En Languedoc-Roussillon, les pluies se raréfient. À tel point que l'Ouest de l'Hérault, l'Est de l'Aude et le Roussillon deviennent semi-arides. « Sur ma commune, il n'est tombé que 240 mm de septembre 2015 à juillet 2016. Et à la mi-septembre, il faisait encore 35 °C, avec un vent qui séchait les raisins », décrit Guilhem Vigroux, vigneron à Villeveyrac, dans l'Hérault, et président de la FDSEA.
Seul remède à cette situation qui plombe les rendements : développer l'irrigation. « Gérer, c'est prévoir. N'attendons pas que l'évolution climatique s'aggrave pour mobiliser de nouvelles ressources. Nous avons besoin d'un vrai plan hydraulique pour l'agriculture et l'eau potable », affirme Denis Carretier, vigneron dans l'Hérault et président de la chambre d'agriculture de la nouvelle région Occitanie. « Il nous faut un soutien politique fort, clame Guilhem Vigroux. Nous ne pouvons pas continuer comme cela. Il faut trouver des ressources en eau. C'est essentiel pour l'avenir ! »
Depuis 2010, l'irrigation est une priorité du conseil régional, mais les moyens manquent alors que les investissements sont extrêmement lourds : entre 10 000 et 15 000 €/ha. Le conseil subventionne de nombreux projets de développement avec l'Europe. Son premier plan a permis d'arroser 4 000 ha supplémentaires, portant la surface irriguée à 25 000 ha, soit 11 % du vignoble.
« Le deuxième plan (2014-2020, NDLR) permettra d'irriguer 6 000 ha de plus, alors que les projets déposés portent sur 20 000 ha. L'enveloppe n'est pas suffisante », déplore Claude Jorda, vigneron dans le Roussillon, qui siège au comité de bassin Rhône-Méditerranée.
Au manque d'argent s'ajoutent les obstacles réglementaires. La création de bassins de stockage des pluies hivernales permettrait d'alléger les prélèvements dans les nappes et les rivières tout en fournissant de l'eau à de nouveaux irrigants. Mais, sur ce thème, la ligne politique change avec chaque nouveau ministre de l'Environnement. L'annulation du projet de Sivens, dans le Tarn, a marqué les esprits. Seules les petites retenues sont encore acceptées. « De peur de perdre son temps, plus personne ne monte de projet d'ampleur, bien que la loi n'interdise pas d'en construire », constate Christophe Lafon, chargé de mission irrigation à la chambre d'agriculture d'Occitanie.
Les autres dossiers portent sur des extensions de réseaux. Ils sont acceptés à condition de fournir la preuve qu'on fera des économies d'eau. Par ailleurs, il faut être très persévérant pour les faire valider. « Pour irriguer 80 ha à Cases-de-Pène, dans les Pyrénées-Orientales, il nous a fallu quatre ans de discussions avec l'administration. Et sans la détermination de la préfète, qui a affirmé la nécessité de prendre en compte les enjeux économiques, nous n'aurions pas abouti », note Claude Jorda.
Dans les autres régions, les esprits évoluent. Lors de la réunion du Crinao Val de Loire le 1er septembre, le président de l'Union des maisons et marques de vin de Loire, Bernard Jacob, a lancé l'alerte. « On parle de réchauffement climatique alors que l'on ferme la porte à un outil qui nous permettrait de mieux le supporter : l'irrigation. » Le directeur général de la maison Ackerman regrette une autocensure des ODG sur ce sujet. « On reproche à l'irrigation d'encourager la surproduction, mais c'est un débat dépassé ! », argumente-t-il.
La production semble moins pressée que lui d'aborder le sujet. Pourtant, à Vouvray, « les vignes font la tête », reconnaît Philippe Brisebarre, vigneron et président du comité régional des AOC Val de Loire. « Après un déluge au printemps et trois mois sans eau, on dirait que le stress hydrique est encore plus fort... » Il n'est pas opposé au débat. « Il ne suffit pas d'ouvrir le robinet, il y a une réglementation à respecter. C'est vrai que l'irrigation n'est pas dans les usages de notre région mais il n'est pas interdit d'y réfléchir. »
« Bien sûr, on y a pensé ! Cela aurait fait du bien à nos vignes. » Jean-François Maison est viticulteur depuis quarante ans à Cheverny (Loir-et-Cher) sur 60 ha. Cet été, il a eu la tentation d'irriguer pour la première fois de sa vie. « On a eu très peur ! Nous avons rogné les vignes le 1er août. Un mois plus tard, la végétation n'avait pas bougé. C'est bien la preuve qu'elle était bloquée... »
Heureusement, deux chutes de pluies en septembre (19 et 9 mm) ont redonné meilleure mine aux raisins. « Nous avons eu de la chance », estime le vigneron. Au plus fort de la sécheresse, il calcule que 20 mm d'eau auraient suffi à éviter le stress hydrique.
Partout les mentalités évoluent. « Pour être franc, j'ai été longtemps opposé à l'irrigation, je trouvais ça inutile d'un point de vue économique », reconnaît Michel Defrancès, coprésident de l'inter-profession des vins du Sud-Ouest. Vigneron sur 60 ha, dont 10 de vignes jeunes, il observe les effets du réchauffement climatique. « En dix ans, nous avons connu quatre années très sèches. Avec l'irrigation, cette année, nous aurions pu récolter plus tôt sans faire souffrir la vigne et obtenir une meilleure qualité. » Du coup, il a engagé une réflexion sur le sujet au sein de son inter-profession.
« Pourquoi Bordeaux ne pourrait-il pas irriguer ? » Dans le Bordelais, le président du Crinao Sud-Ouest, Hubert de Boüard, a osé poser la question, cet été. Les jeunes vignes plantées dans les terroirs légers ont souffert de stress hydrique. Ce fut déjà le cas à Pessac-Léognan l'an dernier. Laurent Cogombles, le président du syndicat, se souvient : « En 2015, l'épisode de chaleur a eu lieu dès le mois de juillet, après un printemps chaud et sec. Nous avons demandé une dérogation pour irriguer des jeunes vignes en terre sablonneuse. » Des vignerons ont alors mis en place des moyens de fortune pour combler le déficit en eau. Puis les pluies sont venues à leur rescousse. Au final, « une petite dizaine d'hectares ont bénéficié de cette "irrigation maison" », précise Laurent Cogombles.
Cette année, la sécheresse est apparue plus tard, après le 15 août, date au-delà de laquelle il est interdit d'irriguer. « Avec une telle règle, on ne peut pas faire grand-chose », déplore Laurent Cogombles. Reste qu'une généralisation de l'irrigation à Bordeaux serait bien le signe d'un changement climatique majeur car, jusqu'ici, les années sèches ont plutôt donné de grands millésimes sans apport d'eau.
Des années de patience dans la vallée du Rhône
En 2020, si tout va bien, les travaux destinés à amener l'eau du Rhône sur 74 communes viticoles du Vaucluse et de la Drôme devraient démarrer. « Nous planchons depuis dix ans sur ce projet. Il y a quatre ans, une mission conjointe des ministères de l'Agriculture et de l'Environnement l'a enfin validé », raconte André Bernard, président de la chambre d'agriculture du Vaucluse.
Ce projet permettra à de nouveaux viticulteurs et agriculteurs d'irriguer et sécurisera ceux qui irriguent déjà. Actuellement, ces derniers puisent l'eau dans des rivières et des nappes que les autorités veulent protéger. Bientôt, ils n'en auront plus le droit. En 2017, la chambre d'agriculture va réaliser un inventaire précis des besoins. Il restera ensuite à déterminer la meilleure structure pour mener le projet, et à trouver 180 millions d'euros pour le financer.
Le Point de vue de
ALEXANDRE BOUDET, 30 HA DE VIGNES À SAINT-PARGOIRE ET À PLAISSAN (HÉRAULT)
« J'ai gagné 35 hl/ha dans une parcelle de caladoc »
« Depuis deux ans, je peux irriguer 6 ha avec le réseau de l'ASA de Plaissan. Il a fallu six ans pour faire aboutir ce projet collectif de 110 ha. L'Union européenne ayant autorisé le financement de l'irrigation, nous avons bénéficié de 80 % de subventions. Je rembourse les 20 % restants au travers d'un abonnement de 310 €/ha/an à l'ASA. J'ai aussi dû payer 2 300 €/ha pour équiper les vignes en goutte à goutte. Cette année, j'ai pu en mesurer l'intérêt dans les petites terres. Le stress hydrique excessif a ralenti la maturation. Dans une syrah irriguée, j'ai vendangé début septembre des raisins à 13,5 °. Dans une parcelle non irriguée, j'ai dû attendre le 24 septembre pour atteindre 12,5°, le minimum pour un classement en IGP. Avec l'irrigation, j'ai remonté le rendement de 48 à 80 hl/ha dans une vigne de caladoc. Ce gain de 35 hl/ha rémunérés à 60 €/hl couvre les frais d'irrigation, de 820 €/ha, et augmente la marge de 1 280 €/ha. J'ai aussi 2 ha irrigués par d'autres réseaux. Après avoir replanté et équipé mes parcelles irrigables, j'arroserai 8 ha, soit près d'un tiers de ma surface. Je devrais ainsi régulariser mes rendements et améliorer mon revenu. »