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DOSSIER - La grêle à bras-le-corps

La grêle à bras-le-corps

PAR COLETTE GOINÈRE - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 20

Les viticulteurs s'investissent de plus en plus dans la lutte antigrêle par diffusion d'iodure d'argent. Parallèlement, la protection avec des filets connaît un léger développement, freiné par son coût.

Cette fois, c'est fait. Les vignobles d'Indre-et-Loire ont leur réseau de protection contre la grêle... après bien des tergiversations. « Dans les années 2010, des communes avaient été sollicitées pour financer le projet. Elles n'ont pas donné suite. Tout a été abandonné. C'est avec la terrible grêle de juin 2013, à Vouvray, que les viticulteurs ont vu la nécessité de se doter de générateurs coûte que coûte », indique Guillaume Lapaque, directeur de la Fédération des associations viticoles d'Indre-et-Loire (FAV 37).

Finalement, le réseau a vu le jour le 25 avril dernier. Il comprend 28 générateurs d'iodure d'argent. Son budget de fonctionnement s'élève à 50 000 €/an, financés par les viticulteurs membres de la FAV 37 à raison de 5 €/ha/an.

En Bourgogne et à Bordeaux, c'est aussi à la suite des orages de grêle de 2013 que la profession a pris les choses en mains. En 2014, l'Arelfa Bourgogne (Association régionale d'études et de lutte contre les fléaux atmosphériques) voit le jour. La même année, elle installe 33 générateurs à iodure d'argent sur la côte de Beaune et la côte chalonnaise. Puis, elle étoffe son dispositif. Fin 2017, toute la Bourgogne et le Beaujolais seront couverts, soit 45 000 ha. Un réseau de 143 appareils. Une nécessité pour Thiébault Huber, viticulteur à Volnay et président de l'Arelfa Bourgogne : « Nous subissons d'importantes chutes de grêle. Entre 2001 et 2013, des communes ont été grêlées six fois, soit une année sur deux avec des pertes avoisinant parfois 100 % de la récolte. »

Ces dispositifs sont tous conçus selon le même principe par l'Anelfa (Association nationale d'études et de lutte contre les fléaux atmosphériques). Ils diffusent des cristaux d'iodure d'argent dans l'air pour provoquer la formation de grêlons dans les nuages. Ceux-ci sont alors plus nombreux et plus petits qu'au naturel. Ils provoquent moins de dégâts, quand ils ne fondent pas avant d'arriver au sol. « C'est le seul système dont l'efficacité est prouvée », assure Thiébault Huber.

Le budget annuel de l'Arelfa Bourgogne atteint 390 000 €, presque entièrement financé par les viticulteurs au moyen d'une cotisation de 8 €/ha/an. Ce budget couvre la mise en place et l'entretien des générateurs, leur approvisionnement en iodure d'argent, la gestion des alertes et la rémunération d'un technicien durant la période de risque. L'interprofession (BIVB) apporte son soutien à hauteur de 31 000 €.

Négocier avec les assureurs

Pour compléter son financement, la profession a demandé une subvention de 50 000 € aux régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes. « Nous discutons aussi avec les filières céréalières et maraîchères qui bénéficient de la protection de nos générateurs et avec les assureurs, précise Thomas Nicolet, directeur de la CAVB, la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne. Nous allons négocier les tarifs des assurances. Il faut qu'elles tiennent compte du fait que les générateurs font baisser de 50 % le risque de grêle. »

En Indre-et-Loire, Jean-Marc Gilet, qui préside la nouvelle Adelfa 37, veut, lui aussi, obtenir une réduction du coût des assurances. « Et nous souhaitons qu'elles financent une partie du réseau qui protège non seulement les vignes, mais aussi les bâtiments en tout genre. Il faut développer une vision mutualiste », répète-t-il.

Ces viticulteurs risquent une fin de non-recevoir. « Pour que les assureurs tiennent compte des mesures de prévention dans leurs approches tarifaires, il faut que le lien entre la réduction du risque de sinistre et la mesure de prévention soit clairement établi. Or, ce n'est pas le cas pour ce type d'installation », affirme Arnaud de Beaucaron, président de l'AIAG, l'Association internationale des assureurs de la production agricole.

Claude Berthet, la directrice de l'Anelfa, le déplore. « Les assurances encaissent les primes, payent les dégâts causés par la grêle mais ne se sentent pas concernées par la prévention. Nous avons pris contact avec les directions des assurances, mais nous n'avons pas eu de retour », indique-t-elle.

Dans le Bordelais, l'Adelfa 33 existe de longue date. En 2016, les viticulteurs sont entrés à son conseil d'administration alors qu'elle venait de traverser une période de difficultés financières. Désormais, l'association dispose de 255 000 €/an. La Fédération des grands vins de Bordeaux contribue pour un petit tiers (70 000 €). Le Conseil départemental de la Gironde apporte l'essentiel (165 000 €), tandis que 60 communes injectent le reste (20 000 €).

Seulement 250 bénévoles

Le réseau compte 108 générateurs que font fonctionner quelque 250 bénévoles. Si la situation financière est stabilisée, un autre problème se pose. « 250 bénévoles, ce n'est pas assez. Pour une grosse dizaine de générateurs, nous n'avons qu'un bénévole alors qu'il en faudrait trois par poste », reconnaît Dominique Fédieu, viticulteur à Cussac-Fort-Médoc, président de l'Adelfa 33 et de la commission agriculture du conseil départemental. Un manque d'autant plus criant qu'une quinzaine d'appareils supplémentaires va être installée d'ici 2018 sur la façade atlantique de la Gironde et sur le nord des Landes. Pour remédier à ce problème, que la Bourgogne connaît aussi, l'Adelfa 33 a pris contact avec le cluster Inno'vin en vue d'automatiser la mise en route des systèmes.

À côté de ces réseaux gérés ou financés par les viticulteurs, d'autres sont bien plus dépendants des collectivités locales. Dans le Loir-et-Cher, l'Adelfa compte 44 générateurs depuis 1999 qui couvrent aussi le nord de l'Indre. L'association dispose d'un budget de 73 000 € qui provient uniquement des subsides des 82 communes qui payent selon leur nombre d'habitants. « La viticulture ne nous finance pas et je n'ai pas de difficultés à obtenir les contributions des maires », se réjouit Michel Contour, président de l'Adelfa du Loir-et-Cher. Pour ce dernier, l'intérêt du système ne se discute pas. « Il limite grandement les effets de la grêle. C'est la ceinture de sécurité contre les intempéries. »

Dans le sud de la vallée du Rhône, la situation est tout autre. Basée dans le Vaucluse, Prévigrêle gère 155 générateurs, situés dans ce département, ainsi que dans le nord des Bouches-du-Rhône et du Gard et le sud de la Drôme et de l'Ardèche. Ce réseau mobilise 465 bénévoles. En 2016, il a fait face à 21 alertes de grêle.

Prévigrêle tire majoritairement son budget des communes, départements et régions couverts. Syndicats et coopératives viticoles n'apportent qu'un petit pourcentage des fonds. Malheureusement, des communes se désengagent. Elles voient leur budget baisser et elles prêtent l'oreille aux écologistes qui dénoncent des risques de pollution par l'iodure d'argent. Selon Nicole Chapotin, coordinatrice de Prévigrêle, « la situation est inquiétante. Nous venons de boucler deux exercices négatifs. On ne peut pas continuer sur cette pente ».

Une situation qui ne laisse pas les viticulteurs indifférents. « Prévigrêle ne peut pas disparaître car ces générateurs protègent à plus de 50 % nos terroirs et pour un coût faible. Il serait impossible de passer par les assurances. Ce serait bien trop onéreux », explique Rémy Salignon, qui produit du raisin de table sur 30 ha et du raisin de cuve sur 10 ha, à Malemort-du-Comtat, dans le Vaucluse. La solution ? « Il faut que le secteur viticole finance Previgrêle de façon plus importante », affirme-t-il.

En 2013, Rémy Salignon a perdu 50 % de sa récolte. Un souvenir cuisant. Aussi, dès que des générateurs ont été mis en place près de chez lui, en 2015, il s'est porté bénévole pour en actionner un. Il est aussi entré au conseil d'administration de Prévigrêle.

Financer par une cotisation

Se prendre en main ? L'idée gagne du terrain. Plusieurs caves coopératives, dont celles de Mazan et de Gigondas, ont donné leur accord pour participer au financement de Prévigrêle au travers d'une cotisation du montant d'un euro par hectare prélevée par la Fédération des caves coopératives de Vaucluse. Le principe devrait être acté prochainement. Autant de renforts pour les cinq coopératives et huit syndicats viticoles qui financent déjà l'association. Pour se protéger, la viticulture doit changer. C'est une nécessité.

Iodure d'argent dans les nuages : comment ça marche ?

 © ANELFA

© ANELFA

Tous les générateurs sont composés d'une bouteille d'air comprimé, d'un réservoir d'acétone et d'iodure d'argent et d'une chambre de combustion. L'air comprimé permet de mettre sous pression le mélange d'acétone et d'iodure d'argent pour l'acheminer vers la chambre de combustion où il est pulvérisé par un gicleur. Il suffit alors d'un briquet pour enflammer l'acétone et entraîner l'iodure d'argent dans les airs. C'est ainsi que l'on ensemence les nuages en noyaux qui provoquent la formation de multiples petits grêlons plutôt que de quelques gros dévastateurs. Chaque générateur est mis en route par des bénévoles quatre heures avant le risque de grêle afin que les nuages se chargent en iodure d'argent. Depuis peu, cette méthode est soupçonnée de polluer les sols. À Bordeaux, un laboratoire universitaire va étudier les incidences de l'iodure d'argent sur les terroirs. Histoire de savoir ce qu'il en est.

Une association au coeur du système

L'Anelfa est au centre de la lutte contre la grêle. C'est elle, l'Association nationale d'études et de lutte contre les fléaux atmosphériques, qui a mis au point les générateurs d'iodure d'argent. Basée à Toulouse, elle est dotée d'un budget annuel d'un million d'euros. Elle consacre cette somme à l'achat et à l'entretien des générateurs qu'elle met à la disposition de ses membres que sont les associations départementales ou régionales de lutte (Adelfa et Arelfa). Elle prépare le mélange d'acétone et d'iodure d'argent qui sera brûlé dans les générateurs pour réduire le risque de grêle et le revend à prix coûtant à ses membres. Elle forme les techniciens animateurs des associations régionales et départementales. Elle gère le système qui envoie des messages aux bénévoles lorsqu'il y a un risque de grêle. De leur côté, les Adelfa et Arelfa paient une cotisation à l'Anelfa - dont elles sont obligatoirement membres - selon le nombre de générateurs sur leur territoire : de 1 à 50 postes, elles paient 766 € par poste ; de 50 à 75 : 304 € par poste et au-delà de 75 postes : 123 €.

Le Point de vue de

Thomas Bouley, Domaine J.-M. et T. Bouley, 9 ha, à Volnay

« Je défends mon gagne-pain »

À VOLNAY, THOMAS BOULEY met le générateur d'iodure d'argent en marche lorsqu'il reçoit une alerte par SMS. © T. GAUDILLÈRE

À VOLNAY, THOMAS BOULEY met le générateur d'iodure d'argent en marche lorsqu'il reçoit une alerte par SMS. © T. GAUDILLÈRE

« Depuis 2014, je suis veilleur bénévole. C'est un geste normal. Défendre notre récolte de la grêle, c'est une obligation. J'ai tout de suite adhéré à la démarche, car nous avons essuyé des orages de grêle très importants en 2012 et 2013 qui m'ont fait perdre la moitié de ma récolte. Sur certaines parcelles, j'ai même tout perdu. Je n'étais pas assuré. Alors, en 2014, j'ai souscrit une assurance.

Le générateur d'iodure d'argent est installé à Volnay, sur le plateau, à cinq minutes de ma propriété. Je reçois une alerte par SMS quatre heures avant l'arrivée d'un orage. Cela laisse du temps pour vérifier que les deux bouteilles sont bien remplies, l'une d'iodure d'argent et d'acétone, l'autre d'air comprimé. La mise en route est simple. On ouvre la bouteille d'air comprimé qui est reliée à la bouteille contenant l'iodure d'argent et l'acétone. Puis on ouvre cette deuxième bouteille. Un coup de briquet et la flamme est allumée. Cela prend deux minutes. En 2015 et 2016, il y a eu des alertes. On a allumé quelque fois le générateur. Mais on n'a pas eu de grêle. Je ne saurais pas dire si c'est à cause des générateurs ou parce qu'il n'aurait de toute façon pas grêlé.

Je suis titulaire et j'ai trois suppléants avec moi. Si je ne suis pas disponible lors d'une alerte, un suppléant me remplace. On s'appelle souvent pour s'organiser entre nous. C'est notre intérêt de protéger et sauver notre production. Je veux continuer ce bénévolat. Il fait partie de mon métier de viticulteur. Notre gagne-pain est en jeu. »

Le Point de vue de

Jérôme Laduye, technicien animateur de l'Adelfa 33

« J'accompagne les bénévoles »

JÉRÔME LADUYE (À DROITE),  de l'Adelfa Gironde, contrôle un générateur avec Hugues Daubas (au centre) et Pierre Quante, du Château Tour Bicheau.

JÉRÔME LADUYE (À DROITE), de l'Adelfa Gironde, contrôle un générateur avec Hugues Daubas (au centre) et Pierre Quante, du Château Tour Bicheau.

« J'ai pris mes fonctions en février dernier. Avant le début de la campagne, je tourne pour contrôler l'état du matériel. Je vérifie l'étanchéité des bouteilles d'air comprimé, l'état du chapeau de la cheminée. Si c'est nécessaire, je change le gicleur de la cheminée. En avril, en début de campagne, je livre à chaque bénévole six bidons de 30 litres du mélange acétone-iodure d'argent. Je joue également un rôle d'animateur auprès des bénévoles. Je les appelle régulièrement. Je leur rends visite une fois par mois. Je vérifie l'entretien du matériel et le moral des troupes. C'est essentiel que les bénévoles se sentent accompagnés. 80 % d'entre eux sont des viticulteurs, dont certains sont à la retraite. Les 10 % restants sont des pompiers. J'ai élaboré un guide des bonnes pratiques pour les aider à bien maîtriser tous les gestes et à adopter les bons réflexes lorsqu'il faut mettre en oeuvre les générateurs. En fait, mon métier, c'est de travailler sur l'humain. Pour remercier les bénévoles, chaque année, l'Adelfa 33 leur offre six bouteilles de vin. Cette année, c'est un médoc. L'Anelfa leur offre également six bouteilles d'une autre AOC, différente chaque année. »

Le Point de vue de

L'AVIS DE NOS EXPERTS

Deux points de vue très différents qui appellent plus d'études

FRANÇOIS BOUTTIER, PROFESSEUR, CHERCHEUR À MÉTÉO FRANCE. © METEO FRANCE

FRANÇOIS BOUTTIER, PROFESSEUR, CHERCHEUR À MÉTÉO FRANCE. © METEO FRANCE

CLAUDE BERTHET,DIRECTRICE DE L'ANELFA. © ANELFA

CLAUDE BERTHET,DIRECTRICE DE L'ANELFA. © ANELFA

François Bouttier est formel : « On ne peut pas prouver l'efficacité des générateurs à iodure d'argent. » Ce chercheur de Météo France avance deux raisons. D'une part, rien ne prouve que les particules d'iodure d'argent atteignent bien les nuages concernés. Elles peuvent être totalement diluées dans l'atmosphère avant d'atteindre leur cible. D'autre part, « on ne peut pas prévoir une chute de grêle avec certitude plus quelques minutes à l'avance ». Or, les générateurs doivent être mis en route quatre heures avant, c'est-à-dire avant d'être sûr d'une chute de grêle. Faute de connaître le risque au moment de l'action, impossible d'être certain de son résultat. Encore plus critique, le chercheur ajoute : « La méthode ne fonctionne qu'au laboratoire. Les études menées aux États-Unis et en France en situation réelle ne montrent pas de réduction très significative de la taille des grêlons ». L'Association internationale des assureurs de la production agricole estime, elle aussi, que la preuve de l'efficacité des générateurs à iodure d'argent n'est pas faite.

Claude Berthet, directrice de l'Anelfa, affirme le contraire : « Après une dizaine d'années de mesures, nous avons démontré que le nombre de grêlons produits par les cellules orageuses traitées est diminué de 42 %. Puis, nous avons précisé que l'énergie cinétique de la grêle est diminuée de 48 % par un réseau de générateurs à maille de 10 km. Plus récemment, nous avons constaté que, simultanément à cette diminution de l'intensité, les surfaces grêlées sont réduites de 15 à 20 %. »

Cet article fait partie du dossier La grêle à bras-le-corps

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