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VIN

Vignes gelées Casse-tête en vue

CHRISTELLE STEF - La vigne - n°299 - juillet 2017 - page 48

À cause du gel d'avril, les vendanges s'annoncent compliquées. Principal défi : gérer les décalages de maturité d'une parcelle à une autre et au sein même des vignes partiellement touchées.
LA THERMOVINIFICATION permet d'avoir des vins fruités et colorés sans trop extraire de caractères végétaux. Dans les zones gelées, cela palliera l'hétérogénéité de la maturité. © C. WATIER

LA THERMOVINIFICATION permet d'avoir des vins fruités et colorés sans trop extraire de caractères végétaux. Dans les zones gelées, cela palliera l'hétérogénéité de la maturité. © C. WATIER

Les parcelles qui ont subi le gel présentent des écarts de phénologie importants avec celles qui n'ont pas été touchées. « Les grappes atteignent seulement le stade "boutons floraux agglomérés" dans les vignes gelées ; ailleurs, elles sont déjà au stade "baies à taille de pois", indiquait une cave coopérative du Bordelais, le 7 juin. Comme la charge est faible dans les parcelles gelées et que les stades se succèdent vite, nous espérons un rattrapage, mais il y a aura probablement un écart de deux à trois semaines à la vendange. »

Éric Deletage, d'Enosens, pôle oenologique de Coutras, confirme : « Comme le millésime s'annonce très précoce, les premiers merlots pourraient être récoltés autour du 15 septembre dans les parcelles indemnes. Or, dans les vignes gelées, les grappes de seconde génération pourraient n'être mûres que vers le 15 octobre. Les viticulteurs n'attendront pas forcément jusque-là. Ils risquent de vendanger des raisins en sous-maturité », note-t-il. Autre difficulté à prévoir selon l'oenologue : « L'ordre de ramassage habituel des parcelles va être bousculé. Des merlots gelés seront peut-être à ramasser en même temps que des cabernets-sauvignons non gelés. »

Selon lui, l'essentiel pour s'y retrouver est d'avoir bien identifié et délimité les zones gelées. « Il est important de garder en mémoire l'intensité du gel dans chaque parcelle, afin de savoir où recueillir des échantillons pour les contrôles de maturité », explique ÉricDeletage.

Déguster les baies

Philippe Gabillot, de la chambre d'agriculture d'Indre-et-Loire, recommande de bien contrôler la maturité, même s'il y a très peu de récolte : « Il faut au moins déguster les baies. »

Les choses se corseront encore dans les vignes partiellement gelées car il faudra composer avec des grappes ayant des états de maturité très différents. Fabrice Doucet, de la Sicavac, à Sancerre, prévient qu'il y aura un décalage entre la maturité aromatique et technologique des raisins. « Pour éviter les notes végétales, il faudra accepter d'avoir un peu de surmaturité. Il va y avoir un gros travail de dégustation des baies pour piloter le déclenchement des vendanges », précise-t-il.

Mais tout le monde ne pourra, ou ne voudra, pas attendre que tous les raisins arrivent à la bonne maturité. Dans ces circonstances, la récolte comportera des raisins en sous-maturité. « On orientera les rouges vers la thermovinification et la macération préfermentaire à chaud. Ces techniques obtiennent des vins fruités et colorés sans trop de caractères végétaux. Aux vignerons qui n'ont pas accès à cette technologie, nous recommanderons un apport de bois chauffé à l'encuvage pour masquer les notes herbacées », explique Éric Deletage.

Vinifier les raisins en rosé plutôt qu'en rouge. « Plutôt que de faire un rouge qui n'aura pas les qualités souhaitées, cela peut être une solution de secours d'en tirer un rosé », indique Marc Dubernet, des laboratoires éponymes.

Pour régler ce problème de décalage au sein des vignes partiellement gelées, l'idéal serait « d'enlever les grappes vertes au cours de la maturation », indique Bruno Guillet, du laboratoire Gresser, en Alsace. Mais l'oenologue reconnaît que, vu les faibles rendements, seuls de rares producteurs pourront opter pour cette stratégie. Comment alors gérer les grappes de différentes générations ? « Les viticulteurs qui valorisent bien leurs vins et vendangent à la main feront peut-être deux passages », indique Nicolas Piffre, de l'oenocentre de Saint-Savin, dans la Gironde.

Sera-t-il rentable de récolter ?

« Dans les parcelles les plus touchées, les seuls frais de récolte ne seront-ils pas supérieurs à la valeur des raisins ? », se demandent beaucoup de viticulteurs à cause de la faible charge. Pour le savoir, Éric Deletage préconise d'estimer au mieux le potentiel de récolte après la floraison. Toutefois, pas question de laisser les quelques grappes qui subsistent sur les pieds. « La réglementation l'interdit », prévient Nicolas Piffre.

Toujours en raison de la faible charge, les vendanges manuelles seront plus longues. Pour y pallier, Fabrice Doucet recommande de renforcer les équipes de vendangeurs afin de remplir les bennes et les pressoirs aussi rapidement qu'en temps normal, surtout pour les blancs. Sinon, les grappes finiront par macérer dans leur jus, provoquant l'extraction de composés végétaux et un risque d'oxydation.

Les cuves devront être bien remplies. Si c'est impossible, le mieux est d'inerter le ciel de cuve avec de la glace carbonique. Pendant la macération préfermentaire, il faudra bien fermer les cuves à chapeau flottant, avec les chambres à air gonflées. C'est ce qu'avait recommandé Éric Grandjean, du centre oenologique de Bourgogne, l'an passé. Il avait également conseillé de limiter les extractions pour les rouges.

En tout état de cause, « nous savons d'ores et déjà que le millésime 2017 sera un défi technique. Nous le relèverons avec les outils d'aujourd'hui et toute notre expérience », assure Éric Deletage.

Le Point de vue de

PIERRE CANDELIER, RESPONSABLE DE SITE DES VIGNERONS DE SAINT-PEY-GÉNISSAC (GIRONDE)

« Une organisation chamboulée »

« Sur les 1 200 ha de notre coopérative, 570 ont été gelés à 100 % et 190 ha sont indemnes. Le reste est touché à des degrés divers.

C'est surtout une très grosse partie de nos vignes destinées à l'élaboration du crémant de Bordeaux qui a souffert. Or, nous produisons 30 % des vins de base de l'appellation. Notre priorité est de fournir nos clients. Pour ça, nous allons réorienter vers la production de crémant des parcelles habituellement destinées à celle de vins tranquilles. Fin juin, nous avons fait le tour de chaque parcelle pour estimer la charge réelle et décider de son affectation, afin d'attribuer les plus productives au crémant. Début juin, nous n'avons donc pas fait de déclaration d'intention de production de crémant de Bordeaux auprès de l'ODG. Nous la ferons courant juillet, voire une à deux semaines avant la récolte. C'est un chamboulement en termes d'organisation.

Autre adaptation : alors que nous avons deux sites de vinification, l'un à Saint-Pey-de-Castets et l'autre à Génissac, nous vinifierons tout à Saint-Pey. Nous l'avions déjà fait en 2013. En effet, compte tenu de la faible récolte, nous devons réduire les coûts fixes. Nous recruterons ainsi dix saisonniers

de moins. »

Le Point de vue de

CHARLES FORAY, CHÂTEAU FRANC-BAUDRON, 42 HA EN BIO, À MONTAGNE (GIRONDE)

« Nous n'utiliserons peut-être pas la machine »

« Toutes nos parcelles ont gelé à 100 %. Seuls de petits îlots ont été épargnés, mais cela ne représente que cinq ares au maximum par-ci, par-là, soit environ 1 ha non gelé sur 42 !

Dans l'ensemble, les vignes ont bien repoussé sauf les vieux cabernets francs dont pas mal de pieds ne sont pas repartis. Mais les stades sont très hétérogènes et les ceps ne portent qu'une grappe au maximum. Comparé aux vignes non gelées, la végétation a presque un mois de décalage avec une floraison qui a eu lieu fin juin, début juillet. Nos vignes ont tellement gelé que nous ne savons pas comment on va vendanger. Nous attendons la nouaison pour estimer le volume de récolte et voir si ça vaut le coup de passer la machine à vendanger. De toute façon, nous ferons une mini-vendange. Si on arrive à 150 hl, ce sera déjà bien, sachant qu'habituellement nous récoltons environ 2 000 hl, soit 1 500 hl en AOC Montagne Saint-Émilion et 500 hl en Bordeaux. »

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