Bruno Prade est furieux. Fin septembre, il a reçu un courrier de FranceAgriMer lui confirmant qu'il n'aurait pas toute l'aide à la restructuration qu'il espérait. Loin s'en faut. Au printemps 2016, il a planté une parcelle de chardonnay à Sainte-Anastasie, dans le Gard, le village voisin du sien.
« Comme à chaque fois, j'ai déclaré la surface cadastrale, explique ce viticulteur, gérant de l'EARL Olivette, qui cultive 27 ha de vigne à Bourdic. Dans le cas de cette parcelle, c'était 1,99 ha. J'ai demandé la prime sur la surface cadastrale et une avance. Mais en plus des tournières, il y a un tas de pierres au milieu de la parcelle qui a fait la différence. En octobre de l'an dernier, lorsque les contrôleurs sont venus mesurer la surface plantée avec leur GPS, ils n'ont trouvé que 1,35 ha. Cela fait plus de 20 % d'écart. Du coup, j'ai été pénalisé. Pour 1,35 ha, j'aurais dû toucher 15 500 € d'aide. Mais je n'aurai que 5 000 €. On me supprime 10 500 €. Cela met mon exploitation en difficulté. Si j'avais été un petit dealer, j'aurais subi une peine moins lourde : on m'aurait relâché. Et l'affaire était terminée. »
Bruno Prade peste également contre le courrier incompréhensible qu'il a reçu lui expliquant le calcul de la pénalité qu'il subit. « Je suis allé voir mon centre de gestion. Même mon comptable n'y a rien compris. » Il plaide sa bonne foi. « On ne peut pas avoir l'intention de frauder car on sait qu'on sera contrôlé : toutes les plantations le sont. » S'il a indiqué la surface cadastrale, c'est par commodité et « parce qu'on paie nos impôts sur cette surface ». Il demande la suppression de la sanction et l'aide pour 1,35 ha sans trop savoir encore jusqu'où il est prêt à aller pour obtenir gain de cause.
Installé à Sauzet, dans le Gard, à une quinzaine de kilomètres de Bourdic, Bruno Saurin s'est fait une raison. Le premier juin dernier, il a reçu un courrier de FranceAgriMer lui indiquant qu'il n'allait toucher que 3 533 € alors qu'il attendait le double. « C'est une parcelle entourée de fossés et d'un cours d'eau classé. J'ai arraché du grenache pour y planter du sauvignon en février 2016. Je me suis tenu à 10 m du cours d'eau, plus loin que précédemment pour ne pas être embêté avec les ZNT. En outre, comme on vendange de plus en plus la nuit, on a besoin de larges tournières. Le contrôleur a mesuré 1,08 ha. Or, j'avais déclaré la surface cadastrale de la parcelle, à savoir 1,49 ha. J'ai ainsi dépassé la marge d'erreur de 20 %. Je comptais toucher dans les 7 000 €. Ils m'ont fait sauter la moitié de ma prime », déplore ce coopérateur, à la tête de 39 ha.
Comme son collègue, il est tombé des nues : « Je plante régulièrement. J'ai toujours déclaré la surface cadastrale. Jusqu'à maintenant, je n'avais jamais eu de problème. Ces dossiers d'aide, ça devient une usine à gaz. » Deux exemples parmi bien d'autres.
Dans le Languedoc-Roussillon, le Comité RQD a relevé plus de 200 viticulteurs lésés en partie de leur aide sur plus de 3 000 dossiers déposés. Cette structure en charge des plans collectifs de restructuration évalue ainsi à environ 1 million d'euros le manque à gagner pour les exploitations concernées. Ces viticulteurs subissent les conséquences d'un changement dont ils n'étaient pas informés ou dont ils n'ont pas mesuré les implications.
En avril dernier, FranceAgriMer a défini de nouvelles sanctions de sous-réalisation des dossiers de plantation, applicables à partir des plantations de 2016. Le seuil de déclenchement reste le même que par le passé : 20 %. Mais les sanctions sont bien plus lourdes, en application d'un nouveau règlement européen. « Certaines pénalités vont jusqu'à 50 % de l'aide. De telles sanctions peuvent mettre en péril des exploitations. D'autant que les viticulteurs ayant perçu des avances doivent en plus payer une pénalité de 10 % sur le montant avancé », déplore Olivia Georges, directrice du Comité RQD.
Outre l'aggravation des sanctions, l'erreur se calcule désormais parcelle par parcelle. « Jusqu'à l'an passé, l'écart mesuré entre les surfaces déclarées et les surfaces plantées ne devait pas excéder 20 % pour l'ensemble d'un dossier. Cela permettait de gommer des erreurs sur une ou deux parcelles. Désormais, chaque parcelle doit être dans les clous », explique Aurélie Payraudeau, technicienne en charge du plan collectif de restructuration en Val-de-Loire - Centre.
En Gironde, François Castaignan, viticulteur à Quinsac, a fait les frais de cette nouvelle règle. Cette année, il a réalisé sa première plantation avec une demande d'aide à la restructuration. Et malgré l'appui d'un technicien de la chambre d'agriculture pour faire sa déclaration, il n'a pas obtenu ce qu'il espérait. Son dossier comporte trois parcelles réunies en un îlot. L'erreur de surface concerne l'une des trois. « Pour deux parcelles, il y a des écarts de 12 et de 13 %. Mais pour la troisième, j'ai inscrit 45 ares alors que le contrôleur en a mesuré 33. S'il avait mesuré 36 ares, j'aurais été pile-poil à 20 % d'erreur. Pour 3 ares seulement, je suis pénalisé de 1 000 € », déplore ce viticulteur, à la tête d'une exploitation de 12 ha. Avec l'ancienne méthode de calcul, il serait passé à travers les mailles du filet.
François Castaignan est d'autant plus agacé qu'il est convaincu que le contrôleur s'est lui-même trompé. « J'ai déclaré avoir planté 2,37 ha sur 2,60 ha cadastrés. Mais lors de son contrôle, FranceAgriMer a mesuré une surface plantée de 1,93 ha. Or, c'est impossible ! J'ai en effet planté 10 100 pieds à deux mètres sur un. Il me fallait donc au minimum 2,02 ha. Mais le contrôleur m'a fait comprendre qu'il me serait difficile de contester sa mesure », regrette le viticulteur.
Les erreurs sur les surfaces plantées ne sont pas les seules que peuvent commettre les vignerons, même si ce sont les plus préjudiciables. Il en existe bien d'autres : palissage non terminé lors des contrôles, cases mal cochées dans la demande d'aide, etc. « On peut vite se tromper avec tous les sigles qui apparaissent dans le dossier de demande, précise Aurélie Payraudeau. Et maintenant que les demandes sont informatisées, il est impossible de corriger une erreur. »
Durant sa campagne électorale, Emmanuel Macron a promis le droit à l'erreur pour les particuliers et les entreprises face à l'Administration. Le 4 août dernier, Stéphane Travert a affirmé que « la filière viticole peut participer à des expérimentations [du droit à l'erreur] », alors qu'il était en visite à Bordeaux. Le 28 septembre, les responsables de la filière ont redemandé à bénéficier de ce droit lors de leur rencontre avec le ministre de l'Agriculture dans ses bureaux parisiens. Mais rien ne bouge. Chez FranceAgriMer, on dit attendre des instructions de la part du ministère... qui doit lui-même attendre celles de Bercy qui devait présenter un projet de loi... à la rentrée. Mieux vaut redoubler de vigilance pour les prochains dossiers que compter sur un assouplissement de l'Administration.
Nouveau calendrier pour la campagne 2017-2018
À compter du 1er décembre 2017, le calendrier des demandes d'aide à la restructuration change. Dorénavant, elles se feront en deux temps. Les viticulteurs devront d'abord effectuer une demande d'aide entre le 1er décembre 2017 et le 30 avril 2018. Et à partir du mois de mai, ils devront faire une demande de paiement. « Auparavant, une seule demande était nécessaire. Elle pouvait être effectuée entre mai et septembre. Désormais, si un viticulteur se réveille en mai pour une demande d'aide, ce sera trop tard », avertit Olivia Georges, directrice du Comité régional RQD, structure en charge des plans de restructuration des vignobles dans le Languedoc-Roussillon. Avec ce nouveau calendrier, « la demande d'aide sera automatisée. Une application calculera immédiatement si la plantation est éligible ou non », assure Anne Haller, déléguée des filières vins et cidres de FranceAgriMer. Les vignerons pourront faire des simulations sur le portail Vitiplantation.
Pénalités Des bons et des mauvais élèves
Toutes les régions ne sont pas concernées par les pénalités attribuées aux viticulteurs dans leurs aides à la restructuration. Dans le Gers, sur 500 dossiers déposés par l'association de restructuration, aucune pénalité n'a été observée pour le moment. Et dans le Bordelais, seules quelques erreurs ont été constatées d'après la Fédération des grands vins. « Actuellement, dans la région Val-de-Loire - Centre, sur les 400 dossiers déposés auprès de FranceAgriMer, nous n'avons eu aucun retour négatif des viticulteurs, souligne Aurélie Payraudeau. Il faut dire que depuis que le nouvel arrêté est sorti, nous avons fortement communiqué sur ce point et avons vérifié chaque demande pour s'assurer que les bonnes surfaces étaient déclarées. Mais nous ne sommes pas à l'abri d'un ou deux écarts. » Au syndicat des Côtes-du-Rhône, on ne connaît pas encore l'ampleur des dégâts sur les 653 dossiers déposés pour 2016-2017. « Nous n'avons même pas encore eu tous les retours pour la campagne 2015-2016, FranceAgriMer ayant pris beaucoup de retard », témoigne Émilie Nozières, du Syndicat des Côtes-du-Rhône. Mais certains viticulteurs se sont déjà manifestés pour exprimer leur mécontentement.