Alexandre, 23 ans, commercial « Ce message me fait penser au binge drinking. Je ne me sens pas concerné. » PHOTO : M. BAZIREAU
Alicia, 21 ans, récep-tionniste : « Non. Je bois peu de vin et, en soirée, je suis loin de penser à un message écrit en tout petit. » PHOTO : M. BAZIREAU
Alain, 65 ans, retraité : « Non. Ils sont inutiles. J'adore le vin et ces messages n'influencent pas ma consommation. » PHOTO : M. BAZIREAU
Alice, 43 ans, assistante de direction : « Oui. Les campagnes de prévention finissent par nous inciter à faire attention. » PHOTO : M. BAZIREAU
Julien, 27 ans, caviste : « Contrairement aux campagnes télé, les messages écrits n'ont aucun effet sur moi. » PHOTO : M. BAZIREAU
Commerciaux, Alexandre et Florian sont venus au parc des expositions de Strasbourg pour démarcher les exposants du salon de l'immobilier. Mais, en ressortant, ces collègues de 23 et 28 ans n'ont pu s'empêcher de faire un détour par le salon Mer & Vigne, installé dans le hall voisin. Nous les arrêtons à quelques mètres de l'entrée pour leur demander ce qu'ils pensent du message sanitaire « L'abus d'alcool est dangereux pour la santé » accolé au bas des publicités. Influence-t-il leur consommation ? « Pas du tout, répond Alexandre, sans hésitation. Ce message me fait penser au binge drinking et aux abus que les jeunes peuvent faire avec de l'alcool fort. Je ne me sens pas concerné. J'adore le vin et j'en bois pour le plaisir du goût, pas pour m'alcooliser », détaille-t-il. Ce que Florian s'empresse de tempérer. « Tu parles des alcools forts mais combien de jeunes vont acheter de la piquette, de type Villageoise, qu'ils boivent en mélange avec des sodas pour se saouler la gueule ? » Selon lui, c'est la raison pour laquelle les campagnes de lutte contre l'alcoolisme doivent aussi cibler le vin. Sauf quelques cas, les visiteurs que nous interrogerons ce 13 octobre seront du même avis.
Seraient-ils d'accord pour faire disparaître le mot « abus » des messages sanitaires ? Ceux-ci se résumeraient alors à « L'alcool est dangereux pour la santé ». C'est ce que revendiquait l'Anpaa, entre autres mesures chocs, lors de la dernière campagne présidentielle. Pour Alexandre et Florian, c'est non. La notion d'abus doit rester. « Même si elle est assez floue et que chacun peut en faire sa propre définition, il ne faut pas la supprimer : une cuite n'a jamais tué personne, lance Florian. Il me semble en plus qu'un verre de vin par jour est bon pour la santé, il faut simplement trouver le bon équilibre et ne pas en abuser. » Paradoxalement, ils ne savent pas vraiment définir l'abus. Ils ne réfléchissent pas en nombre de verres par jour ou en fréquence de consommation. Pour eux, l'alcool pose un problème dès lors que l'on a du mal à s'en passer. D'autres ont une idée plus précise. Pour Michèle, 53 ans, il ne faut pas dépasser un verre par repas.
Florian et Alexandre ont été éduqués au vin très tôt par des parents qui les autorisaient à tremper leurs lèvres dans leurs verres. « Cela se passait toujours à table et jamais avec un autre alcool », renchérit Alexandre.
Si l'on en croit Claude et Alain, un couple de retraités arrivé à midi pour profiter des huîtres, ces deux jeunes ont eu de la chance. « C'est aux parents d'apprendre à leurs enfants à bien boire. Ils doivent leur donner le goût du vin. S'ils arrivent à éveiller leur intérêt, ils les empêcheront de tomber dans l'excès », expose Alain. Il estime que les messages relayés par l'État sont inutiles. Ils ne servent qu'à donner bonne conscience aux pouvoirs publics. « On pourrait très bien les supprimer, d'autant plus que les jeunes aiment transgresser les règles. »
Pierre est ravi que nous abordions le sujet de la prévention de l'alcoolisme. Ce dynamique retraité de la police nationale a un avis encore plus tranché. Son chariot déborde de cartons de vin. « On en a marre. Il faut arrêter avec ce politiquement correct. Ce n'est pas l'alcool qui tue, c'est la bêtise. Il est loin le temps où l'absinthe rendait les gens fous. Cette société nous rend schizophrènes. On nous incite à aller à la plage, mais on nous dit « Attention au cancer de la peau », lorsque l'on va skier, c'est « Gare aux bobos ». Même topo pour l'alcool. Le vin rend heureux, regardez autour de vous. Et le bonheur, c'est bon pour la santé. »
Son ami Yves se montre plus nuancé. Lui ne souhaite pas voir les messages sanitaires disparaître. « Ils ne sont peut-être pas très efficaces mais au moins ils ont le mérite d'être là. Les gens doivent prendre conscience que l'abus d'alcool est mauvais. Le vin ne fait pas exception. Plusieurs membres de ma famille ont été touchés par l'alcoolisme. Je suis donc bien placé pour le savoir. »
Yves n'est pas un cas isolé. Les aléas de la vie ont ainsi incité Nadia, 52 ans, et sa fille Aurore, 27 ans, à renoncer à l'alcool. Aujourd'hui, elles ne passeront même pas voir les vignerons. Elles se contenteront de découvrir les spécialités gastronomiques du salon Mer & Vigne. Pour elles, pas question de supprimer les messages sanitaires. Au contraire, il faudrait les renforcer et les rendre plus percutants. « On pourrait imaginer des photos comme sur les paquets de cigarettes et davantage de campagnes à la télé, c'est ça qui marche », estime Aurore.
Aurore a raison de dire que les images marquent les esprits. La preuve avec Guillaume, un trentenaire capable de réciter par coeur les dialogues d'une campagne Suisse : « Deux voitures sont sur le point de se percuter. Il y a un arrêt sur image, les conducteurs sortent et discutent : "Tu ne peux pas ralentir ? Mes enfants sont à l'arrière de la voiture", "Non, je n'ai pas le temps, j'ai trop bu, je n'ai plus de réflexes", le film reprend et le choc a lieu. » Guillaume ne boit jamais plus de deux verres en soirée, même lorsqu'il ne conduit pas : « C'est ma manière de soutenir le chauffeur ! ». Selon lui, la France devrait diffuser encore plus de messages préventifs à la télé, à la manière de la Suisse et de l'Angleterre, pour éviter les accidents. Jean-Christophe, biochimiste, est du même avis. « Il n'y a que les images qui fonctionnent, surtout chez les jeunes. Il faut leur montrer des choses horribles. »
Alicia, réceptionniste de 21 ans, confirme qu'elle se souvient de tous les spots qu'elle a vus à la télé. « Surtout ceux de la sécurité routière. Par contre, lorsque je suis en soirée, je suis très loin de penser au message "L'abus d'alcool est dangereux pour la santé". »
En réalité, bien plus que le message sanitaire, c'est la sécurité routière qui préoccupe nos interlocuteurs. Très vite, beaucoup d'entre eux orientent la conversation sur ce point. Comme Alice et son compagnon Francis venus en tramway. Alice ne comprend pas pourquoi le parking du parc des expositions est ouvert aux visiteurs du salon. « Il faudrait un contrôle d'alcoolémie à la sortie du salon avant de laisser les gens reprendre leur voiture », s'indigne-t-elle. Francis s'amuse à raconter la fois où ils sont allés au cinéma voir trois films d'affilée avant de pouvoir remonter en voiture. Ce couple de quadragénaires est grand amateur de vin. « Malheureusement, on ne peut pas avoir le plaisir de la dégustation sans l'alcool. Alors, nous veillons à ne boire que lors d'occasions particulières, surtout pas de manière quotidienne », détaille Alice. Elle a commencé à faire attention à sa consommation d'alcool vers 30 ans. « Peut-être qu'insidieusement les campagnes de prévention y sont pour quelque chose. » Elle reconnaît boire moins qu'avant. Le vin n'échappe pas à cette tendance générale, même si beaucoup considèrent qu'il peut être bon pour la santé (lire encadré).
Pas de tire-bouchon en Alsace
Pour mesurer l'impact de la dernière campagne de l'Inca et du ministère de la Santé « Réduire sa consommation d'alcool, [...] c'est pas la mer à boire », nous avons imprimé et présenté l'affiche à tous les visiteurs que nous avons rencontrés. Aucun d'entre eux ne s'est souvenu l'avoir vue, ni dans la presse ni dans les centres commerciaux. Lorsque nous leur avons expliqué que cette affiche avait fait bondir la filière, ils ont tout de suite compris pourquoi. « Le tire-bouchon vise directement les viticulteurs. Ce n'est pas juste de cibler le monde du vin alors que l'on veut faire de la prévention contre l'abus d'alcool en général. Mais c'est une solution de facilité pour l'illustrer », commente Yves.
Un allié santé
Beaucoup de visiteurs estiment que consommé avec modération le vin est bon pour la santé. Les biochimistes Jean-Christophe et Marie savent de quoi ils parlent. « Il ne faut pas oublier que l'éthanol est une source de carbone. Il n'est pas juste de systématiquement le considérer comme un poison. » Les autres évoquent un effet sur le système cardiaque. Élisabeth, sans emploi, suppose même que « si la feuille de vigne est bonne pour la circulation sanguine, le vin ne doit pas être mauvais ». Pour autant, ils se rejoignent tous sur l'idée que le vin est aussi dangereux que les autres alcools lorsqu'il est consommé avec excès. C'est pour cette raison qu'il ne doit pas être écarté des campagnes de prévention, notamment pour alerter les jeunes.
LES MESSAGES DE PRÉVENTION INFLUENCENT-ILS VOTRE CONSOMMATION DE VIN ?
Alicia, 21 ans, récep-tionniste : « Non. Je bois peu de vin et, en soirée, je suis loin de penser à un message écrit en tout petit. »
Alain, 65 ans, retraité : « Non. Ils sont inutiles. J'adore le vin et ces messages n'influencent pas ma consommation. »
Alice, 43 ans, assistante de direction : « Oui. Les campagnes de prévention finissent par nous inciter à faire attention. »
Julien, 27 ans, caviste : « Contrairement aux campagnes télé, les messages écrits n'ont aucun effet sur moi. »
Bertrand, 47 ans, dans le ferroviaire : « Non. Ils sont dégradants pour l'image du vin. Seuls les gendarmes me font peur. »
Yves, 68 ans, retraité : « Pas moi. Mais j'entends plus souvent mon entourage dire que l'alcool est mauvais. »