisé". Nos vins se sont vendus beaucoup plus vite que d'habitude et nous venons de recevoir une grosse commande de réapprovisionnement : 120 bouteilles de "Las Vals", alors que le caviste en prenait habituellement 36, mais aussi deux fois plus d'AOC Corbières "Les Chemins" (48 bouteilles) et "Les Chemins de Traverse" (24 bouteilles). Nous attendons de voir si des clients rencontrés ce soir-là nous rendrons visite. »
QUELQUES CONSEILS POUR SÉDUIRE LES CLIENTS
- Enthousiasme et émotion : pour bien vendre votre produit, rien ne vaut de décrire votre travail avec ferveur, et détails pittoresques sur votre façon de faire. Une attitude ouverte et positive fera que les clients se rappelleront de vous.
- Les images : de belles photos de bonne qualité et de petites vidéos diffusées sur une tablette tactile sont un très bon moyen d'illustrer des propos techniques, parfois abstraits pour les visiteurs. On peut ainsi enchaîner sur d'autres questions et établir un dialogue constructif qui leur donne envie de venir sur la propriété.
- L'export : Anne et Jean Lignères ont un commercial chargé des marchés français et suisse, mais c'est eux qui s'occupent des exportations en Allemagne, Belgique et dans le nord de l'Europe. Présenter des visuels est encore plus important sur ces salons étrangers, pour situer la propriété dans son décor.
Une semaine pour les Corbières à Toulouse
Le Syndicat général de l'AOC Corbières organisait, pour la première fois, un festival vino-gastronomique à Toulouse, du 30 novembre au 6 décembre 2015. Pendant sept jours, vingt-et-un restaurants, caves et bars à vins ont mis l'appellation à l'honneur au cours de quatre-vingts rencontres avec les consommateurs. Trente-six châteaux et domaines viticoles participaient à l'opération. Au menu : discussions avec les vignerons chez les cavistes et dans les bars à vins, dégustations thématiques, accompagnements de plats dans les restaurants, ateliers vino-gastronomiques autour des accords mets-vins... Sans oublier un food-truck ambulant aux couleurs des vins des Corbières pour les amateurs de hamburgers. « Il était important qu'un maximum de professionnels participent à cette opération, commente Jérôme Villaret, délégué général du CIVL. Notre communication est d'autant plus efficace que ceux-ci sont proches de leurs clients. Nous devons faire savoir, à Toulouse, que nous avons de bons vins. Regrouper les vignerons permet d'organiser des événements de grande ampleur, qui ont de la visibilité. Notre objectif n'est pas forcément de vendre plus durant cette semaine, mais de faire travailler les cavistes qui jouent le jeu et développeront ensuite leur offre en corbières. »