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VENDRE - Observatoire des marchés

Le gel bouleverse le marché du vrac

CHANTAL SARRAZIN - La vigne - n°298 - juin 2017 - page 58

À Bordeaux et dans le Muscadet, la production retient ses vins après les dégâts provoqués par les gelées d'avril. Dans le Languedoc, en revanche, elle s'étonne que les acheteurs ne soient toujours pas au rendez-vous.
LES ÉPISODES DE GEL de la fin avril ont jeté le trouble sur le marché du vrac. © M. JOLY

LES ÉPISODES DE GEL de la fin avril ont jeté le trouble sur le marché du vrac. © M. JOLY

Bordeaux

La production retient ses vins

« La semaine qui a suivi le gel de la fin avril, le cours du bordeaux rouge a grimpé de 50 à 100 € le tonneau (900 l, soit de 5 à 11 €/hl) », indique Xavier Coumau, président du Syndicat régional des courtiers. Si bien bien que le cours moyen mensuel de ce vin est passé de 137 à 149 €/hl entre avril et mai (de 1 235 à 1 341 € le tonneau). Mais rien de plus.

« Nous n'avons pas voulu créer de tension supplémentaire sur le marché, explique Lionel Chol, président de la Fédération des négociants de Bordeaux et directeur général d'Œnoalliance (groupe Castel), à Beychac-et-Caillau (Gironde). D'autant que le vignoble bordelais a fait une récolte généreuse en 2016 avec 5,8 millions d'hectolitres (toutes AOC confondues). Un volume bien supérieur aux 4,7 millions d'hectolitres commercialisés au cours de la dernière campagne. » À cela s'ajoute le volume complémentaire individuel (VCI) fort de 370 000 hl.

Mais les choses ne vont pas tarder à bouger. « Les transactions redémarrent toujours au mois de juin, souligne Xavier Coumau. Les producteurs attendent les résultats du concours des vins d'Aquitaine, qui se déroule fin mai, pour débloquer les lots qui leur reste à vendre. » Ils attendent aussi la fin de la floraison pour avoir une première idée du potentiel de récolte. Selon le courtier, le prix des appellations les plus touchées par le gel, à savoir Bordeaux rouge, Saint-Émilion, Graves et Sauternes, va augmenter. Car les viticulteurs veulent garder du vin en stock pour affronter la prochaine campagne.

« Nous aurions pu vendre toute notre récolte grâce aux nombreuses médailles que nous avons obtenues. Mais nous avons freiné nos ventes après le gel », affirme Christophe Guicheney, vigneron à Soussac, en Gironde. Il produit 3 000 hl de bordeaux en moyenne par an dans les trois couleurs qu'il vend à 85 % au négoce, mis en bouteille au château. Mais cette année, il ignore quelle quantité il va rentrer en cave. 95 % de son vignoble a été touché par le gel. Il lui reste 1 200 hl à vendre dont 700 hl qu'il destine habituellement aux Grands Chais de France. « Nous allons voir avec eux s'ils peuvent étaler les retiraisons jusqu'au mois de juillet de l'année prochaine pour que je conserve un bilan équilibré. » Pour le reste, Christophe Guicheney avisera en fonction de ses besoins de trésorerie. Il va aussi puiser dans ses 450 hl de VCI.

La même prudence est de mise chez U2VBA. « Nous avons légèrement diminué le volume que nous commercialisons car nous ne savons pas encore ce que nous allons vendanger et nos stocks sont bas », détaille Héloïse Pacaud-Valade, responsable commerciale. Cette union de sept caves coopératives basée au Puy (Gironde) commercialise 100 000 à 120 000 hl par an en vrac au négoce, principalement des bordeaux et bordeaux supérieurs. « Nous continuons cependant à alimenter les marchés en privilégiant les clients avec lesquels nous avons des relations suivies. »

Muscadet

Les transactions à l'arrêt

Le long de la Loire, c'est dans le Muscadet que la situation est la plus tendue. « Après le gel, le marché du vrac a marqué un coup d'arrêt », annonce Alain Sauvêtre, courtier en vin à Clisson, en Loire-Atlantique. Depuis, les contractualisations en muscadet et muscadet-sèvre-et-maine sont au point mort, la gestion de la campagne à venir s'annonçant des plus complexe. « Elle va débuter avec un stock proche de zéro », poursuit Alain Sauvêtre.

Déjà impacté par le gel l'an passé, le muscadet a produit une récolte 2016 inférieure de 17 % à la moyenne des années précédentes. Les producteurs ont donc puisé dans leurs réserves pour alimenter les marchés. Après la nouvelle catastrophe qui les a frappés, ils sont peu enclins à vendre.

Le négoce, pour sa part, « s'est couvert en février-mars avant l'épisode de gel », affirme Noël Bougrier, PDG de la maison Bougrier, à Saint-Georges-sur-Cher (Loir-et-Cher). « L'expérience des années précédentes montre qu'il faut être très prudent à la suite de ces incidents météorologiques, indique Denis Rollandeau, acheteur de la maison Lacheteau, à Doué-la-Fontaine. Nous allons donc suivre de près la floraison pour nous faire une idée du potentiel de la récolte à venir. »

Fin mai, le cours des deux principales appellations vendues au négoce - le muscadet et le muscadet-sèvre-et-maine - ne s'en ressentait pas et demeurait stable. Mais devant l'esquisse d'une petite récolte, les professionnels s'attendent à un raffermissement des prix dans les prochains mois.

Les producteurs vont par ailleurs opérer des arbitrages. Cette année, Christian Gauthier, vigneron à Saint-Hilaire-de-Clisson, ne proposera pas de lot sur le marché du vrac où il commercialise habituellement 25 % de sa production. 75 % de son vignoble de 25 ha a été frappé par le gel. « On s'achemine vers une demi-récolte par rapport à la précédente », estime-t-il. Si cela se confirme, il gardera le peu qu'il ramassera pour ses ventes conditionnées.

Languedoc

Les acheteurs restent froids

« Le gel n'aura même pas eu le mérite de lancer la campagne qui accuse du retard sur l'IGP Pays d'Oc, les IGP de département et les vins sans indication géographique », s'étonne Florian Ceschi, courtier chez Ciatti. Son confrère Louis Servat, président du Syndicat régional des courtiers en vins, dresse le même constat : « Les transactions tournent au ralenti depuis le début de la campagne. Et les prix à l'hectolitre ont chuté de 10 % pour certaines familles de produits. » Selon lui, le gel aura néanmoins une conséquence positive : « Il va endiguer cette baisse des prix au début de la campagne à venir. »

Pour le moment, le négoce reste attentiste. « Nous avons réalisé la quasi-totalité de nos achats, détaille Gilles Gally, directeur des achats vin chez Jeanjean. Il ne nous reste que des ajustements à effectuer, mais les marchés à l'aval sont peu porteurs. »

« Nous n'anticipons rien pour le moment, indique de son côté Catherine Montahuc, responsable de production au Château Guilhem, à Malviès (Aude), qui achète l'équivalent de 100 000 cols par an en vrac. Nous avons perdu un marché de chardonnay Pays d'Oc aux Pays-Bas et nous savons qu'il y a du stock à la production. »

Les producteurs ne cachent pas leur inquiétude. « J'ai vendu au négoce la majorité des cépages que je produis en IGP Pays d'Oc. J'ai obtenu 10 % de moins que l'an passé, expose Jean-Yves Gener, du domaine de La Briffaude, 70 ha à Montagnac (Hérault). Touché à 90 % par le gel, il estime sa perte de récolte aux alentours de 35 à 40 %. Mais cela n'a pas eu d'impact sur les prix des lots qu'il a encore à vendre. « Il me reste deux cuves de vin sans IG rosé, annonce-t-il. Je les brade à 40 €/hl. Et encore ! À ce prix-là, j'ai du mal à trouver preneur. »

Stéphane Roques, le directeur de la cave coopérative de Florensac dont le vignoble de 210 ha a gelé à plus de 50 %, est inquiet pour les chardonnays et les sauvignons car leurs prix s'effondrent. « Jusque-là, ils avaient été épargnés par la morosité du marché. Mais, dernièrement, des lots se sont négociés à 85 €/hl contre 110 à 115 €/hl en moyenne l'an dernier », remarque-t-il.

Les producteurs languedociens espèrent une remontée des prix et de l'activité en début de campagne prochaine. Mais ils savent bien qu'ils ne vivent plus en vase clos. Ils redoutent que la concurrence des vins d'Espagne continue de jouer les trouble-fête.

Le Point de vue de

SÉBASTIEN BOYER, DIRECTEUR DE LA CAVE COOPÉRATIVE DE COURSAN, DANS L'AUDE

« Nous ignorons si nous allons conserver du stock »

« Nous évaluons à 50 % au moins la perte de récolte due au gel de la fin avril. Soit environ 80 000 hl de vin déclarés essentiellement en IGP Pays d'Oc. Nous avons vendu en début de campagne 80 % du volume produit en 2016 à un prix inférieur de 10 % à celui de la saison dernière. Nous ignorons encore si nous allons garder les 20 % en stock pour compenser le déficit qui se profile. Ce sont en effet des cépages moins porteurs que ceux que nous avons d'ores et déjà vendus. Il s'agit de blancs - sauvignon, chardonnay... - et en rouge, de pinot noir. Nous sommes en pourparlers avec des négociants. Nous trancherons à l'issue de ces négociations. »

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