PREMIÈRE ÉTAPE DES JEUDIS DÉCOUVERTE organisés par le domaine de la Réméjeanne, 36 ha d'un seul tenant dans le Gard, en compagnie d'Olivier Klein, le maître de chai. © M. GASARIAN
AU FIL DE LA VISITE, Olivier Klein donne une foule de détails sur la conduite de la vigne, les cépages et le terroir, mais aussi sur la flore et la faune locale. M. GASARIAN
L'ÉQUIPE : Olivier Klein, maître de chai, Hannah Melville et Corine Rivier, en charge des ventes au caveau. M. GASARIAN
C'est parti pour deux heures de balade non-stop ! Baskets aux pieds et bouteille d'eau à portée de main, les dix-neuf participants inscrits au Jeudi Découverte de ce 27 juillet sont fin prêts à suivre Olivier Klein sur son domaine familial la Réméjeanne, à Sabran, dans le Gard. Il est à peine 10 heures et le thermomètre affiche déjà 30 °C à l'ombre ! Depuis une semaine, la région vit sous la canicule. Pas de quoi rebuter le groupe de touristes belges et le couple d'étudiants français venus suivre la visite. « Hier, nous avons fait du vélo dans les Dentelles de Montmirail. Aujourd'hui, nous allons faire de la randonnée », glisse Debby, venue en famille de la province de Limbourg, en Belgique. Tous ont réservé leur place à l'avance. Montant de la prestation : 22 euros pour les adultes, 11 euros pour les enfants de 6 à 12 ans.
« Nous faisons carton plein tous les ans ! », se félicite Olivier. Rémy, son père, et Pia, sa belle-mère, ont lancé les Jeudis Découverte il y a cinq ans. Au programme : visite de l'exploitation plantée de vignes, d'oliviers et de figuiers, puis de la cave, dégustation des vins et pique-nique vigneron à l'ombre des pins de la propriété. « Nous faisons partager notre métier de vignerons, renchérit le jeune homme. Très vite, ce concept a eu du succès. »
Pour la première fois cette année, c'est lui qui anime la visite. La plupart du temps, il s'exprime en anglais. « Nous accueillons surtout des touristes étrangers qui séjournent dans les gîtes et chambres d'hôtes alentours », poursuit-il.
Après quelques mots de bienvenue, le groupe emprunte le chemin situé au-dessus de la cave pour gagner un coteau à 250 m d'altitude. Là, le paysage de vignes, d'oliviers et de collines s'étire jusqu'au mont Ventoux. « Nous exploitons 38 ha d'un seul tenant que nous cultivons en bio, explique le guide à ses visiteurs. Nous produisons des côtes-du-rhône et côtes-du-rhône villages dans les trois couleurs avec une majorité de rouge. Mais nos sols s'avèrent aussi d'excellents terroirs pour les blancs auxquels ils confèrent de la tension et de la vivacité. »
Si la vigne est aujourd'hui l'activité principale de la famille, cela n'a pas toujours été le cas. Olivier plonge son public dans l'histoire familiale. « Quand mon grand-père a créé le domaine, dans les années 1960, l'exploitation était davantage connue pour la confiture de figues de ma grand-mère que pour le vin, plaisante-t-il. Ici, on cultivait le figuier, l'olivier et le ver à soie. Mais ces productions ont peu à peu sombré. Mon aïeul a alors développé le vignoble et mon père a poursuivi son travail. »
Malgré tout, les Klein sont restés attachés à la culture de l'olivier. Après le gel de 1956, ils en ont replanté petit à petit pour parvenir à 4,5 ha en recréant les anciennes banquettes où les arbres étaient autrefois implantés. « Désormais, nous essayons de mettre au jour les oliviers qui ont résisté au gel de 1956 pour les faire repartir. » Ce travail impressionne Mark et David, deux sommeliers belges : « Sans vous, le paysage ne serait pas ce qu'il est », font-ils remarquer.
En se dirigeant vers le haut de la parcelle, un détail attire l'attention du groupe : le vignoble est entièrement fermé par une clôture électrique. La raison ? « Les sangliers !, se désole Olivier. Sans elle, nous ne ramasserions aucun raisin. Avec la sécheresse, les sangliers sont affamés et assoiffés. Voyez cette grappe, ils l'ont entièrement dévorée. » Il montre du cinsault, leur cépage préféré.
« Et d'ailleurs, connaissez-vous nos cépages ? », interroge le vigneron. Mark et David s'empressent d'égrener : « Grenache, syrah, mourvèdre, carignan, cinsault. » Le vigneron complète la liste avec les blancs : viognier, clairette, bourboulenc et grenache. Il met en avant cette diversité. « Dans la vallée du Rhône méridionale, nous avons une tradition d'assemblage. Chaque cépage apporte sa personnalité. Toutefois, il y a toujours une dominante de grenache, le roi dans notre région, qui confère de la rondeur à nos vins. Mais, il est très sensible à la coulure quand il fait très chaud et sec. »
Les participants l'interrogent du regard. La coulure ? Quèsaco ? Olivier capte leur étonnement. « C'est lorsque les fleurs tombent et que la plante ne produit pas de fruit, explicite-t-il. Cette année, nous avons perdu près de 50 % de la récolte de grenache à cause de ce phénomène. » « Il n'y a rien à faire ? », s'enquiert Guilhem, l'étudiant en école de commerce. « Nous sommes hélas démunis. Les grenaches conduits en gobelet semblent cependant moins souffrir que ceux qui ont été palissés. »
Pour illustrer son propos, il conduit le groupe à l'intérieur d'une parcelle et montre des vignes conduites en cordon de Royat. Il détaille les différences avec les gobelets en expliquant les avantages et inconvénients de chacun de ces deux modes.
« Savez-vous ce qu'est la véraison ? », demande-t-il en désignant une grappe aux raisins rougissants. De nouveau, le vigneron prodigue des explications. Plus tard au cours de la promenade, il montrera également des pieds qui ont coulé.
La balade reprend et les marcheurs entrent dans le bois attenant au vignoble. Olivier Klein se mue alors en naturaliste. « Vous connaissez le genévrier ? », lance-t-il en désignant un arbuste aux billes grenat. Il en détache une et la donne à sentir. « À côté, cette plante qui lui ressemble, c'est de la cade. Pour les distinguer, il faut compter les lignes blanches sur leurs aiguilles : deux sur la cade et une sur le genévrier. »
Au fil du sentier, le vigneron continue de partager ses connaissances. Là un chêne vert, ici un chêne blanc, plus loin un chêne kermès qui produisait autrefois un colorant rouge pour les uniformes de l'armée. Les trous béants creusés dans le sol sont, eux, d'anciens terriers de blaireaux.
Soudain, Olivier s'arrête. Avec un certain art de la mise en scène, il tire de la poche de son sac à dos la photo d'une genette. Les enfants de Debby se pressent devant lui. Le vigneron se fait conteur. Quand les Sarrasins ont envahi le Sud-Est de la France, ils sont venus avec cet animal de compagnie qui est resté après leur départ. Un soir d'hiver glacial, son grand-père en a vu une s'approcher de la maison en quête de nourriture. L'anecdote captive les grands comme les petits. « Autrefois, toute la forêt était cultivée, rappelle Olivier Klein. Les bergers y faisaient pâturer leurs moutons. Ces vieux murs l'attestent : ce sont les ruines d'anciennes fermes. »
Puis on quitte la forêt. « Nous voici sur la lune ! », clame le vigneron. Les Klein ont ainsi baptisé cette vigne de syrah plantée à 300 m d'altitude au sommet d'une butte si bien que d'un bout de la parcelle, on ne peut distinguer le bout opposé. Olivier explique qu'ici il produit une cuvée haut de gamme qu'il servira à ses visiteurs lors du déjeuner. Le retour vers la cave se profile.
Le parcours s'achève devant les figuiers qui donnent des fruits deux fois par an, en été et à l'automne. « Nous en faisons des confitures d'après la recette de ma grand-mère que nous vendons au caveau », glisse habilement Olivier.
Il est midi. La porte s'ouvre sur la fraîcheur du chai. Le maître des lieux détaille ses méthodes de vinification : éraflage, foulage, pigeage, etc., pour les rouges ; saignée ou pressurage direct pour les rosés. Il décrypte les termes techniques et met aussi en avant les spécificités de son domaine : vendanges manuelles, vinifications sans sulfites ajoutés mais protégées avec du CO2, levurage indigène et, depuis cette année, biodynamie au vignoble.
Après un passage devant la chaîne d'embouteillage et la salle de stockage, place à la dégustation. Corine, en charge du caveau, distribue les verres ainsi que les tarifs. La Réméjeanne vend tous ses vins en bouteilles à des prix publics allant de 6,60 à 25,50 €/col. « Nous allons vous servir deux blancs et notre rosé, expose-t-elle. Puis, nous goûterons les rouges à table. »
La dégustation commence par le blanc Les Arbousiers 2016 suivi des Églantiers 2013. Olivier commente : « Le premier est facile, il n'a pas besoin d'être accompagné. Le second est davantage un vin de repas. Je vous le conseille aussi avec un vieux comté. » La couleur soutenue du rosé surprend le groupe. « Nous avons voulu rester fidèles au process d'élaboration des rosés de la vallée du Rhône, justifie-t-il. Nous laissons les robes ultra-pâles à la Provence, bien qu'avec mon père, on ne soit pas d'accord ! Il préfère les rosés peu colorés. » La confidence amuse son public.
13 heures. L'heure du déjeuner a sonné. Une grande table a été dressée à l'ombre des pins. Au menu : légumes du jardin, caillettes, olives noires, brandade de morue et charcuterie préparées par des artisans du cru, muffin au saumon fait maison, plateau de fromages, confiture de figues du domaine...
Chacun garnit son assiette à sa guise. Hannah, qui a rejoint l'exploitation l'an passé, fait déguster les cinq cuvées de rouge, toujours en petite quantité. Olivier les décrit tour à tour en quelques mots. Un Air de Réméjeanne est « élégant » (6,60 €/col), Les Arbousiers « puissant » (9,70 €/col)...
Pour chaque vin, il donne des conseils de garde : « 2016, facile à boire dès à présent », « 2015, à garder », « 2013 : il était fermé et dur au début. Aujourd'hui, il est aimable »...
À 14 h 30, le groupe quitte la table et se dirige vers le caveau pour faire ses emplettes. Tous sont enchantés d'avoir partagé les mille et une histoires de la Réméjeanne, racontées par le vigneron du cru. « It's the french attitude », confie Debby en anglais. Un moment relax, en pleine nature, avec de bons mets et de bons vins ! Quoi de mieux ?
Un petit profit bien acquis
La recette du jeudi 27 juillet s'est élevée à 1 080 €. Ce montant inclut les dix-neuf entrées et les achats en boutique (vin, huile d'olive, confitures). « Le panier moyen des clients des Jeudis Découverte est plus élevé que celui des clients classiques, constate Olivier Klein. Il est aussi différent. Cette clientèle vient avant tout pour la visite et la découverte du domaine plutôt que pour acheter du vin. D'ailleurs, elle achète davantage de confiture et d'huile d'olive. » La balade a toutefois permis de faire connaître le domaine à une nouvelle clientèle qui fait aujourd'hui partie de ses habitués. Au cours d'une saison, les Jeudis Découverte attirent en moyenne 180 personnes.
TROIS CLÉS POUR UNE PROMENADE NOTOURISTIQUE RÉUSSIE
- Le faire savoir. Les Klein ont déposé des plaquettes de présentation de leur prestation dans les offices du tourisme de la région ainsi que dans les gîtes et les chambres d'hôtes. La première année, ils ont même convié ces acteurs du tourisme à une visite pour qu'ils découvrent leur concept.
- Tous à bord. L'équipe du domaine est sur le pont lors des Jeudis Découverte. La veille, Pia Klein fait les courses pour le pique-nique. Corine, en charge du caveau, prépare la dégustation et Hannah, récemment arrivée, dresse la table, puis sert les vins rouges aux participants. Quant à Olivier Klein, il est mobilisé avec le groupe de 10 à 15 heures.
- Conter et raconter le vin. Le public apprécie les anecdotes de famille. Olivier Klein en livre de nombreuses au cours de la journée. Il fait aussi découvrir la nature à ses visiteurs. Et lorsqu'il parle de viticulture ou vinification, il utilise un langage simple.