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VIGNE

Vinification Des rafles dans les bordeaux

MARION BAZIREAU - La vigne - n°290 - octobre 2016 - page 52

À l'instar des Bourguignons ou des Rhodaniens, une poignée de vignerons bordelais n'éraflent pas une partie de leur vendange. Ils obtiennent des vins plus frais aux arômes de fleurs.
LES RAFLES VERTES peuvent apporter de l'amertume. Mieux vaut les écarter. ©  PHILIPPE ROY

LES RAFLES VERTES peuvent apporter de l'amertume. Mieux vaut les écarter. © PHILIPPE ROY

Le 8 septembre, la revue Decanter annonçait le retour d'une vieille pratique à Bordeaux : la vinification de vendange non éraflée. En effet, quelques viticulteurs se passent d'érafloir sur une partie de leur récolte. Ils expliquent que leurs vins gagnent en fraîcheur, ce qui est intéressant lors de millésimes chauds. Un constat surprenant si l'on se souvient que les rafles étaient utilisées jusque dans les années quatre-vingt « pour baisser l'acidité des vins », rappelle le consultant Stéphane Derenoncourt. Du fait de leur richesse en potasse, elles contribuaient à faire précipiter l'acide tartrique.

Les maturités sont désormais plus abouties et les raisins ont, au contraire, tendance à manquer d'acidité. « C'est pourquoi l'utilisation des rafles choque un peu. Pourtant, c'est très intéressant, notamment sur le cabernet franc et le cabernet-sauvignon. Les rafles donnent des notes de fleur de pivoine ou d'iris et des notes poivrées. Elles rehaussent la trame tannique en fin de bouche. Et, sur le merlot, elles peuvent rapporter de la tension et faire baisser le côté confit », explique le consultant.

Épaulé par Julien Lavenu, de l'équipe de Stéphane Derenoncourt, Cyrille Thienpont vinifie les vins du Château Berliquet, à Saint-Émilion : « L'année dernière, nous avons ajouté des rafles à un lot de jeune merlot. C'était une parcelle plantée en 2012, sur un sol sableux. Nous n'attendions pas grand-chose de ces raisins et nous nous sommes dit que les rafles leur apporteraient un petit plus. »

Comme son chai est assez bas de plafond, il n'a pas eu d'autre choix que d'érafler la vendange, de l'encuver par pompage, foulant légèrement les baies au passage, et de remettre des rafles dans la cuve à la main. « Nous avons sélectionné les rafles les plus rouges et les avons intercalées entre des couches de baies. C'est comme si nous avions mis 15 % de vendange non éraflée, sur un total de 40 hl », détaille-t-il.

Pendant la macération, il a vu se développer des arômes particuliers. « J'ai retrouvé le petit quelque chose que je sens dans les châteauneuf-du-pape. Je me suis rendu compte que l'arôme de ces vins ne provient pas seulement de la syrah ou du grenache mais également des rafles. » Comme les tanins sont vite devenus agressifs, il a dû écourter la macération. Il a assemblé l'essentiel de ce lot avec le reste de sa cuvée, en conservant deux barriques à part. Un an plus tard, celles-ci ont gardé une belle fraîcheur et leur agressivité s'est estompée.

Bien que satisfait par son essai, Cyrille Thienpont n'a pas l'intention de généraliser cette pratique. « Les rafles resteront un outil palliatif. Sur une jeune vigne, et lors d'une année chaude et peu acide comme 2015, c'était parfait. Mais si j'ai un très beau raisin, je l'éraflerais », concède-t-il.

Œnologue à l'Enosens de Coutras (Gironde), Pascal Hénot a suivi pendant dix ans un domaine qui n'éraflait ni ses merlots ni ses cabernets. « Les propriétaires ne voulaient pas travailler autrement. Ils se contentaient de fouler la vendange. » Le château était toujours le dernier de l'appellation à vendanger pour obtenir des rafles bien lignifiées. « Sur le cabernet, ce n'était jamais complètement le cas. Sur le merlot, les résultats étaient meilleurs, avec un bel apport de fraîcheur. »

Comme Cyrille Thienpont, Pascal Hénot a remarqué qu'il fallait faire preuve de patience. « Les jeunes vins ont un côté austère. En revanche, au bout de dix ans, ils semblent en avoir seulement trois. Les rafles permettent d'obtenir de magnifiques vins vieux. Malheureusement, tous les clients cherchent des vins à boire jeunes. »

Ne pas dépasser 25 %. Partisan des vinifications en grappes entières, Stéphane Derenoncourt conseille aux vignerons de ne pas dépasser 25 % de rafles dans un lot. Au-delà de ce seuil, « on peut perdre les tanins crayeux que l'on obtient dans les cabernets francs des sols argilo-calcaires ».

Au Château Les Carmes Haut-Brion, en AOC Pessac-Léognan, Guillaume Pouthier, le maître de chai, va plus loin. En 2015, il a vinifié des cuves de merlot et de cabernet franc renfermant 45 % de rafles. Certains estiment que son vin s'écarte un peu des codes de Bordeaux. En attendant, il se vend très bien.

Une pratique courante à Châteauneuf-du-Pape

Bordelais d'origine, Serge Mouriesse se souvient qu'il était courant d'ajouter un peu de rafles dans les fonds de cuve dans les années quatre-vingt. Depuis, il a fondé son laboratoire d'oenologie et a acheté des vignes à Châteauneuf-du-Pape. Ici, vinifier avec les rafles est une tradition. « Avant, tous les vins étaient vinifiés de la sorte. Les grappes étaient simplement légèrement foulées, en passant dans les pompes à olive, explique-t-il. Puis, les érafloirs ont fait leur apparition. Aujourd'hui, environ un tiers des raisins gardent leurs rafles, essentiellement les grenaches et mourvèdres. » À la fin des vendanges, lorsqu'elles sont bien jaunes, les rafles font la typicité des châteauneuf-du-pape, avec des arômes d'épices et de menthe, et de la fraîcheur. En outre, renfermant de l'eau, elles font baisser l'alcool d'environ un demi-degré. Elles fixent un peu de couleur, mais participent dans le même temps à sa stabilisation. Elles jouent aussi le rôle de drain lors des remontages. « Si l'on garde les rafles, il faut avoir du matériel qui ne triture pas la vendange. L'idéal est une sauterelle et des rouleaux fouleurs au-dessus de la cuve. » Les tanins et la petite amertume qu'elles peuvent apporter se fondent avec le bois pendant l'élevage.

DROIT DE RÉPONSE

De Monsieur Cyril Estel, maître de chai des Coteaux de Rieutort, à Murviel-lès-Béziers.

Dans l'article sur les levures sèches inactivées, paru dans le numéro de septembre 2016, les propos de Cyril Estel ont été déformés par des coupes de texte malheureuses. La dernière phrase « nous ne prenons plus de produits Devèze » ne correspond pas à la réalité puisque « nous continuons à travailler ensemble et nous sommes satisfaits des produits et services apportés par la société Devèze Biotech Œnologie », précise Cyril Estel. À la question « Utiliserez-vous à nouveau de l'Actiproferm GSH ? », il indique que pour l'essai réalisé sur sauvignon blanc le couple Uvarom Thiol/Actiproferm GSH ne l'avait pas convaincu et qu'il ne pensait pas renouveler l'expérience.

Le Point de vue de

FABIEN TEITGEN, DIRECTEUR TECHNIQUE DU CHÂTEAU SMITH HAUT LAFITTE, À MARTILLAC (GIRONDE)

« Des merlots plus tendus et plus structurés »

« Nous avions déjà vinifié des merlots en grappe entière il y a quelques années, mais nos vins devenaient trop astringents. Car nous ne triions pas assez les rafles. Nous renouvelons l'expérience depuis trois ans. Désormais, nous trions minutieusement la vendange, une première fois pendant la cueillette, puis à l'arrivée au chai. Nous éliminons tous les déchets et toutes les feuilles. Nous vérifions que les rafles sont bien lignifiées. Puis nous déversons 25 à 30 % de ces grappes dans certaines cuves, sans trituration, en les alternant avec des baies non foulées, comme un millefeuille, pour obtenir un chapeau bien homogène. Nous le faisons dans des cuves de 60 à 85 hl, plus larges que hautes. Ensuite, nous mettons en place une stratégie peu extractrice. Par exemple, nous préférons les pigeages manuels aux remontages. Ils nous permettent de "trier" les tanins et d'arrêter l'extraction au bon moment. Pendant la macération, nous laissons le chapeau infuser sans action mécanique. Au total, 10 à 15 % du Smith Haut Lafitte rouge sont vinifiés avec des rafles. Celles-ci nous permettent d'obtenir des vins plus frais, plus tendus, avec davantage de structure. »

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