HABITUÉ À NÉGOCIER AVEC LA GRANDE DISTRIBUTION, Dominique Patient (en chemise bleue) sait aussi défendre les vins de ses vignerons face aux consommateurs, comme ici lors de l'avant-première de la foire aux vins du Leclerc de Levallois-Perret. E.-A. JODIER
CLAUDE PANIS, propriétaire du Clos du Lucquier (Hérault), et Anthony, son apprenti, sont venus à la demande de DVP présenter leurs vins aux clients privilégiés du magasin Leclerc de Levallois-Perret. © E.-A. JODIER
DOMINIQUE PATIENT, directeur général de DVP, distribue 200 domaines de Bourgogne, de Beaujolais, du Languedoc-Roussillon et de la vallée du Rhône à des enseignes de la grande distribution soucieuses d'embellir leur gamme. © C. FAIMALI
PHILIPPE HUGENOT (à droite), à Marsannay, reçoit Emmanuel de Salve (à gauche) et Dominique Patient dans son chai. Il confie ses vins à DVP pour l'exportation et les a accompagnés cette année à ProWein. E.-A. JODIER
C'est dimanche, mais tout le monde est sur le pied de guerre. Dans les couloirs immaculés du centre commercial So Ouest, à Levallois-Perret, dans les Hauts-de-Seine, l'hypermarché Leclerc déborde de monde. En ce 25 septembre, le magasin a invité ses meilleurs clients pour l'avant-première de sa foire aux vins. Dominique Patient et Jean-Yves Cotte retroussent leurs manches pour promouvoir « leurs vignerons », ceux dont ils distribuent les vins, notamment ici.
Ils représentent DVP, Domaine et vins de propriétés. Basée en Bourgogne, à Nuits-Saint-Georges, cette société oeuvre depuis 1989 au placement de vins de domaines dans les magasins de la grande distribution. En 2016, elle a commercialisé 2,1 millions de bouteilles en France et dans le monde pour un chiffre d'affaires de 14,7 millions d'euros. Son catalogue contient 200 domaines, rigoureusement sélectionnés, de Bourgogne-Beaujolais, du Languedoc-Roussillon et de la vallée du Rhône.
« Aujourd'hui, nous sommes face au client final, ce qui n'arrive pas si souvent », sourit Dominique Patient, directeur général de DVP, qui tient comptoir avec les vignerons de Bourgogne. Plutôt habitué aux négociations avec les acheteurs, il n'en est pas moins à l'aise face au public. « L'année n'a pas été trop dure ? », s'inquiète un couple. « On peut dire que les vignerons n'ont pas été épargnés, surtout avec le gel. Et les vendanges ont pris du retard, c'est la raison pour laquelle certains ne sont pas là aujourd'hui », explique-t-il avant de leur proposer de déguster, ce qu'ils acceptent avec plaisir.
L'enjeu aujourd'hui est de faire découvrir les deux vignobles phares de DVP, la Bourgogne et le Languedoc-Roussillon. L'entreprise est ainsi présente sur deux stands : celui des vins de Bourgogne et juste en face, celui des vins du Languedoc. « Leclerc a déjà acheté les vins, explique le directeur général de DVP. Nous sommes là pour permettre aux gens de les goûter, ce qu'ils n'ont jamais l'occasion de faire en grande distribution. » Et pour qu'ils décident de repartir avec un ou deux cartons !
Bien que le stand soit un peu isolé du reste de la foire aux vins, les gens s'arrêtent, dégustent et s'intéressent aux producteurs présents. Car pour bien vendre du vin, DVP le sait, il faut des vignerons. « On a beau connaître et expliquer les produits, ce que les gens veulent, c'est rencontrer les vignerons, même dans une foire aux vins de grande distribution ! », assure Dominique Patient. Pour cette raison, il est venu avec des producteurs.
« Je suis ici aujourd'hui pour faire plaisir à DVP mais aussi à l'acheteur de Leclerc !, s'amuse Frédéric Mazilly, du domaine du même nom, 17 ha à Meloisey, en Côte-d'Or. C'est du relationnel qui ne nous coûte rien. » Pour le vigneron, c'est un soulagement de pouvoir se reposer sur son partenaire. « La vente en grande distribution, c'est un vrai métier, reconnaît-il. DVP sait appréhender les notions de commerce que nous ne maîtrisons pas. Je travaille avec eux depuis 1992 et ils m'ont notamment permis d'être référencé chez Carrefour, dans la gamme Reflets de France. Cela représente tout de même 30 000 bouteilles ! »
Philippe Chezeaux, du domaine Chevillon Chezeaux, à Nuits-Saint-Georges, n'est pas moins enthousiaste : « Moi, si je fais ce métier, c'est pour être à la vigne. La vente, c'est une autre affaire. La grande distribution nous permet surtout d'être vus. » Aujourd'hui, c'est effectivement le cas : il trône devant ses bouteilles, discute avec les clients et leur fait déguster ses vins. Là aussi, les conversations tournent autour de cette difficile année 2016, qui semble avoir marqué les esprits des consommateurs. « Je ne suis pas un commercial dans l'âme, soutient-il pour en revenir à la grande distribution. Quand on part négocier avec un acheteur, on ne sait pas trop où on va. Les gens de DVP, eux, savent ce qu'ils font. »
« Partenaires, c'est tout à fait comme cela que nous voyons les choses... », soutient Dominique Patient. C'est une relation donnant-donnant. Et lorsque les opérations commerciales l'exigent, les vignerons ne se font pas prier pour être présents, comme aujourd'hui.
En face du stand de la Bourgogne, d'autres vignerons défendent les couleurs du Languedoc-Roussillon. DVP a étendu son rayon d'action à cette région. « On externalise bien la comptabilité, pourquoi pas la vente ? », interroge Claude Panis, du Clos du Lucquier, propriété familiale de 15 ha en appellation Terrasses du Larzac. Il a ainsi choisi de confier entre 50 et 60 % de ses ventes à DVP. « Ils nous ont fait entrer chez Metro et Intercave, explique-t-il. La commercialisation, ça demande une expertise. Je voulais travailler avec un partenaire pour vendre mieux, quitte à faire un sacrifice sur les prix. » Claude Panis profite de l'occasion pour former à la vente Anthony, l'apprenti qui le seconde au domaine. « Le problème dans les foires aux vins, c'est que les gens sont surtout intéressés par les bordeaux », observe-t-il. De fait, de nombreux visiteurs s'arrêtent pour demander où se trouvent les vins du Bordelais...
Heureusement, DVP fait appel à plusieurs sommeliers. Aux gens qui passent lentement, l'air hésitant, Pierre-Emmanuel Dubray lance : « N'hésitez pas à venir déguster les vins du Languedoc ! » Le ton est léger, amical, parfois taquin. Et ça marche. Un jeune homme s'approche, verre en main. « Moi, je viens plutôt pour les bordeaux, vous savez... » Le sommelier ne se laisse pas démonter : « Vous avez raison, le Bordeaux, c'est excellent ! Mais goûtez ce pic-saint-loup. C'est une appellation qui a le vent en poupe. » Tout en servant à son interlocuteur le vin du domaine Villeneuve, à Claret, dans l'Hérault, il énumère les cépages : « Le mourvèdre et le carignan donnent beaucoup de caractère, et la syrah ces notes épicées et même poivrées. » Voyant qu'il a piqué la curiosité du jeune homme, il lui raconte l'histoire de la syrah et lui propose une autre dégustation. « Un vin du Minervois, un peu similaire mais avec des notes beaucoup plus épicées. Dès l'attaque, on a une belle longueur, vous ne trouvez pas ? » Le jeune homme est agréablement surpris par la qualité. Il s'attarde là où il ne pensait peut-être même pas rester quelques minutes. « Nous faisons appel à des sommeliers parce qu'en plus de bien connaître les vins, ils ont des aptitudes commerciales », confie Jean-Yves Cotte.
Quelques semaines plus tard, DVP nous a ouvert ses portes à Nuits-Saint-Georges. Spécialisée dans la vente auprès de la grande distribution, l'entreprise, rachetée par Badet-Clément en 1995, s'est depuis développée à l'export. Emmanuel de Salve, directeur marketing de Badet-Clément, nous reçoit dans les locaux en présence de Dominique Patient. DVP achète directement les vins aux domaines partenaires et les distribue ensuite. « Nous avons senti un besoin de la grande distribution de faire entrer des vins de domaine dans ses rayons, explique Emmanuel de Salve. Nous avons repris le concept de négoce à la bordelaise mais en l'adaptant à la Bourgogne. » Cela implique une relation de confiance à plusieurs niveaux.
« Il faut déjà convaincre les vignerons de travailler avec nous !, confie Dominique Patient. Pour cela, nous faisons en sorte d'être transparents et d'expliquer à quelles conditions nous travaillons. » Bien sûr, l'entreprise prend une marge et demande aux vignerons de faire un effort sur les prix. « Pour situer cet effort, j'ai une phrase type, nous avoue-t-il. Je leur demande de me donner leur prix si je leur achetais 30 000 bouteilles. »
Dominique Patient a suffisamment rencontré de vignerons pour constater que beaucoup d'entre eux peinent à présenter des tarifs professionnels cohérents. « Nous les aidons pour cela, si c'est nécessaire. Nous les encourageons également à se faire connaître via la presse, les concours... » DVP se veut le « bras droit des domaines » en matière de commercialisation. Une relation de confiance grâce à une transparence totale : « Les domaines savent où vont leurs vins et à quel prix nous les revendons », assure Dominique Patient.
Une fois le vin acheté et stocké sur deux sites (Béziers et Dijon), DVP le distribue. C'est le coeur de son métier. « Nous sommes des commerçants et des spécialistes, indique le directeur général. Et nous aussi, nous racontons des histoires aux acheteurs ! Ce ne sont pas forcément les mêmes que celles que les consommateurs aiment entendre, mais cela reste nécessaire. » Un acheteur sera davantage touché d'apprendre qu'un domaine évolue vers le bio ou de connaître les difficultés qu'il a rencontrées durant l'année plutôt que de se faire raconter l'histoire de six générations de vignerons.
« Aujourd'hui, les acheteurs sont des pros. Les préparations de foires aux vins sur un coin de table, c'est terminé ! De plus en plus d'acheteurs en grande distribution travaillent les vins de manière très professionnelle, explique Dominique Patient. Ils sortent un peu du cadre et apprécient des sélections pointues. » C'est sur ce créneau que les commerciaux de DVP concentrent leurs efforts, histoire d'offrir les plus belles vitrines à leurs partenaires vignerons.
Une ouverture à l'export et en CHR
Depuis quelques années, DVP porte aussi les couleurs de ses vignerons à l'international. Philippe Huguenot, du domaine du même nom à Marsannay (Côte-d'Or), en témoigne. La société bourguignonne commercialise la moitié de ses volumes exportés, surtout vers l'Europe et les pays scandinaves. « Je gère une exploitation de 24 ha, dont 20 à 25 % de la production en vente directe, explique-t-il. Il y a des choses que je n'ai pas le temps de faire. Cette année, DVP m'a proposé de les accompagner à ProWein. C'était une belle expérience. » Dominique Patient confirme : « Nous ne l'avions pas choisi par hasard, nous savions que ses vins - Marsannay, Fixin et Gevrey-Chambertin - feraient mouche. Résultat, nous avons trouvé un débouché aux Pays-Bas. » Philippe Huguenot parvient également à toucher le circuit traditionnel en travaillant avec DVP qui se développe de plus en plus sur ce circuit. Aujourd'hui, le CHR représente 10 % de son chiffre d'affaires, l'exportation 25 % et la grande distribution 65 %.
ATTIRER LES CLIENTS DES FOIRES AUX VINS
- Dans une foire aux vins, les consommateurs sont parfois focalisés sur les vins de Bordeaux. Il faut savoir les attirer, comme le fait le sommelier Pierre-Emmanuel Dubray. « Venez goûter les vins du Languedoc ! », lance-t-il à ceux qui hésitent. Toujours avec le sourire et un brin d'humour.
- « Il faut très vite distinguer ceux qui viennent acheter des touristes », dit-il. Avec l'expérience, il a notamment appris à repérer les gens qui semblent les plus intéressés. « Un indice : ceux qui ont un chariot sont très souvent des clients qui ont l'intention de repartir avec des cartons. » En grande distribution, en effet, l'argument est imparable. « Je regarde même ce qu'il contient, cela me donne une idée du budget et des goûts du consommateur. » Et donc de le diriger ensuite vers des vins susceptibles de l'intéresser.
- Mais ne négligez pas pour autant ceux qui semblent venus en promenade ! Certains pourraient se laisser tenter. L'intérêt de ces événements est de leur offrir une belle découverte, faites jouer votre différence.