GEORGES PUIG-PARAH a hérité d'une collection d'une cinquantaine de vieux millésimes conservés en fûts, dont le plus ancien date de 1869. F. EHRHARD
« Dans ma jeunesse, mon père me faisait goûter les vieux millésimes qui dormaient dans ses fûts, au fond de la cave. J'ai forgé mon palais avec les arômes de ces vins doux naturels », raconte Georges Puig-Parahÿ. Basé à Passa (Pyrénées-Orientales), ce vigneron a hérité d'une cinquantaine de vieux rivesaltes lorsqu'il a repris l'exploitation familiale. Le plus ancien date de 1869. « L'alcool et le sucre conservent ces vins très longtemps. Mais tous n'évoluent pas bien. Le 1869 a tourné au vinaigre, alors que le 1875 est encore bon à boire », précise-t-il.
Ces cuvées ont été mises en réserve à la naissance d'un enfant pour être dégustées lors de son mariage. « Mes grands-parents ont conservé huit millésimes entre 1930 et 1945 pour leurs huit enfants, dont le 1936, l'année de naissance de mon père », indique Georges Puig-Parahÿ. Chaque cuvée rappelle ainsi une personne. « Quand je visitais la cave, mon père me les nommait. Au bout de la rangée de demi-muids, il y avait le vin de la tante Victorine, née en 1870 », se souvient-il.
D'autres vins correspondent à des événements marquants, comme le 1953, premier millésime vinifié par le père de Georges.
Quand Georges les a mis en bouteille, il leur a donné le nom de la personne qui leur était associée. C'est ainsi que la cuvée 1898 s'appelle Joseph Noëll. « C'est lui qui menait le domaine au tournant du XIXe et du XXe siècles. C'était un bon vigneron, il avait obtenu une médaille d'or au Concours général de Paris. »
À la grande époque des vins doux naturels, ces stocks constituaient une bonne épargne. Puis ils ont été oubliés. Aujourd'hui, on les redécouvre. « Avec le temps, ils ont développé des arômes complexes de cacao, de café, de noix ou encore d'écorces d'orange », explique Brigitte Verdaguer, du domaine de Rancy, à Latour-de-France. Cette vigneronne a hérité, elle aussi, de vieux millésimes stockés dans trois petites caves creusées dans la roche. « Chez nous, seules les meilleures années étaient conservées. Nous avons ainsi des cuvées médaillées de 1948 et 1949. »
« Ces vins se dégustent avec des desserts, du chocolat ou encore un bon cigare, en prenant le temps de laisser leurs arômes se développer en bouche », conseille Brigitte Verdaguer. Georges Puig-Parahÿ, lui, les apprécie avec du roquefort. « C'est un univers gustatif passionnant, qui donne envie aux viticulteurs de continuer ces collections », note Clarisse Martin, à l'interprofession des vins du Roussillon (CIVR).
Ces vins sont stockés dans de vieux fûts de chêne. Avec le temps, ils s'évaporent et entrent en contact avec l'air. « Pour qu'ils se conservent, il faut juste brûler de temps en temps une mèche de soufre dans le fût, au-dessus du vin », assure Georges Puig-Parahÿ.
Les prix de la demi-bouteille varient de 50 € pour des millésimes des années 1980 jusqu'à plus de 1 000 € pour ceux de la fin du XIXe siècle. Les amateurs de ces vins sont séduits par leur qualité et leur âge, qui invite à se plonger dans l'histoire.
En explorant les archives familiales, Georges Puig-Parahÿ a trouvé la trace de l'inventaire de la succession d'un certain Mathias Puig, un document datant du XVe siècle. « On y mentionne un alambic. Cela laisse penser qu'à l'époque déjà, le domaine produisait de l'alcool pour le mutage, et donc des vins doux naturels. »