À LA HORA, un village au coeur de l'appellation Ribera del Duero, ces vendangeurs récoltent des tempranillos âgées de 60 ans, très convoités par les plus grands domaines. © CEPHAS/PHOTONONSTOP
LA BODEGAA VEGA SICILIA, À VALBUENA DE DUERO, produit certains des meilleurs vins d'Espagne. Une bouteille de sa cuvée Unico atteint près de 300 euros à la vente. © M. HULOT
LES VIGNES S'ÉTENDENT au pied du château médiéval de Peñafiel situé dans la province de Valladolid. © CEPHAS/PHOTONONSTOP
LES FRÈRES PASCUAS, ici Benjamin, 86 ans, avec son fils Jose Manuel, produisent des grands vins de tempranillo. © M. HULOT
Avec la Rioja et le Priorat, Ribera del Duero est l'une des trois grandes régions de vins rouges d'Espagne. Située au nord du pays, dans la communauté autonome de Castille-et-León, elle s'étend sur trois provinces : Burgos, Ségovie et Valladolid, d'est en ouest, le long de la rivière Duero.
Quelques chiffres prouvent combien cette appellation est en forme. De 1982 à 2015, elle est passée de 5 000 à 22 000 hectares, de 3 000 à 8 344 viticulteurs et de 9 à 287 caves de vinification, privées ou coopératives. 75 % des vignes ont moins de dix ans.
L'ascension de la région se voit aussi dans le paysage. Au pied du château de Peñafiel, Bodegas Protos possède deux chais. L'ancien, en pierre de taille, s'étend sous la colline dans des kilomètres de larges tunnels frais et humides qui hébergent des milliers de fûts. Bien plus visible, le nouveau a été dessiné par l'architecte britannique Richard Rogers, un de ceux qui ont conçu le centre Beaubourg, à Paris. Son toit est formé de cinq gigantesques tuiles canal supportées par des arches en bois verni et fermées par de hautes façades en verre.
Le groupe Protos est particulièrement visible en Espagne avec ses 6,5 millions de bouteilles produites par an. Jusqu'en 1990, c'était une coopérative. Depuis, c'est une société privée appartenant à 380 actionnaires. Protos emploie 60 personnes à l'année, dont la moitié travaille en cave. Avec ses 14 000 fûts et ses 1 400 hectares de vignes, c'est le leader de la région en volume. Pour Alexandre Lladó Almiñana, directeur marketing de Bodegas Protos, le défi est de développer l'exportation : « Nos vins sont très connus et appréciés en Espagne. Mais nous avons terriblement besoin d'exporter car la consommation nationale dégringole. »
Vega Sicilia et Pingus ont précédé Protos sur ce terrain de l'export. Ces deux bodegas ont largement contribué au succès du ribera-del-duero hors d'Espagne. Tous deux passent pour produire les meilleurs vins de Castille. Vega Sicilia serait même, aux palais de nombreux amateurs et professionnels, le plus grand vin d'Espagne. Cette propriété prestigieuse tire l'ensemble de l'appellation vers le haut, comme le font les premiers crus classés à Bordeaux. Vega Sicilia a été fondé en 1864 et racheté en 1982, par la famille Alvarez, de riches industriels espagnols. 1982 est une date charnière pour la région avec la création de la DO (dénomination d'origine) Ribera del Duero. « Auparavant, Ribera del Duero était une marque. Le passage en DO fut bénéfique car seule la Rioja était alors connue », apprécie Alexandre Lladó.
Depuis son arrivée à Vega Sicilia, la famille Alvarez n'a eu de cesse de peaufiner le vignoble et la cave. Unico, sa bouteille la plus chère, avoisine les 300 € dans le commerce. Il s'agit d'une sélection pointue élevée cinq ans en fûts et autant en bouteilles. Deux autres vins sont plus accessibles : Valbuena (entre 100 et 150 €, selon le millésime), et Alion (autour de 40 €).
Pingus est une propriété bien plus récente, créée par Peter Sisseck. Ce Danois a élaboré son premier millésime en 1995. D'emblée, Robert Parker lui a attribué une note de 98/100, une première pour un vin d'Espagne. Depuis, les prix se sont envolés.
Ces réussites attirent de nouveaux arrivants : de riches Espagnols qui font appel à de grands architectes, mais aussi des Français comme Michel Chapoutier, Michel Rolland et Stéphane de Renoncourt séduits par l'incroyable potentiel de cette belle région. Michel Rolland s'est ainsi associé à Galarreta pour créer un vin haut de gamme, Rolland-Galarreta. L'oenologue bordelais conseille également la propriété de Pablo Gonzales : Finca Valtravieso, qui cultive 114 ha, achète des raisins à des viticulteurs et produit 500 000 bouteilles par an.
Parmi ces nouveaux venus, certains ont réalisé des prouesses architecturales, comme Dominio de Cair avec son chai, au milieu des vignes, qui semble construit autour d'une énorme barrique semi-enterrée.
Toutes les propriétés présentent une gamme à peu près identique. En bas de la pyramide, elles vendent des vins entre 7 et 10 €, des joven, des vins vendus jeunes et issus de jeunes vignes. Puis viennent les cuvées qui font la renommée de la région : les crianza et les reserva. Les premiers passent au moins un an en fût. Les seconds 36 mois puis longtemps encore en bouteilles. Ces vins sont rares. Ainsi Protos embouteille seulement 80 000 cols de reserva.
Le potentiel de Ribera del Duero tient à son climat sec et continental, à ses sols variés et à son cépage majeur, le tempranillo (ou tinto fino). Celui-ci occupe 94 % des surfaces, ne laissant qu'une petite place aux cabernet-sauvignon, merlot, malbec, grenache et à la carménère. « C'est la région la plus fraîche d'Espagne », assurent les vignerons. Leur vignoble se trouve entre 700 et 900 m d'altitude. Les vieilles vignes de tempranillo donnent des vins profonds, aux tannins fins et soyeux, d'une remarquable fraîcheur. Pour Peter Sisseck, elles sont le trésor de la région. Afin de les préserver, il a lancé le projet Psi et le vin du même nom : 250 000 bouteilles vendues autour de 30 €. Peter Sisseck paie plus cher les viticulteurs qui lui fournissent les raisins requis pour ce vin.
Les vieilles vignes sont aussi à l'origine du succès des frères Manuel, Adolfo et Benjamin Pascuas. Leurs vins sont sidérants de fraîcheur et de finesse et leurs millésimes anciens témoignent de l'extraordinaire potentiel de Ribera del Duero et de son cépage typique.
Une parfaite maîtrise du bois
L'Espagne est le quatrième client des tonneliers français. En Ribera de Duero, pas une propriété qui ne détienne une quantité incroyable de fûts gerbés sur plusieurs étages. Protos en possède 14 000 et investit 3,5 millions d'euros par an en renouvellement. La plupart de ces fûts sont originaires de France, le reste étant américain, est-européen ou espagnol. Très attachés au bois, les Espagnols savent aussi l'entretenir pour réaliser de longs élevages. Toutes les caves possèdent des machines à laver les fûts qui permettent de gérer leur parc et le boisé des vins dans les meilleures conditions d'hygiène. Mais ici comme ailleurs, le béton revient au goût du jour avec des cuves classiques ou en forme d'oeufs, pour tendre vers plus de finesse et moins de boisé.