RÉGINE SUMEIRE contemple ses rosiers nommés Château Barbeyrolles, du nom de la propriété où elle a créé sa cuvée Pétale de rose. Leurs pétales rappellent en effet la couleur diaphane de ce vin. PHOTO : F. BAL
ÉBOURGEONNAGE avec Francisco Ruiz, dit Paco, saisonnier depuis plusieurs années (casquette bleue), et Christophe Fournier, employé à temps plein. PHOTO : F. BAL
AU CHÂTEAU BARBEYROLLES, Régine Sumeire utilise un pressoir champenois classique (photo) et des Coquard. Les grappes sont pressées légèrement pour obtenir plus de parfum. PHOTO : F. BAL
C'est une pionnière. En créant et en déposant la marque Pétale de rose en 1985 pour désigner un côtes-de-provence rose pâle, Régine Sumeire ne se doutait pas du succès quelle rencontrerait. Aujourd'hui, elle est à la tête de deux domaines et de 100 hectares de vignes : Château Barbeyrolles, 12 ha à Gassin, dans la presqu'île de Saint-Tropez, et Château La Tour de l'Évêque, à Pierrefeu-du-Var, à 60 km à l'est de Gassin, et qui compte 88 ha. Tous deux produisent des rosés à 90 %.
Régine Sumeire commercialise en moyenne 530 000 bouteilles par an. Elle valorise très bien sa production. Elle élabore trois vins à Château Barbeyrolles, vendus à 18 €/col TTC départ propriété. Elle en produit sept à La Tour de l'Évêque qu'elle vend entre 9 et 28 €/col, prix consommateur.
C'est en 1977 que son histoire commence. À l'issue du partage des propriétés de son grand-père, son père reçoit le château La Tour de l'Évêque. À l'époque, tout est vendu en vrac : 40 % en rouge, 40 % en rosé et 20 % en blanc. La même année, Régine Sumeire acquiert le château Barbeyrolles. Elle met quatre ans à le rénover et six ans à replanter le vignoble. Elle y réalise ses premières mises en bouteilles de rouges et rosés - environ 10 000 cols - en 1982. C'est là qu'elle imagine la fameuse cuvée de rosé Pétale de rose.
L'histoire telle qu'elle la raconte est simple. Son ami Jean-Bernard Delmas était alors directeur d'exploitation du Château Haut-Brion (Gironde). En visite chez lui, elle découvre qu'il utilise un pressoir hydraulique Victor Coq, comme son père. Elle est ravie car « beaucoup de gens pensaient que nous étions rétrogrades, surtout les marchands de matériel ». Jean-Bernard Delmas lui suggère de presser des blancs, en grappes entières, dans ce pressoir.Régine Sumeire met en oeuvre ce conseil avec... des raisins rouges de grenache.
« Le moût qui a coulé avait une couleur diaphane... Son goût était excellent, se souvient-elle. J'ai décidé de vinifier séparément cette cuvée et de la mettre en bouteilles. » En découvrant ce rosé, beaucoup plus clair que la norme de l'époque, une de ses amies s'exclame : « Quelle jolie couleur, on dirait des pétales de rose ! » Le nom était trouvé. Il ne restait plus qu'à déposer la marque.
Un vin bien plus clair que les rosés de saignée
« J'ignorais quel serait l'accueil des consommateurs et des professionnels, continue Régine Sumeire. Mais le succès a été immédiat, le retour incroyable. » Ce vin de pressurage direct, pâle, tranchait avec les rosés de saignée foncés qui étaient alors sur le marché. Les 50 hectolitres mis en bouteilles en 1985 sont vendus très rapidement. En 1986, elle double le volume. Dès 1990, elle vend toute la production de Barbeyrolles en bouteilles, essentiellement sous la marque Pétale de rose. Ce succès lui permet de développer la même stratégie au château La Tour de l'Évêque.
En 1986, elle y met en bouteilles ses premiers rouges et, en 1988, ses premiers rosés. Sur le plan commercial, elle mise résolument sur l'export (voir encadré). Elle s'associe avec une dizaine de domaines réputés de la région pour créer la « Route du rosé », une course transatlantique en bateau qui transporte leurs vins de Saint-Tropez à Saint-Barthélémy, aux Antilles. « Cette opération a duré quelques années, pendant lesquelles elle a fait parler de nos rosés, affirme Régine Sumeire. Elle a permis un fort décollage des ventes. À l'époque, à Saint-Barth, sur dix bouteilles vendues, une seule contenait du rosé. Aujourd'hui, elles sont neuf sur dix. »
Toujours à cette époque, elle lance un Pétale de rose à La Tour de l'Évêque. C'est un vin à dominante de cinsault (39 %) assemblé à du grenache et de la syrah, alors que celui du Château Barbeyrolles est à dominante de grenache (48 %), avec du mourvèdre et du cinsault. Parallèlement, elle s'attelle à accroître la notoriété de son vin auprès des sommeliers renommés, des grands importateurs, des chefs étoilés et de la presse.
Pour vendre ces vins à bon prix, la qualité doit être au rendez-vous. Régine Sumeire investit tous les ans dans ses domaines pour renouveler les plantations, rénover les bâtiments, acheter des pressoirs, remplacer de vieux foudres par des cuves en Inox, augmenter sa capacité de refroidissement, etc. Elle fait toujours des essais à Barbeyrolles, qu'elle applique ensuite à La Tour de l'Évêque sur des volumes beaucoup plus important.
Le pressage hydraulique est son préféré
Au fil des ans, elle achète différents pressoirs, pneumatiques et hydrauliques, mais elle conserve toujours une préférence pour ces derniers. « Avec l'hydraulique, le pressurage en grains entiers donne des jus plus clairs, moins de bourbes et une acidité totale supérieure », affirme-t-elle. En 2004, elle acquiert son premier Coquard. « L'essayer, c'est l'adopter, poursuit-elle. La différence de qualité est terrible. Les vins sont plus clairs, plus longs en bouche. » Aujourd'hui, ses chais disposent de quatre pressoirs PAI Coquard à rebêchage automatique et d'un manuel.
Les vendanges sont entièrement faites à la main lorsque la maturité phénolique est atteinte. Les grappes sont transportées en camions réfrigérés. Les vendangeurs trient à la vigne. Arrivées au chai, les grappes sont à nouveau triées sur une double table puis pressées au plus vite pour éviter toute macération. « Nous pressons légèrement pour obtenir le maximum de délicatesse et de parfum, souligne Régine Sumeire. Les pressurages sont longs, de quatre à neuf heures selon les cépages. Nous n'employons jamais d'enzymes de débourbage. »
Depuis six ans, elle réalise des essais sur les levures indigènes avec les sociétés nofrance et Sofralab. « C'est un travail de très longue haleine, dit-elle. Nous avons essuyé de nombreux échecs. Mais nous avons fini par identifier quelques souches intéressantes. » En 2016, elle s'en est servie pour levurer toute la récolte de Château Barbeyrolles. Et les recherches se poursuivent.
« À la vigne, nous n'avons jamais employé d'herbicides, affirme-t-elle. Nous sommes certifiés en AB depuis 2005. » Les ceps sont systématiquement ébourgeonnés. Mais, en 2015, les parcelles situées à Hyères connaissent une très forte attaque de Cryptoblabes. « C'est une pyrale qui aime le sucre et qui s'attaque aux baies mûres, décrit Régine Sumeire. Elle cause de très gros dégâts. » Cette année-là, elle embauche quinze personnes supplémentaires pour effectuer un tri drastique des grappes atteintes et enlever toute la récolte, sans rien laisser, ni sur pied ni à terre, afin d'éliminer le parasite. « Cela a été un travail de titan, raconte-t-elle. Nous avons perdu 200 hl. En 2016, le problème ne s'est pas renouvelé, mais nous cherchons à en comprendre les causes. »
Compte tenu du succès de ses vins, en 2015 elle crée le négoce Régine Sumeire Sélection « exclusivement familial ». Elle n'achète qu'à son filleul, Roger Sumeire, dont le domaine est contigu de La Tour de l'Évêque. « Nous mettons ses vins en bouteilles et les revendons sous la marque La Source Gabriel. » Soit 150 000 bouteilles en 2016.
Garder le domaine dans la famille
Depuis deux ans et demi, Pierre-François de Bernardi, 31 ans, l'époux d'une des petites-cousines de Régine Sumeire, gère son négoce tout en l'épaulant pour l'exportation de ses vins de domaines. « Notre but est de monter en puissance dans les autres couleurs que le rosé pour élaborer 15 à 20 % de rouges et 5 à 10 % de blancs », souligne la viticultrice.
Aujourd'hui âgée de 66 ans, Régine est très fière d'avoir poursuivi et valorisé le travail de son père et de sa famille. « Nos résultats sont le fruit du travail d'une équipe très soudée, avec des piliers qui sont présents depuis le départ, tient-elle à souligner. Sans eux, nous ne ferions rien. » La viticultrice sait les fidéliser : elle les emmène régulièrement en voyage de découverte des vignobles étrangers.
Sans enfant, Régine Sumeire tient à transmettre ses propriétés à sa famille exclusivement. « Cela crève le coeur de voir ces vastes propriétés familiales tomber dans l'escarcelle de grands groupes », déplore-t-elle. Elle veille au grain. Tandis que le pâle rosé de Provence est devenu une référence dans le monde entier.
SA STRATÉGIE COMMERCIALE Même avec la révolution Internet, la rencontre personnelle reste primordiale
- L'export représente près de deux tiers des ventes des deux domaines (70 % pour La Tour de l'évêque, 24 % pour Barbeyrolles). « Dès que j'ai commencé, j'ai choisi d'exporter, raconte Régine Sumeire. J'ai acheté des fiches au CFCE [Centre français du commerce extérieur, devenu Business France]. J'ai travaillé sur ses listings et démarché les importateurs pays par pays. J'ai réalisé mes premières ventes à l'étranger, en Europe, à partir de 1988. »
- La viticultrice s'est aussi inscrite à Vinexpo, salon auquel elle est fidèle depuis le départ. Mais, « mieux vaut épauler les importateurs sur leurs marchés que de faire de la figuration dans un salon », confie-t-elle. Dans ce but, elle se déplace 25 jours par an à l'étranger. Pour elle, rien ne vaut le contact direct. « Même avec la révolution Internet, la rencontre reste primordiale, estime-t-elle. Ainsi, nous accueillons le pus possible nos importateurs sur la propriété, ici, à Gassin. C'est important de tisser des liens, de devenir des partenaires proches. » Bien qu'elle travaille avec près de cinquante importateurs dans une trentaine de pays, Régine recherche toujours de nouveaux marchés.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QUI A BIEN MARCHÉ
Pétale de rose a été un succès immédiat et considérable.
Depuis 1998, elle vend l'intégralité de la production en bouteilles, à des prix élevés.
Dès le départ, l'export s'est avéré payant.
Elle a constitué une équipe soudée et fidèle de salariés permanents et saisonniers.
SUCCÈS ET ÉCHECS CE QU'ELLE NE REFERA PLUS
À l'exportation, elle demande toujours à être payée avant l'enlèvement des vins. Mais, « en 2015, on était tellement content de trouver un marché à New York qu'on a baissé la garde et on s'est fait avoir ».
Pour développer ses ventes au Japon, elle a fait confiance à une Japonaise. Cela a été un échec : elle a perdu le marché qu'elle avait initié. « La barrière culturelle et linguistique est énorme », estime-t-elle.
En 2011, elle rénove 3 000 hl de cuves en béton en les revêtant de résine époxy. En 2013, elle apprend dans La Vigne que ces résines peuvent transmettre des phtalates au vin. Des analyses le lui confirment. Elle arrête immédiatement de les utiliser pour le stockage des vins.