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AU COEUR DU MÉTIER

« On bénéficie du goût pour les produits locaux »

FLORENCE BAL - La vigne - n°292 - décembre 2016 - page 32

À MARIN (HAUTE-SAVOIE), les frères Samuel et Benoît Delalex vendent toute leur production localement. Depuis peu, ils bénéficient du retour en grâce des circuits courts. Même un hôtel de luxe de leur voisinage les demande.
LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

LE TABLEAU DE BORD DE LEUR EXPLOITATION

SAMUEL (À GAUCHE) ET BENOÎT DELALEX vendent 30 % de leur production aux particuliers, soit 18 000 bouteilles dont 80 % au caveau qui réalise son plus gros chiffre - 15 000 euros - au mois d'août. F. BAL

SAMUEL (À GAUCHE) ET BENOÎT DELALEX vendent 30 % de leur production aux particuliers, soit 18 000 bouteilles dont 80 % au caveau qui réalise son plus gros chiffre - 15 000 euros - au mois d'août. F. BAL

AVANT LES VENDANGES, Benoît Delalex inspecte la parcelle de chasselas de 2 ha qui descend jusqu'au bord de la Dranse. C'est la vigne qui produit leur vin haut de gamme, la cuvée Clos de Pont, vendue 8 euros. F. BAL

AVANT LES VENDANGES, Benoît Delalex inspecte la parcelle de chasselas de 2 ha qui descend jusqu'au bord de la Dranse. C'est la vigne qui produit leur vin haut de gamme, la cuvée Clos de Pont, vendue 8 euros. F. BAL

SAMUEL DELALEX SE PRÉPARE À REFROIDIR UNE CUVE en passant le vin dans un échangeur thermique afin de maintenir la fermentation autour de 18 °C. Les cuves ne sont pas thermorégulées. Ce sera le prochain investissement pour simplifier le travail durant les vendanges. F. BAL

SAMUEL DELALEX SE PRÉPARE À REFROIDIR UNE CUVE en passant le vin dans un échangeur thermique afin de maintenir la fermentation autour de 18 °C. Les cuves ne sont pas thermorégulées. Ce sera le prochain investissement pour simplifier le travail durant les vendanges. F. BAL

LES VIGNERONS ont eu beaucoup de mal à dénicher ce tracteur interligne de 1 m de large avec cabine, un Bergmeister. F. BAL

LES VIGNERONS ont eu beaucoup de mal à dénicher ce tracteur interligne de 1 m de large avec cabine, un Bergmeister. F. BAL

« Travailler sérieusement sans se prendre au sérieux. » Telle est la philosophie de Samuel et Benoît Delalex, à la tête du domaine éponyme. Les deux frères sont installés à Marin, un village sur les rives du lac Léman qui est aussi une dénomination complémentaire de l'AOC Vin de Savoie. On y produit un vin blanc sec et fruité issu du chasselas, le cépage local.

À 44 et 40 ans, les deux frères sont fiers d'être restés dans leur domaine familial de 8,7 ha de vignes, d'en vivre et d'être bien « ancrés sur leur territoire ». Ils vendent toute leur production en bouteille et à 85 % en Haute-Savoie. « On a la chance d'être dans un département très touristique, avec le lac Léman, les montagnes et les stations de ski. Au fil des ans, nous avons établi d'excellentes relations avec nos clients locaux, professionnels comme particuliers. Mais on s'est toujours donné du mal pour vendre nos vins », racontent les deux frères.

Ils réalisent volontiers des animations à la demande de leurs acheteurs. Leur caveau est ouvert toute l'année de 15 h à 19 h. « Nous tenons à accueillir nos visiteurs, y compris les scolaires. Nous aimons expliquer comment on fait du bon vin et comment on peut en vivre », soulignent-ils.

Les frères sont aussi très impliqués dans la vie locale et associative. Ils sont adhérents du réseau Bienvenue à la ferme et de la Confédération paysanne, un syndicat qui défend « l'agriculture paysanne ». « Cette démarche permet à un maximum de paysans de vivre de leur métier dans des domaines à taille humaine, plutôt que de favoriser les grosses entités, explique Benoît. Elle maintient vivant le milieu rural. » Tous les ans, ils organisent chez eux, avec d'autres producteurs locaux, les journées portes ouvertes du syndicat.

C'est en 1998 que Samuel, titulaire d'un BTS viti-oeno, s'installe auprès de ses parents. Auparavant, il avait travaillé six ans comme aide familial. Le domaine compte alors 6,4 ha de vignes. Il vend déjà toute sa production localement et en bouteilles. En 2010, c'est au tour de Benoît de revenir à ses racines. À 40 ans, il quitte son emploi de professeur d'éducation physique dans le Nord de la France pour devenir salarié du domaine, en remplacement de sa mère. En 2015, il s'installe et devient cogérant, avec son frère, de l'EARL créée en 1998.

Dès son arrivée, Samuel s'organise pour diversifier la clientèle et la production. Il élargit la gamme qui ne comprenait que deux blancs. En 2000, il lance un savoie rouge issu de gamay et en 2007, un savoie rosé du même cépage. « Sans ces vins, il serait difficile de maintenir nos ventes », estiment les deux frères.

Toujours pour se diversifier, en 2009, Samuel plante du pinot noir. Mais, « on n'a pas su vinifier correctement nos deux premiers millésimes, confie-t-il. Nous ne les avons pas vendus. 2014 devrait être le premier que nous lancerons. »

Récemment, ils ont planté 15 ares de cépages jacquère et altesse pour élaborer un crémant de Savoie qu'ils vendront 7,50 €/col. « Nos prix sont abordables car nous ne faisons pas des vins pour une élite », revendiquent-ils.

Aujourd'hui, l'affaire tourne. Mais il n'en a pas toujours été ainsi. « J'ai eu des années très difficiles. Je bossais beaucoup pour pas grand-chose, confie Samuel. Après mon arrivée, nous nous sommes agrandis jusqu'à 9,7 ha. Mais les ventes ont diminué pour tomber à 38 000 bouteilles pendant quatre à cinq ans, de 2006 à 2010. » À cette période, toute la Savoie traversait une mauvaise passe. « Nous perdions notre marge. »

Face à cette situation, la famille réduit les coûts. En 2005, Samuel arrête l'apport d'engrais. À la place, il broie les sarments pour les restituer au sol et enherbe l'interrang pour favoriser la vie microbienne. « Aujourd'hui, la vigne est impeccable. Les analyses de sol réalisées en 2015 constatent un très bon équilibre », expose-t-il.

À la même époque, Samuel Delalex arrête l'emploi d'insecticides et d'antipourritures. Comme il vendange à la main, il peut trier pendant la récolte si c'est nécessaire. Aujourd'hui, Samuel et Benoît s'approchent du bio car c'est une préoccupation majeure de leurs clients. « Mais on n'y est pas encore. Nous employons toujours des produits de synthèse. Nous ne voulons pas prendre de risques », expliquent-ils. Ils songent aussi au travail du sol sur le rang pour se passer d'herbicides.

En 2010, avec l'arrivée de Benoît et le départ d'un salarié très compétent, ils réduisent leur surface de 1 ha. « Nous nous sommes séparés de minuscules vignes de chasselas mal situées que nous avions reprises. Notre père s'est moqué en disant que nous faisions la fine bouche ! » Mais il fallait rationaliser le vignoble aujourd'hui encore morcelé en 25 parcelles.

Toujours pour réduire les coûts, ils cessent de participer à une dizaine de foires et salons déficitaires. Ils n'en conservent que quatre « à taille humaine » et peu onéreux. Ces salons sont organisés par des comités des fêtes. Ils accueillent une trentaine de vignerons à Chaponost (Rhône), Bréviandes (Aube), Ornans (Doubs) et Sillans (Isère). L'avantage ? « Les organisateurs sont des passionnés, ils ne cherchent pas à gagner de l'argent. La qualité des salons s'en ressent énormément, enchaîne Benoît. À Bréviandes, par exemple, nous sommes 35 vignerons et il passe 3 000 visiteurs en deux jours et demi. Tout le monde vend bien et il y a une ambiance du feu de Dieu ! »

Durant toute cette période difficile, le domaine Delalex a continué l'épamprage, l'ébourgeonnage et l'effeuillage côté soleil levant pour maintenir la qualité de ses vins. Il a aussi maintenu son style. « Nous ne faisons pas de fermentation malolactique pour les blancs et les rosés. Ainsi, on gagne en fraîcheur et en tension. C'est un choix pour nous démarquer », expliquent les deux frères. Ils élèvent le chasselas 10 à 12 mois dans des cuves en Inox. Leur rosé est un gamay de pressurage « car les nez sont plus jolis ». Le rouge est « souple, avec une belle matière ». C'est un gamay éraflé et vinifié en cuve d'Inox en 7 à 10 jours.

Aujourd'hui, portés par l'engouement pour les productions locales, les deux frères « récoltent le fruit de leur sérieux ». Depuis cinq ou six ans, des restaurateurs viennent spontanément les voir pour remettre en avant les vins de Savoie. C'était impensable auparavant. L'Évian Resort, un complexe touristique haut de gamme situé à 5 km de chez eux, a été l'un des premiers à leur commander du vin. « Certains dimanches, on nous propose de venir faire des animations sur le golf. Nous sommes très réactifs et nous nous rendons disponibles. On n'a pas de DRH à prévenir, plaisante Samuel. Ma fille Lucie, qui a 9 ans, déplore d'ailleurs que les clients passent avant la famille. »

Depuis 2014, Samuel et Benoît ont délégué leurs ventes pour la grande distribution. C'est un négociant savoyard qui les distribue en Rhône-Alpes. « Tout le monde est gagnant », souligne Benoît. La même année, ils ont eu « la surprise » d'avoir la visite d'un importateur américain. « Il est venu voir comment nous travaillons, relate Benoît. Il cherchait des vins de deux ou trois ans. Nous étions bien contents d'avoir des stocks. Il a commandé 1 200 bouteilles en 2015. » Par la suite, il en aurait voulu davantage, mais les Delalex ont refusé. Fidèles à leurs principes, ils limitent les expéditions à deux ou trois palettes par client et par an pour ne pas dépendre d'un seul gros commanditaire.

En 2016, ils ont réalisé un « très intéressant diagnostic » de leur exploitation avec leur syndicat. Il pointe une « création de richesse élevée », « une très bonne autonomie décisionnelle » mais aussi une marge de progrès en matière de temps de travail car les Delalex travaillent près de 60 heures par semaine, payés un peu plus que le Smic horaire. Heureusement, ils sont très épanouis dans leur métier.

Ils n'ont qu'une seule crainte : l'avenir de la dénomination Marin. Seuls 18 ha sont plantés en marin pour 65 ha d'appellation, et personne ne s'installe. « À long terme, on sera peut-être les derniers viticulteurs de notre dénomination », regrettent-ils. À l'heure où le « local » explose, ce serait un comble.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ

Ils récoltent les fruits de leur sérieux et de leur souci de la qualité.

Grâce à leur père, leurs investissements sont modestes et très bien raisonnés. Ils ont pu tenir le coup lors des mauvaises passes.

« Nous n'avons pas écouté les instances viticoles qui voulaient qu'on ait davantage de surface, ni les écoles de viticulture qui enseignent que la fumure d'entretien est indispensable, et ça marche. »

En 2015, après des mois de recherche, ils ont enfin déniché un tracteur interligne avec une cabine de 1 m de large : un Bergmeister 75 ch à 4 roues motrices.

SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ILS NE REFERONT PLUS

Ils ont trop longtemps participé à des foires et salons pas rentables, alors qu'ils avaient beaucoup de travail. « On est sollicité en permanence, il faut savoir dire non. »

Il leur est arrivé d'insister fortement pour placer leurs vins chez des restaurateurs réticents. « C'est une erreur : quand ça part mal, il faut arrêter tout de suite. »

En 2014, leur participation au salon allemand Prowein avec sept autres vignerons n'a rien donné. « Nous n'y retournerons plus, ni ailleurs à l'étranger. »

LEUR STRATÉGIE COMMERCIALE « Tous les clients doivent être reçus par le vigneron »

- Au domaine Delalex, l'accueil n'est pas un vain mot. « Il n'est pas question de déléguer l'accueil des clients à un salarié, affirme Samuel. Ils doivent être reçus par le vigneron lui-même. C'est primordial. Les gens sont avides de rencontrer celui qui travaille, que cela se passe à la cave, dans un salon ou un petit magasin. Ils achètent à 50 % pour le vin et à 50 % pour le bonhomme. » Dans cet esprit, les frères Delalex reçoivent tous ceux qui entrent dans leur caveau sans jamais spéculer sur leur potentialité d'achat. Et ils vont à la rencontre du public en réalisant de nombreuses animations.

- Durant les quatre semaines de vacances scolaires d'hiver, par exemple, tous les deux jours ils se rendent chez des cavistes, épiceries et fromageries dans des stations de ski pour faire déguster leurs vins. « C'est un plus pour eux et pour nous, soulignent-ils. Si vous faites déguster en personne votre vin à un touriste après le ski, vous le vendez, même si neuf personnes sur dix ne connaissent pas la dénomination Marin. »

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L'exploitation

- Main-d'oeuvre : eux deux, un salarié à mi-temps et des saisonniers.

- Surface : 8,75 ha dont cinq en propriété.

- Appellations : Savoie Marin, Savoie.

- Cépages : chasselas (6,2 ha), gamay (2,1 ha), pinot noir, altesse et jacquère.

- Plantation : de 7 200 à 7 500 pieds/ha.

- Taille : guyot, cordon de Royat.

- Production 2016 : 466 hl.

L'essentiel de l'offre

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