Si l'on en croit Denis Legras, embouteilleur dans l'Hérault, sa profession se partage en deux grandes familles : les « interventionnistes » et les « non-interventionnistes ». Les premiers, dont il fait partie, acceptent d'ajouter des produits oenologiques aux vins pour les stabiliser, comme les gommes arabiques. Ils ajustent les teneurs en SO2 et CO2 et réalisent diverses étapes de filtration en un passage. Les non-interventionnistes, eux, arrivent lorsque le vin est stabilisé et préfiltré. « Ces derniers constituent la très grande majorité. Dans l'arc méditerranéen, nous ne sommes plus que trois à accepter de terminer la préparation des vins. Pourtant, notre façon de faire est très qualitative : le vin ne subit qu'un seul pompage avant la mise. Il est moins brassé, moins oxygéné, et perd moins d'arômes. »
Cette pratique présente aussi des avantages pour le vigneron. « Il n'a pas besoin d'avoir de la place en cuverie quand il doit préparer 150 hl sur un lot de 300 hl. »
La seule exigence de Denis Legras est de travailler avec ses propres produits oenologiques. « Je dois être sûr de leur efficacité. Je sais par exemple que la CMC de Laffort est la seule qui ne colmate pas les filtres lorsqu'ils sont bien séquencés. » À l'arrivée, ses clients n'ont pour surcoût que le prix des produits oenologiques et de son assurance en responsabilité civile. Lorsqu'on demande à Denis Legras pourquoi son espèce est « en voie de disparition », il explique que la tendance est à la déresponsabilisation. « Désormais, les embouteilleurs prennent des vins finis. S'il y a un souci après la mise, ils ne sont pas fautifs. »
Cogérant de Vineolis, à Brignoles (Var), Benoît Aldias est dans le camp des non-interventionnistes. Son contrat d'assurance stipule qu'il ne doit pas ajouter d'intrants oenologiques dans le vin. Pour en apporter la preuve, le vin est analysé avant et après la mise en bouteille. Mais, la question n'est pas de se décharger de ses responsabilités. Il s'agit de répondre au souhait de ses clients. « Ils ont à coeur de s'occuper de leurs vins. Ils les préparent à la mise en les dégustant régulièrement. En revanche, beaucoup trouvent judicieux de laisser l'embouteilleur filtrer. Cela évite de bouger les vins plusieurs fois. Nous acceptons donc des vins collés et stabilisés, mais non préfiltrés. »
À Bordeaux, les embouteilleurs ont encore moins la main sur les vins. « Les vignerons bordelais font confiance à leur oenologue ou à leur laboratoire-conseil pour préparer leurs vins. Ils ne nous appellent que lorsqu'ils sont prêts à la mise. Il est assez rare qu'on nous demande de les préfiltrer, et nous ne réajustons jamais le niveau de SO2. Ce que les vignerons souhaitent, ce sont des mises en bouteille ultra-performantes au niveau de l'oxygène », explique Didier Poupin, gérant de Renfort, à Beychac-et-Caillau.
Chaque région viticole a donc ses desiderata. Fabrice Delaveau, directeur général de Michaël Paetzold, prestataire de services qui intervient sur tout le territoire, le constate au quotidien. « En Bourgogne, l'embouteilleur doit savoir gérer les niveaux de SO2 et de CO2. À Sancerre ou à Saumur, on considère que le prestataire doit pouvoir préparer les vins à la mise, de la stabilisation à la filtration, alors qu'à Bordeaux cela peut être perçu comme de l'ingérence. »
On pourrait penser que le choix des vignerons pour leur embouteilleur dépend de leur type de vin, un rouge d'élevage ne nécessitant pas les mêmes préparations qu'un rosé à rotation rapide. Mais, d'après Fabrice Delaveau, ce n'est pas aussi simple puisque, à catégories de vins égales, les attentes des vignerons diffèrent suivant leur région de production.
Quelques précautions à prendre
Pour éviter les mauvaises surprises avec un embouteilleur, plusieurs points sont à respecter. D'abord, il faut définir un cahier des charges en concertation avec le prestataire. Pour cela, Inter Rhône conseille de s'inspirer du guide pratique édité par le Cetie : Cahier n° 13, Embouteillage mobile à façon des vins tranquilles. Le cahier des charges doit, par exemple, stipuler la valeur maximale d'apport en oxygène durant la mise. Sur ce même sujet, le vigneron doit exiger de son prestataire qu'il lui fournisse des rapports indépendants d'audits d'oxygène réalisés sur ses camions. Il doit lui demander d'effectuer lui-même, en auto-contrôle, des mesures d'oxygène durant la mise. Il est enfin plus prudent de demander au prestataire le tableau des montants des garanties de son assurance en responsabilité civile.