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VIN

Moûts difficiles Les tanins de secours

MARION BAZIREAU - La vigne - n°288 - juillet 2016 - page 48

L'offre en tanins oenologiques est pléthorique. Pendant la fermentation, ils permettent de pallier des problèmes sanitaires ou des manques de maturité. À ce stade de la vinification, il est inutile de se ruiner.
L'AJOUT DE TANINS améliore la structure du vin et  stabilise sa couleur. ©  C. WATIER

L'AJOUT DE TANINS améliore la structure du vin et stabilise sa couleur. © C. WATIER

Tous les tanins sont dans la nature. En vinification, le vigneron a le choix entre des tanins galliques, issus de noix de galle ou de gousse de tara, des tanins ellagiques, de chêne ou de châtaignier, et des tanins proanthocyanidiques, extraits de pellicule ou de pépins de raisin, ou même de quebracho, un arbre sud-américain.

« Face à cette offre pléthorique et à la pression des fournisseurs, les tanins oenologiques sont souvent utilisés à tort et à travers, regrette Paul Godard de Beaufort, oenologue à l'Œnocentre de Blanquefort, en Gironde. En fait, les ajouts sur raisins devraient être réservés aux années de sous-maturité ou lors de problèmes sanitaires. » En effet, en plus d'être de bons anti-oxydants, les tanins inhibent les enzymes du Botrytis, notamment la laccase.

Au moment de l'encuvage, leur deuxième vocation est de stabiliser la matière colorante. « Nous les employons pour maintenir la couleur de certains cinsaults et grenaches à haut rendement, qui développent une nuance framboisine et pourraient devenir trop pâles après la fermentation malolactique », témoigne Sébastien Pardaillé, oenologue-conseil au laboratoire Natoli, à Saint-Clément-de-Rivière, dans l'Hérault.

Certains s'en servent également pour gagner en structure. « Mais avant cela, mieux vaut tout faire pour atteindre de bonnes maturités polyphénoliques. » Christophe Viguié, directeur commercial Europe pour Oak Solutions Group, ajoute que les tanins permettent aussi de gommer les notes végétales et d'apporter de la sucrosité lorsque le raisin manque de maturité. À cette fin, il préconise les tanins de chêne non-chauffés. « Nous en avons beaucoup vendu en 2013, à Bordeaux. »

Quelles préparations utiliser ? Les oenologues-conseils sont d'avis qu'avant la fin des fermentations, il est inutile de se ruiner. Les tanins bon marché suffisent. « Pour éviter l'oxydation et inhiber les laccases, je conseille plutôt des tanins galliques. Pour apporter de la structure et de la couleur, j'ai tendance à orienter les vignerons vers des tanins condensés de quebracho, explique Éric Pilatte, oenologue-conseil en Saône-et-Loire. Ce n'est pas la peine d'utiliser des tanins de raisin. Ils sont très chers et n'ont pas vraiment d'intérêt si tôt dans la vinification. » D'autant plus qu'une partie des tanins que l'on ajoute à la vendange est perdue. Ils précipitent avec les levures et certaines protéines.

Plus chers et de meilleure qualité, les tanins de chêne ou de raisin peuvent être ajoutés à partir du décuvage pour apporter de la structure, ou corriger des creux en bouche. Selon Sébastien Pardaillé, « il faut compter autour de 15 €/kg pour les tanins de quebracho ou de châtaignier, entre 150 et 180 €/kg pour les préparations pures de pépins de raisin, et même jusqu'à 250 €/kg pour les préparations plus sophistiquées, telles que les associations de tanins de chêne et de polysaccharides, vendues pour leur apport de structure et/ou de notes boisées ».

Concernant le choix du fournisseur, Éric Pilatte appelle à la vigilance. Tous les tanins ne se valent pas, et les plus chers ne sont pas forcément les meilleurs. « Parfois, même les tanins de raisin sont inefficaces. Avant la première utilisation, mieux vaut faire un essai sur un petit lot. »

Reste à déterminer la bonne dose. Un trop gros apport peut amener de la dureté. « Certains fournisseurs préconisent jusqu'à 50 g/hl mais le mieux est de mettre 10 à 20 g/hl à l'encuvage », prévient Éric Pilatte.

Face aux 400 à 500 g/hl que contient déjà le moût, 5 à 50 g/hl de tanins exogènes ne pèsent pas lourd « et il est très difficile de juger de l'efficacité d'une préparation par l'analyse, explique Paul Godard de Beaufort. Mieux vaut déguster pour apprécier rapidement le gain ou la perte de qualité ». « Quelques heures après l'ajout, on peut déjà constater la différence », témoigne Éric Pilatte.

Christophe Viguié a une autre stratégie. Il préconise l'utilisation de tanins en complément de granulats de bois frais. « Cela permet de protéger le vin de l'oxydation et de stabiliser la couleur avant que la fermentation alcoolique ne démarre. Les tanins relargués par le bois prennent le relais après quelques jours de trempage. » Du coup, environ 5 g/hl de tanins suffisent. Pour le bois, il faut en ajouter entre 2 et 4 g/kg de raisin, sachant que les granulats sont vendus un peu plus de 2 €/kg.

Dernier point : la mise en oeuvre. Les préparations de tanins se présentent sous forme de poudre. Il faut les diluer dans de l'eau tiède pour qu'ils ne forment pas de grumeaux. « Et mieux vaut les verser lentement pour éviter un gros dégagement de poudre », prévient Sébastien Pardaillé. Lorsque l'on obtient une solution homogène, on l'ajoute à la cuve de fermentation, au cours d'un remontage, en prenant bien garde de plonger le tuyau sous le chapeau de marc. De plus en plus de firmes proposent des tanins sous forme de microgranules,qui se dissolvent instantanément dans le vin et épargnent au vigneron la phase de dilution.

Pas de différence à l'analyse

Dans les années 2000, Dominique Delteil a montré que les tanins ont peu ou pas d'effets sur les paramètres analytiques des vins. Le directeur de l'Institut coopératif du vin (ICV) a testé plusieurs préparations, de toutes origines, et n'a pas constaté d'évolution significative de l'indice de polyphénols totaux, pas plus que des DO 420 et 520 nm ni de l'intensité colorante. « Ce n'est pas étonnant, tranche Éric Pilatte, en quantité, les tanins oenologiques représentent peu au regard de ceux déjà présents dans le raisin. » Mais leur effet sur le profil sensoriel des vins est indéniable. « Certaines mauvaises langues disent que les tanins ne servent à rien, mais on constate vraiment la différence avec les témoins non traités », affirme Éric Pilatte.

L'apport des tanins est encore plus frappant à partir de l'élevage. Pour Sébastien Pardaillé, il est même bluffant. « En élevage ou en affinage, les tanins peuvent venir corriger un petit creux ou une finale trop ferme. Ils comblent très bien le milieu de bouche, à condition de bien les choisir et d'adapter la dose au vin. » Plus le vin contient d'alcool, plus son pouvoir sucrant est important et plus il est possible d'ajouter des tanins. Mais les tanins peuvent durcir les vins acides. « À partir de la fin des fermentations, il faut systématiquement faire des essais en laboratoire. »

Des préparations spécial élevage

Les fournisseurs lancent des produits de plus en plus spécifiques. « Aujourd'hui, on trouve beaucoup de préparations de tanins mélangés avec des polysaccharides, pour gommer l'astringence et apporter du volume en bouche. Les firmes proposent également des tanins pré-activés. Ils comportent une fonction éthanal pour se fixer plus vite aux anthocyanes », détaille Paul Godard de Beaufort. Certains tanins sont même chauffés pour augmenter le fruité ou apporter des notes grillées, vanillées ou chocolatées. Les fournisseurs les vendent comme alternative à l'élevage en fûts ou avec copeaux. Comme ils marquent plus vite le vin que les tanins de fermentation, ils doivent être ajoutés avec parcimonie, et toujours après des essais.

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