« Le froid devient le nerf de la guerre », lance Julien Brochet, oenologue provençal pour l'ICV. Malgré la généralisation des vendanges de nuit, leur précocité fait que les raisins rentrent tout de même chauds. En Provence, cette année comme en 2016, les vignerons n'ont ainsi jamais pu vendanger des raisins à moins de 15 °C. Du coup, « même si refroidir les raisins demande 30 % d'énergie de plus que refroidir les moûts, les échangeurs tubulaires sont plébiscités », explique Stéphane Cottenceau, chez Pera. Ils permettent aux vignerons de faire perdre quelques degrés à leurs raisins avant le pressurage. Ils sont également intéressants pour ceux qui commencent par faire macérer leur vendange à froid dans une cuve ou directement dans le pressoir. « Dans mon secteur, cela se pratique beaucoup avec les grenache, cinsault et vermentino afin d'obtenir des vins plus fruités », constate Julien Brochet.
Pour les rosés, dont la couleur doit être très pâle pour séduire les consommateurs, les échangeurs sont presque indispensables. En effet, « l'activité des enzymes naturellement présentes dans les raisins, et qui contribuent à l'extraction de la couleur, chute de moitié à chaque fois que l'on abaisse la température de 10 °C. De ce fait, on obtient des moûts bien plus pâles à 15 °C qu'à 25 », affirme Olivier Naslès, oenologue et vigneron au domaine de Camaïssette, à Éguilles, dans les Bouches-du-Rhône.
Plus de la moitié des vignerons refroidissent leur vendange avec un échangeur tubulaire, en Provence et dans le Languedoc, d'après l'estimation des oenologues. « Tous les viticulteurs qui produisent plus de 1 000 hl de rosé, voire de blanc, sont équipés », témoigne Marc Dubernet, du laboratoire éponyme. Les plus petits stockent leurs raisins dans des camions frigorifiques ou les aspergent de neige carbonique. « Dans ce dernier cas, mieux vaut qu'ils valorisent bien leur vin car, pour que cela soit efficace, il faut compter au moins 1 kg de carboglace à -80 °C pour 1 kg de raisins », prévient Julien Brochet.
Avec un échangeur, l'abaissement de la température de la vendange est fonction de la puissance du groupe de froid, du débit de la pompe à vendange, ainsi que de la longueur du tube et de sa forme. « Chez Pera, nous proposons des systèmes de refroidissement à l'eau glycolée, avec des tubes lisses ou corrugués. Ces derniers impriment un mouvement à la vendange et améliorent l'homogénéité du refroidissement, davantage de raisins entrant en contact avec l'eau froide », détaille Stéphane Cottenceau.
D'autres fournisseurs, tels que Kreyer et AP3M, travaillent avec du gaz frigorifique. « Il est injecté à -20 °C dans la double paroi du tube de notre échangeur Multipack, autorisant une réduction de la longueur du tube, relate Christophe Pereira, gérant d'AP3M, Les raisins sont moins triturés et nous pouvons fournir des unités mobiles. » Stéphane Cottenceau estime, lui, que l'eau glycolée est bien adaptée aux grosses unités, qui investissent dans une centrale et un groupe de froid pour la thermorégulation de toute leur cave.
Les fabricants avancent que leurs appareils font perdre une dizaine de degrés à la vendange. Mais, en pratique, cela ne semble pas être le cas. Selon Olivier Naslès, rares sont les systèmes qui permettent d'abaisser la température de plus de 5 °C. « Alors que j'ai une bonne installation, je n'arrive à faire tomber mes raisins que de 22 à 16 °C. Sur les 200 caves que je conseille, je n'en connais qu'une seule qui parvient à perdre 10 °C. »
Au Centre du Rosé, Laure Cayla confirme : « Souvent, les vendanges ne sont pas assez refroidies pour la clarification des moûts. Au débourbage, la température doit au moins être abaissée à 12 °C afin d'éviter tout départ en fermentation. Avec les échangeurs, c'est rarement le cas. » Les vignerons sont donc contraints de renvoyer leur moût dans un échangeur ou de les placer dans une cuve suffisamment thermorégulée.
Malgré ces imperfections, la demande reste soutenue. Pera vient d'ailleurs de sortir son Green Cryo, un groupe de froid mobile pourvu d'un échangeur, bien adapté aux petites caves.
De son côté, la société Frical, basée à Avignon, continue de proposer du sur-mesure aux plus grandes unités. « Nous avons ainsi installé notre échangeur Solid-Flow chez les Vignerons de Beaumes-de-Venise, au Cellier Saint-Sidoine, au domaine de Jarras-Listel ou encore au domaine Faiveley », liste Jean-François Codet, son président.
Les échangeurs font même leur nid dans d'autres régions. Christophe Pereira a vendu une vingtaine de Multipack à Bordeaux cette année - entre 15 000 et 25 000 € - alors qu'il ne visait qu'une dizaine de contrats. « La demande vient surtout des grands châteaux qui effectuent des macérations préfermentaires à froid sur les rouges. Ils achètent des échangeurs, en remplacement de la neige carbonique », explique-t-il.
Dans le Val de Loire, peu de vignerons sont équipés, peut-être parce qu'il y fait moins chaud. Mais à l'IFV d'Amboise, Laurence Guérin pense que la pratique va se développer.
Les avantages du refroidissement
« Le froid ralentit l'extraction de la couleur et permet de maîtriser les macérations », assure Laure Cayla, ingénieure au Centre du Rosé. Il est également intéressant sur le plan aromatique. Lors d'essais conduits par Inter Rhône, les rosés de grenache obtenus après une macération à 10 °C se sont révélés plus aromatiques en bouche et plus fleuris au nez. Les résultats ont aussi été concluants avec du grolleau. Dans le même temps, refroidir la vendange avant son pressurage diminue la dégradation des arômes. Sur le plan pratique, les frigories dépensées avant le pressurage facilitent la sédimentation des bourbes pendant le débourbage. Il limite les départs inopportuns en fermentation et permet au vigneron d'implanter la levure de son choix. «Je n'ai pas de recommandations pour le choix du matériel. Le vigneron doit trouver un compromis entre la chute de température souhaitée, la trituration de la vendange, le coût du matériel et de sa mise en service, et son bilan carbone», explique l'ingénieure.
JEAN-CLAUDE ZABALIA, GÉRANT DU DOMAINE DU BOSC, À VIAS (HÉRAULT) « J'ai été parmi les premiers à acquérir un échangeur »
« J'ai acheté un échangeur à vendange chez Fabbri dès 1998. À l'époque, j'étais parmi les premiers. Je l'utilise pour tous mes blancs et rosés, soit les trois quarts de la production de 10 000 hl. C'est un tube-in-tube classique, qui me permet de faire perdre environ 5 °C à la vendange. Cet investissement de 100 000 francs (15 000 €), sans compter le groupe de froid, s'inscrivait dans une stratégie plus globale de protection contre l'oxydation. Nous avons beau commencer nos vendanges mécaniques à minuit et les terminer à 9 heures au plus tard, la température des raisins franchit toujours la barre des 18 °C. Notre machine à vendanger est équipée de deux égrappoirs. Nous ne protégeons pas les baies pendant le trajet jusqu'à la cave car, à ce stade, les casses de polyphénols ne sont pas gênantes. En revanche, une fois au chai, nous sulfitons la vendange à hauteur de 2-3 g/hl. Elle est réceptionnée dans un quai en Inox, pompée via une vis sans fin et queue-de-cochon vers l'échangeur tubulaire, dans lequel elle perd 5 à 6 °C, puis vers le pressoir. Nous saturons le quai, le pressoir et toute la tuyauterie à l'azote. Après pressurage, nos jus sont clarifiés par flottation. Inutile donc de les refroidir davantage. En fonction du cépage, nos moûts fermentent entre 15 et 18 °C. Depuis que je refroidis les raisins, je trouve que mes blancs ont des couleurs plus vives, dans les nuances jaunes et vertes, et que mes rosés sont plus pâles. Ils sont aussi plus stables. Je n'ai plus de casses de couleur comme j'en avais auparavant. »