Sans surprise, « ce n'est pas la grosse effervescence en cuverie », indique Charles-Antoine Gehin, oenologue sur la côte de Beaune et la côte de Nuits pour Moreau nologie. Et pour cause : la Bourgogne accuse entre 30 et 50 % de pertes de récolte. Le Centre et le Nantais sont tout aussi mal lotis. « Dans le Muscadet, on est entre 20 et 25 hl/ha, contre 50 habituellement. L'Anjou est le secteur le moins touché du Val de Loire, avec 20 à 30 % de pertes », estime Mathilde Ollivier, de Litov nologie.
En Champagne, où les vendanges se sont achevées début octobre, la récolte devrait être proche de 9 000 kg/ha. « La pluie du 15 septembre a permis au chardonnay de grossir », explique Sébastien Debuisson, du CIVC. En Languedoc et en Provence, on annonce 10 à 15 % de déficit. « Il y a deux viticultures : celle qui a accès à l'eau et l'autre », regrette Olivier Naslès, d'Aix nologie.
Heureusement, la qualité est au rendez-vous. « Nous avons eu une belle arrière-saison. Je suis très optimiste sur la qualité des vins, ça sent bon dans les cuveries », se réjouit Charles-Antoine Gehin.
À Sancerre, Fabrice Doucet déguste des blancs très équilibrés. Pour le directeur de la Sicavac, « c'est encore mieux qu'en 2015 parce qu'il y a un peu moins de sucres et autant d'acidité. On est sur le croquant et le fruit. Ça redonne le moral. » Même constat dans le Sud-Ouest. « Les sauvignons sont citronnés, sans notes végétales. On a pu stabuler à 0 °C pour exacerber le pamplemousse », témoigne Francine Calmels, oenologue à Gaillac.
Au 4 octobre, après des vendanges très étalées à Bordeaux et en Dordogne, tous les blancs secs étaient rentrés. « Les vins sont très fins, avec de belles notes d'agrumes. Même à 14 % vol. alc., on ne tombe pas dans la lourdeur. Les fermentations se déroulent bien, il n'y a pas de réduction, cela nous permet de bâtonner un peu », rapporte Julien Belle, de l'équipe noteam.
Sur la rive droite de Bordeaux, son collègue Thomas Duclos se délecte des merlots. « Nous avons de bons rendements et la qualité est très encourageante. On part même sur des bases supérieures à 2015, avec de grosses couleurs, un bon équilibre, des degrés autour de 13,5 et des pH à 3,4. » Comme dans beaucoup de régions, il a été compliqué de choisir le bon moment pour vendanger. « On trouve beaucoup d'hétérogénéité en fonction de l'âge des ceps, des sols et des pratiques culturales. »
Pour Thomas Duclos, la clé du millésime est l'azote. Les moûts en contiennent entre 80 et 90 mg/l et doivent être complémentés pour préserver le côté fruits frais. « Il ne faut pas non plus en mettre trop, au risque de favoriser les Brettanomyces après la malo. » Les teneurs en acide malique sont très basses, « raison de plus pour bien surveiller l'azote. Les bactéries lactiques vont avoir peu de substrat, si en plus elles manquent de nutriments, ça va être compliqué », prévient-il.
En Alsace, Michel Pinsun se réjouit de cette dominante d'acide tartrique. « C'est très bien car l'acide malique peut donner un caractère herbacé aux vins », explique-t-il. Dans la vallée du Rhône, « les vins sont un peu mordants à la fin des sucres, mais ça s'estompe pendant la macération », témoigne Olivier Roustang. Dans sa région, tout est presque vendangé. « Le millésime ressemble à 2015, c'est très chouette », s'enthousiasme-t-il. Les rouges sont noirs. « En fin de fermentation, je vois des syrahs à 30 d'intensité colorante ! »
Comme lui, Olivier Naslès est ravi. « Les blancs et rosés de Provence sont très jolis et les rouges devraient être encore meilleurs qu'en 2015. L'année dernière, il fallait tout acidifier. Là, c'est au cas par cas. On est à 14-15 % vol. alc. et les tanins sont bien fondus. »
Dans le Languedoc-Roussillon, Daniel Granès, directeur de l'ICV, est plus mitigé. « Il y a deux familles de rouges. Les raisins rentrés bien mûrs sont très bons, qu'importe l'itinéraire de vinification choisi, avec des arômes de coulis de cassis. Mais, pour ceux qui sont rentrés un peu verts, il fallait privilégier la thermovinification ou des cuvaisons courtes. Il fallait également bien régler les fouloirs pour ne pas laisser passer les petites baies. Une bonne idée est d'utiliser des copeaux ou de micro-oxygéner pour arrondir ces vins et gommer leurs notes végétales. »
Début octobre, la seule préoccupation des oenologues concernait l'apparition de foyers de pourriture dans certaines parcelles.
Le Point de vue de
Yann Vergniaud, vigneron au Clos du Breil, 12 hectares, à Saint-Léon-d'Issigeac (Dordogne)
« Un millésime atypique»
« Nous avons démarré les vendanges, le 28 septembre. Début octobre, la muscadelle, le sémillon, le sauvignon et le merlot étaient en cave. Nous terminerons avec les cabernets-sauvignons et les cabernets francs autour du 15 octobre. En ce moment [le 4 octobre, NDLR], il fait très beau et l'état sanitaire est parfait. Nous pourrons tout récolter à maturité optimale. Les blancs sont en cours de fermentation. Nous les avons ensemencés avec des levures résistantes à l'alcool, car les sauvignons et les sémillons sont à 14 et la muscadelle à 13,8. Leur pH tourne autour de 3 et l'acidité totale est à 2,5. Nous aurons des corrections à faire pour relever l'acidité.
En revanche les teneurs en azote assimilable sont bonnes. C'est sûrement parce que nous apportons des engrais organiques depuis plusieurs années. Nous sommes très contents des profils aromatiques, même sur le sémillon. Pourtant, sur pieds, les baies étaient insipides. De plus, les moûts étaient très sensibles à l'oxydation. En sortie de pressoir, ils étaient roux. Nous les avons traités à la PVPP et obtenu de beaux jus clairs.
Les rouges rendent beaucoup de couleur. Il a fallu pressurer rapidement les merlots pour obtenir un rosé clair. Et nous l'avons aussi traité à la PVPP. Les jus sont très gourmands. C'est un bon millésime. Nous aurions toutefois aimé un peu de pluie en août pour sauver les volumes. Il nous manque 40 %. Sur nos 7 ha en production, nous devrions atteindre 200 hl, contre 400 hl lors d'une année moyenne. Heureusement, les 15 mm de pluie du 15 septembre ont relancé la maturation des cabernets.