Prosecco, asti spumante, sekt, mousseux californiens ou sud-américains... Ces effervescents sont, pour l'essentiel, élaborés en cuve close avec la méthode Charmat. Son principe est simple : la prise de mousse se déroule dans une grande cuve fermée et non en bouteilles. Avantage considérable : en 20 jours, au mieux, le produit est prêt à être commercialisé.
C'est le Français Eugène Charmat qui est à l'origine de l'industrialisation et du déploiement à grande échelle de ce procédé. Il naît le 14 janvier 1877 à Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, au sein d'une famille de notables. En 1901, après la fin de ses études d'ingénieur à l'école de viticulture de Montpellier, il effectue son service militaire à Saumur, dans le Maine-et-Loire. C'est là qu'il rencontre Élisa Amiot et son fils Jules qui produisent des effervescents au sein de leur société Veuve Amiot. Dès lors, il s'intéresse aux vins mousseux. Sans doute prend-il connaissance de l'invention de l'oenologue italien Federico Martinotti, directeur de l'institut expérimental d'Asti, en Italie.
En 1895, ce dernier invente la méthode Martinotti pour la production d'Asti spumante : la prise de mousse se fait en cuves et non en bouteilles. Mais la technique n'est pas au point. La maîtrise de la pression ne paraît pas optimale. Eugène Charmat va l'améliorer. Il dépose un premier brevet, le 9 novembre 1907. « Il concerne le soutirage des vins mousseux avec deux cuves. Elles permettent de pratiquer, dans la première, la fermentation et son contrôle isobarométrique, et dans la seconde, le tirage au clair sans perte de pression d'acide carbonique », explique Gilles Charmat, son petit-fils, aujourd'hui à la tête du château de Briailles, à Saint-Pourçain, dans l'Allier.
Entre 1908 et 1910, l'inventeur déposera cinq autres brevets dans le but d'améliorer la prise de mousse, le soutirage, puis le dosage des vins ; le tout en cycle fermé et sous pression constante. Un de ces brevets détaille un système de chauffage au bas de la cuve afin d'engendrer un courant ascendant dans le moût pour uniformiser sa température et activer la fermentation.
Impatient de voir aboutir ses inventions, en 1907, Eugène Charmat crée sa société de production de vins mousseux et d'exploitation de ses brevets. Il commence à vendre ses installations. « Il est l'un des fondateurs en 1909 de la Compagnie française des grands vins (CFGV), souligne son petit-fils. La guerre de 1914-1918 interrompt ses activités mais, les hostilités terminées, sa société devient Charmat et Cie et vend des installations un peu partout dans le monde. »
Eugène Charmat est un inventeur né, mais c'est aussi un habile homme d'affaires. « Il était très grand et portait beau. il parlait plusieurs langues et son intelligence était au-dessus de la moyenne, relate son petit-fils. Il avait un charme fou, savait s'introduire dans le monde, séduire, nouer des relations d'affaires. » Il s'associe avec une entreprise champenoise, la société anonyme de Magenta Épernay, et commence même à produire du champagne en cuves closes. Mais les Champenois ne l'entendent pas de cette oreille et la loi de 1927 relative à la création des appellations d'origine interdit cette méthode pour la production de champagne.
En revanche, à l'étranger, elle connaît un beau succès. « Des installations sont montées jusqu'en URSS », continue Gilles Charmat. Aux USA, son procédé est d'abord nommé Charmat Bulk Process et deviendra 40 ans plus tard la Charmat Method. Au Japon, il collabore avec les brasseries Asahi pour la production de cidre.
La Seconde Guerre mondiale bloque à nouveau son élan. Eugène Charmat se retire en Auvergne. Après la guerre, ses fils Robert et Pierre reprennent la main. Ils achètent des sociétés comme Bur, à Reims, et la Compagnie girondine de vins mousseux. Eugène, lui, continue à voyager, à rencontrer des clients et à se passionner pour la recherche. Il s'éteint à Clermont-Ferrand en avril 1970.
À sa mort, « les deux sociétés familiales, Bur et Charmat et Cie, détiennent plus de 80 % du marché français des mousseux, affirme Gilles Charmat. En 1980, elles sont le premier exportateur de vins mousseux français dans le monde,avec 22 millions de cols expédiés sur 56 millions produits. » Mais à la suite de malversations, elles doivent être vendues. « Aujourd'hui, on peut estimer les mousseux élaborés avec la méthode Charmat à environ 2 milliards de bouteilles par an », avance Gilles Charmat. Vu le succès des effervescents, ce chiffre devrait encore grimper.