« Cette année, le plan Ecophyto a été le cadet de nos soucis. La priorité, c'était de sauver la récolte », lâche un conseiller viticole. Mais cela n'a pas été cas pour tout le monde ! Malgré l'énorme pression du mildiou, les viticulteurs des réseaux Dephy ont continué à pratiquer des réductions de dose. « Nos IFT sont inférieurs à la moyenne de la Champagne, annonce Yohan Kouzmina, de la chambre d'agriculture de la Marne. Mais ils seront supérieurs de 30 % à l'an passé. C'est plutôt bien compte tenu de la pression. D'autant plus que les viticulteurs Dephy ne déplorent pas plus de dégâts que les autres, avec 5 à 10 % de pertes dues au mildiou dans les cas extrêmes. »
Alice Durand, de la chambre d'agriculture du Loir-et-Cher, confirme : « Au départ, la végétation était très peu développée et la pression de mildiou modérée. Pour le premier traitement, vers le 10 mai, nous avons préconisé 30 % de la dose. Puis nous avons augmenté les quantités pour arriver à 80-90 % mi-juin quand la pression de mildiou était la plus forte. Avec ce programme, les viticulteurs dont les pulvérisateurs étaient bien réglés ont aussi bien protégé leurs vignes qu'avec des traitements à pleine dose. Pourtant, on a battu des records de pluviométrie en mai avec trois fois plus de précipitations que la normale. »
Les membres du réseau tourangeau ont aussi adapté leurs cadences à la pression. « Dès lors qu'ils étaient en fin de rémanence et qu'une pluie était annoncée, ils ont anticipé les renouvellements. Puis, lorsque les pluies se sont calmées en juillet, ils ont étiré les cadences, ce que n'ont pas forcément pratiqué les autres viticulteurs », note Alice Durand. C'est ainsi qu'ils sont parvenus à faire des économies en début et fin de campagne.
Dans le Bordelais, « malgré le contexte, tous les viticulteurs de notre réseau ont réduit les doses, assure Éric Capredon, qui anime dix fermes Dephy au sein d'Euralis. Leurs IFT sont plus élevés que les années précédentes car ils ont dû renouveler leurs traitements plus souvent. Néanmoins, ils restent inférieurs à ceux des autres viticulteurs. »
En Savoie, Sébastien Cortel, de la chambre d'agriculture, a eu des sueurs froides : « C'est la première fois que les viticulteurs du réseau Dephy accusent des pertes de récolte en raison de problèmes phytosanitaires. On les estime entre 0 et 30 % selon les parcelles. C'est autant que dans les autres exploitations. Pour un même calendrier de traitements, la différence est venue des travaux en vert. Cette année, les pieds ont formé de nombreux entre-coeurs. Ceux qui n'étaient pas bien ébourgeonnés ou relevés ont subi davantage d'attaques de mildiou. Nous avons aussi remarqué des écarts entre les parcelles ventées et les autres », assure-t-il.
Comment les viticulteurs de ces réseaux ont-ils vécu cette récolte ? Trois d'entre eux nous livrent leur témoignage.
Le Point de vue de
FLORENCE VEILEX, VIGNERONNE À CHÂTEAUVIEUX (LOIR-ET-CHER), 25 HA
« Même les années compliquées, on peut appliquer Optidose »
« J'adhère à Terra Vitis depuis 2009 et au réseau Dephy depuis 2012, à sa création. Cette année, nous avons subi d'énormes cumuls de pluie. Les tournières étaient trempées. Bien que tous les rangs de mes vignes soient enherbés, il y a des jours où je n'ai pas pu y entrer. Malgré cela, j'ai raisonné les traitements. Comme les années précédentes, j'ai appliqué la méthode Optidose qui consiste à adapter la dose de produit à la surface foliaire et à la pression de maladie. J'ai donc suivi les préconisations de l'animatrice du réseau. Chaque semaine, j'ai reçu une alerte donnant les recommandations à suivre et je les ai confrontées à mes propres estimations. J'ai ainsi effectué mon premier traitement le 6 mai avec du Sarman M et du LBG à 10 % de la dose, puis je suis intervenu de nouveau les 17 et 26 mai avec les mêmes produits mais à 30 % de la dose. J'ai ensuite traité tous les 6 à 8 jours en augmentant les doses pour arriver jusqu'à 90 %. Au final, j'ai fait plus de passages que pour les précédents millésimes. Mon IFT est plus élevé, mais, selon moi, cette mesure n'est pas pertinente car elle ne prend pas en compte la nature des produits que l'on utilise. J'ai constaté quelques dégâts de mildiou dans les parcelles que je n'ai pas pu traiter à temps. Il me faut en effet deux jours pour traiter tout le domaine, voire plus s'il y a des averses. Cette année, entre les premières parcelles traitées et les dernières, il y a pu y avoir jusqu'à quatre jours d'écart. À cause de cela, j'ai des pertes de récolte qui s'ajoutent à celles provoquées par le gel, l'échaudage et l'esca. Toutefois, Optidose n'est pas en cause. Les attaques de mildiou sont liées au fait que je n'ai pas pu renouveler à temps des traitements qui ont été lessivés. À noter que les fortes rosées matinales ont, elles aussi, provoqué du lessivage. »
Le Point de vue de
DENIS FORTIN, VITICULTEUR À SAINT-BADOLPH (SAVOIE), 6 HA DE VIGNES
« On a soigné les travaux en vert »
« La principale difficulté cette année a été de contrôler le mildiou. Au total, j'ai effectué neuf traitements contre le mildiou. C'est plus qu'au cours des dernières récoltes car, en fin de campagne, j'ai privilégié le cuivre alors que, les années précédentes, j'utilisais des produits plus rémanents. Globalement, je suis satisfait de ma stratégie. Je n'accuse pas de perte liée au mildiou. J'ai pu réduire de façon conséquente les doses car je dispose de pulvérisateurs bien réglés et soigne les travaux en vert. J'ai réalisé mon premier traitement antimildiou le 6 mai avec du métirame-zinc à 20 ou 30 % de la dose selon les parcelles. J'ai traité une deuxième fois onze jours plus tard à 30 ou 40 % de la dose. Et je suis à nouveau intervenu le 26 mai avec un Aviso renforcé avec du LBG à 50 % de la dose. À partir du 20 juin je suis passé à des doses de 80 %, car la pression était au plus haut. C'est la dose maximale que j'ai utilisée. Je suis très présent dans les vignes. Très tôt, on épampre les pieds pour ne pas créer d'échelle au mildiou. Lors du palissage, on enlève les entre-coeurs pour aérer le feuillage. Cela évite les entassements et favorise la pénétration des produits. À noter aussi que mes vignes sont enherbées tous les rangs. Cela a permis d'intervenir dans de bonnes conditions. Mais on a veillé à limiter le couvert végétal pour éviter d'entretenir une humidité ambiante. »
Le Point de vue de
VINCENT NAUDÉ, VIGNERON À CHARLY-SUR-MARNE (AISNE), 8 HA DE VIGNES
« J'ai piloté les renouvellements en fonction des pluies »
« J'adhère au réseau Dephy depuis sa création en 2011. 2016 est la pire année "mildiou" que j'ai jamais connue. Dès le départ, la pression a été très forte. Mes vignes sont enherbées tous les rangs et je dispose d'un pulvérisateur face par face avec des descentes dans le rang (Precijet de Tecnoma). Cela m'a bien aidé. J'ai pu passer partout en temps voulu. Et les descentes dans le rang m'ont permis de traiter toute la hauteur du feuillage. J'ai positionné mon premier antimildiou le 20 mai. J'ai opté pour un Mikal à trois quarts de dose. Habituellement, je démarre avec 50 % de la dose. Mais j'avais déjà perdu 1 ha à cause du gel. Je ne voulais pas prendre trop de risque. Lors du premier passage, il n'y avait pas encore de taches. Puis les pluies se sont succédé. J'ai donc resserré les cadences. J'ai ainsi fait un deuxième passage les 26 et 27 mai avec du Mildicut à 80 % de la dose, puis un troisième le 5 juin avec du Momentum Trio. Là, je suis repassé à 100 % de la dose car on battait des records de pluie. Vu les cumuls de pluie, il fallait faire attention. Tout au long de la saison, j'ai piloté les renouvellements en fonction des pluies. Chaque matin, je consultais les radars. Dès qu'approchait la fin de la rémanence et que je voyais les pluies arriver, je partais traiter. La pression a été continue en mai, juin et juillet. En août, les choses se sont calmées. J'ai fait mon dernier traitement le 10 août, alors que certains confrères sont encore intervenus dans la semaine du 15 août. Au final, j'ai fait 10 passages anti-mildiou (IFT de 8,84). Vu la pression, je pensais en faire bien davantage. Je m'en tire donc plutôt bien. Sur mon exploitation, les pertes dues au mildiou ont été très limitées : seules deux à trois grappes ont séché par-ci par-là. Mais j'ai des voisins qui ont perdu 20 % de leur récolte. La principale difficulté que j'ai rencontrée a été d'obtenir des prévisions météo fiables. Parfois des pluies étaient annoncées alors qu'il n'est rien tombé et inversement. Le Comité Champagne travaille sur ce sujet pour nous proposer ses propres prévisions. »