« À mon avis, dès 2015, les capsules à vis auront rem-placé les bouchons en liège. L'industrie du liège n'a pas assez investi pour empêcher les vins bouchonnés. » La prophétie de Robert Parker en 2005 a bien failli se réaliser : entre 2000 et 2009, le liège n'a cessé de perdre des parts de marché alors qu'il était parti d'un quasi-monopole. Mais l'industrie du liège a su redresser la barre en s'attaquant au goût de bouchon.
Lors des deux éditions du concours mondial de Bruxelles organisées au Portugal, Amorim, numéro un mondial du bouchon en liège, a constaté que les goûts de bouchon lié au liège ne concernaient plus que 0,8 à 1,2 % des 24 000 échantillons dégustés.
« La concurrence a été salutaire. L'arrivée du bouchon synthétique et de la capsule à vis a poussé la filière du liège à faire des efforts pour sécuriser ses bouchons. Elle s'est concentrée. Les petits producteurs ont disparu et le niveau qualitatif de l'offre a fortement progressé », constate Bénédicte Nicolini, consultante au service conditionnement à l'ICV.
« La progression du liège est également liée à la montée en gamme des vins en France. Pour des raisons d'image, ce matériau reste l'apanage des cuvées haut de gamme », analyse Didier Robert, directeur adjoint du centre ICV de Beaumes-de-Venise (Vaucluse). Enfin, la croissance des marchés américains et chinois, où ce bouchon est largement plébiscité par les consommateurs, participe aussi au retour de ce matériau.
Même les distributeurs y reviennent. Depuis trois ans, Aldi a revu le mode de bouchage de toute sa gamme en MDD. « Auparavant, le mode de bouchage était au choix des fournisseurs. Nous avions toutes les catégories de bouchons : synthétiques, agglomérés ou liège naturel. Nous avions beaucoup de retours de nos clients. Alors, nous avons tout revu et décidé de repasser au liège avec des niveaux de qualité différents selon la durée de vie des vins. Pour les vins de consommation rapide, nous imposons désormais un liège aggloméré. Pour les vins de plus longue garde, nous passons au liège naturel avec, là encore, différentes qualités selon le prix des vins. Nos fournisseurs peuvent choisir leur bouchonnier mais ils doivent respecter notre cahier des charges. Depuis cette harmonisation, nous n'avons plus aucune réclamation de nos clients », confie Roger Anthony, l'acheteur des vins du distributeur.
D'après la Fédération française du liège, sur les 18 milliards de cols commercialisés au niveau mondial, 12,6 milliards sont bouchés avec du liège (70 %), contre 3,42 milliards avec la capsule à vis et 1,98 milliard avec les bouchons synthétiques. En France, la part du liège est encore plus prépondérante avec 2,62 milliards d'unités (77 % de part de marché), mais c'est le synthétique qui arrive en seconde position avec 455 millions d'unités (13 % de PDM). La capsule à vis, elle, ne pèse que 325 millions d'unités (10 %).
Les bouchonniers se frottent les mains. Leur chiffre d'affaires est reparti à la hausse. Au cours des cinq dernières années, celui d'Amorim a bondi de 22 %. MaSilva annonce une progression de 20 % pour 2016 et vise les 15 % en 2017. Leur croissance tient essentiellement aux bouchons techniques et, dans une moindre mesure, aux bouchons naturels haut de gamme. Les efforts qu'ils ont faits pour réduire voire supprimer totalement la pollution de leurs bouchons par le TCA ont porté leurs fruits.
VINCENT CRUÈGE, DIRECTEUR OENOLOGIE DES VIGNOBLES ANDRÉ LURTON, À GRÉZILLAC (GIRONDE) « La capsule a du mal à passer sur nos grands crus »
« Les Vignobles André Lurton ont été les premiers à Bordeaux à adopter la capsule à vis pour les grands crus blancs. Techniquement, la capsule à vis est le meilleur obturateur pour nos blancs car on maîtrise la pénétration de l'air, ce qui n'est pas le cas du liège naturel dont la perméabilité varie d'un bouchon à l'autre. Nos vinifications ont changé. Nous faisons des vins accessibles plus tôt. Cela les rend parfois plus sensibles à l'oxydation. La capsule préserve leur fraîcheur fruitée.
En France, les intermédiaires ne veulent pas de la capsule à vis pour les grands crus.
Nous sommes revenus soit au liège naturel, soit aux bouchons techniques qui garantissent un niveau précis de perméabilité à l'oxygène. Pour un même vin, nous proposons différents bouchages en fonction des circuits de distribution. Nous avons encore quelques grands crus à capsule à vis pour l'export. Aujourd'hui, sur les 4 millions de cols que nous commercialisons, 1,5 million sont bouchés en capsules à vis, surtout les bordeaux et les entre-deux-mers. Le liège technique représente 1,3 million de cols et le liège naturel 1,2 million de cols. »
GRÉGORY VIENNOIS, DIRECTEUR VIGNE ET VIN DU DOMAINE LAROCHE, À CHABLIS (YONNE) « Nos vins ont besoin de s'ouvrir en bouteille »
« Le domaine Laroche a fait le buzz en 2001 en passant ses premiers et grands crus de Chablis en capsules à vis mais, depuis 2013, nous sommes revenus au bouchon de liège pour nos premiers et grands crus. Nous conservons la capsule seulement pour nos petits chablis et nos vins de cépage. Nous élevons nos grands vins pendant 18 mois, avec très peu d'interventions. Nous obtenons des vins avec un pouvoir réducteur qui ont besoin d'un peu d'oxygène pour s'ouvrir en bouteille. Avec la capsule, nous avions des problèmes de réduction. Avec le liège naturel, nous avons obtenu de bien meilleurs résultats. Le liège est aussi plus cohérent avec la démarche agrobiologique que nous avons mise en oeuvre dans le vignoble depuis 2011. Pendant quatre ans, nous avons travaillé avec nos fournisseurs sur un cahier des charges drastique, prévoyant des contrôles à chaque étape de la fabrication pour nous assurer une qualité irréprochable. Et, à partir du millésime 2015, nous avons adopté le NDtech d'Amorim, chaque bouchon de cette gamme étant garanti sans TCA.
EMMANUEL VENTURI, DOMAINE VICO ET CLOS VENTURI, À MOROSAGLIA (CORSE) « Bien dans notre démarche HVE »
« J'exploite 78 ha de vigne répartis sur deux domaines dans le nord de la Corse. Nous sommes revenus vers le liège en 2013. En 2009, nous avions décidé de boucher nos blancs et rosés d'entrée de gamme avec des bouchons synthétiques, car nous avions des problèmes récurrents de TCA avec le liège. Tous les mois, nous recevions une à deux réclamations pour des bouteilles bouchonnées. Le synthétique nous a donné satisfaction même si nous avons eu quelques problèmes d'oxydation à l'export. Depuis 2013, nous sommes engagés dans la certification HVE. Il nous a alors paru cohérent de revenir au liège. Nous avons fait des essais de bouchons techniques et constaté que le risque de TCA avait fortement diminué. Nous avons alors adopté le Twin Top d'Amorim pour nos entrées de gamme en blancs et rosés. Sur nos entrées de gamme rouges, nous utilisons toujours du liège naturel. Mais nous étudions la possibilité de passer à ce bouchon technique. Nous allons faire des essais pour nous assurer que la perméabilité de cet obturateur est adaptée à ces vins qui se gardent jusqu'à cinq ans. »
GUILLAUME BORROT, OENOLOGUE AUX DOMAINES PAUL MAS, À MONTAGNAC (HÉRAULT) « Le liège technique est fiable »
« Le synthétique a été une bonne alternative au début des années 2000, au moment où les bouchons en liège d'entrée de gamme posaient de gros problèmes de goût de bouchon et de bouteilles couleuses. En l'adoptant, nous avons éliminé le risque TCA mais avons rencontré des problèmes d'oxydation de nos vins au bout d'un à trois ans. Quand les bouchons en liège techniques sont apparus, notamment le Diam, nous avons fait des essais comparatifs en dégustant les vins et en vérifiant l'évolution des teneurs en SO2, CO2 et O2 dissouts. Nous avons constaté qu'avec ce bouchon, il n'y avait pas d'évolution de ces composés. Et grâce à son procédé de nettoyage au CO2 supercritique, Diam garantit des bouchons sans TCA. L'aspect visuel de ce bouchon, proche du liège naturel, est un autre de ses avantages. Nous l'avons adopté, en complément de la capsule à vis, sur nos entrées de gamme et sur nos vins de cépages. Nous commercialisons 7 millions de cols bouchés par Diam et 8 millions en capsules à vis. Nous réservons le liège naturel à nos 5 millions de cols haut de gamme. »